La question des prélèvements d’organes sur un donneur dit décédé pose la question de la mort. Non celle du don. Celle du don va de soi. Celle de la mort ne va pas de soi. Car la médecine échoue à définir les critères exacts de la mort (déterminer le moment précis de la mort).
Un donneur d’organes dit « décédé » est un patient devenu un simple pourvoyeur d’organes. Il n’est plus traité comme une personne. Pour prélever les organes de ce donneur en état de « mort encéphalique » ou en arrêt cardio-respiratoire persistant, il faut soit le maintenir en état de vie artificielle le temps que ses organes soient prélevés, soit le réanimer dans le but d’assurer la conservation de ses organes. Dans les deux cas, on emploie des techniques invasives, qui ne sont pas dans l’intérêt du donneur. Le qualificatif de « donneur cadavérique » constitue un mensonge éhonté : il s’agit d’un mourant, d’une personne engagée dans un processus de mort. Non d’un mort ! Le prélèvement des organes de cette personne exige que les équipes chirurgicales de prélèvement interviennent (fassent intrusion) dans son processus de mort. Or c’est précisément cette intervention ou intrusion dans le processus de mort d’un proche qui peut effrayer les familles confrontées au don d’organes. Il ne s’agit pas, comme on voudrait nous le faire croire, d’initier un débat idéologique centré sur des considérations philosophico-religieuses ou culturelles au chevet d’un défunt : la générosité, l’égoïsme, le don, le repli sur soi. Dans les faits, les familles confrontées au « don » sont confrontées à une « technicisation de l’agonie » au service des transplantations. Avec tout ce que cette technicisation peut avoir de terrifiant. Quand on se trouve confronté à la question du don des organes d’un proche mourant, on se pose la question de l’accompagnement. Accompagner, et non abandonner ce proche au pire moment de son existence. Voilà la vraie préoccupation. Disons-le très clairement : les familles confrontées au don des organes d’un proche mourant vivent un dilemme inhumain : elles doivent choisir entre l’intérêt du mourant (le laisser s’éteindre le plus paisiblement possible) et un don d’organes qui aiderait de très nombreux patients en attente de greffe, d’autant qu’on a assisté à une explosion du nombre de patients en attente de greffe.
Le don va de soi. La question de la mort ne va pas de soi, puisque la médecine échoue à définir la fin de la vie, par les seuls cirtères médicaux et scientifiques.
Le don point d’interrogation est à remplacer par : la mort point d’interrogation, du fait même de la relativité des critères permettant de définir la mort.
Respecter la loi de bioéthique de 2004 (consentement présumé), c’est respecter un certain nombre de paradoxes et bricolages : voir les controverses à l’échelle internationale, concernant le constat de décès des donneurs « morts », et ne pas oublier que le consentement présumé pose des problèmes d’éthique - un spécialiste du don a parlé de « mariage infernal entre Kant et Sade » pour montrer le problème que pose l’impossible cohabitation dans la loi entre consentement éclairé et consentement présumé.
Dire à un usager de la santé qui s’interroge sur la fin de vie qu’ont ces donneurs que l’on dit « morts » : « Ils sont morts, c’est inscrit dans la loi » ne répond pas aux interrogations concrètes du genre : « vais-je souffrir à mon décès si je consens au don de mes organes ? »
La définition légale de la mort : cela fait froid dans le dos...