Information sur le don d’organes par la carte Vitale 2 : un affaiblissement du témoignage de la famille
Le ministre de la Santé a annoncé mercredi 29 mars 2006 la possibilité, dès la fin de l’année et pour chaque personne, de faire inscrire sur la carte Vitale 2, le fait qu’elle a bien été informée de la réglementation en vigueur sur le don d’organes. Cette annonce offre l’opportunité supplémentaire à chaque personne de prendre position sur le don d’organes, d’en parler en famille et avec ses proches. Une information plus systématique permettra également d’appliquer pleinement le principe du consentement présumé. Ce dispositif, qui peut s’apparenter à l’utilisation actuelle de la carte de donneur, ne change en rien le principe du consentement présumé et la possibilité de s’inscrire sur le registre national des refus. Il faut en effet rappeler qu’en France, le législateur a compté sur la solidarité des Français en instaurant le principe du consentement présumé en matière de don d’organes. Chaque Français est considéré comme consentant au don de ses organes. Bien entendu, la loi prévoit la possibilité de s’opposer au don, soit en s’inscrivant sur le registre national des refus, soit en témoignant de son opposition à ses proches. Car, au moment où un prélèvement est envisagé en vue de greffe, les dispositions légales exigent que les équipes médicales s’adressent aux proches pour recueillir le témoignage de l’opposition du défunt. Le fait que la carte vitale soit renseignée ou qu’une carte de donneur soit trouvée parmi les effets du défunt permet aux équipes médicales de faciliter l’engagement du dialogue avec la famille et les proches sur ce sujet. Rappelons qu’en 2005 et malgré une amélioration de la situation, près de 12 000 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organes et 186 patients sont décédés faute de greffon. Source : communiqué de presse de l’agence de biomédecine du 30 mars 2006.
De quelle "information" dispose le citoyen ?
L’agence de biomédecine met à la disposition du public sur son site une brochure :
"Don d’organes, donneur ou pas...
Pourquoi il faut en parler.
En matière de don et de greffe d’organes, la loi française prévoit que la volonté du défunt prime sur toutes les autres.
Mais faute d’en avoir parlé ensemble, des familles touchées par le deuil brutal d’un être cher se trouvent chaque année dans la situation difficile de décider au nom de leur proche. Autant de moments douloureux pour les parents, les amis.
Que nous soyons pour ou contre le don de nos organes, notre choix doit être connu de nos proches pour les aider dans des circonstances difficiles. N’oublions pas non plus que notre choix peut aussi sauver des vies.
Dire sa position, c’est aussi aider ses proches."
La brochure rappelle le but de cette agence :
"Par son expertise, elle est l’autorité de référence sur les aspects médicaux, scientifiques et éthiques relatifs à ces questions."
"Enfin, elle est chargée de développer l’information sur le don, le prélèvement et la greffe d’organes, de tissus et de cellules, avec les hôpitaux et les associations en faveur de la greffe."
La brochure explique pourquoi il faut en parler.
"En matière de don et de greffe d’organes, la loi française prévoit que la volonté du défunt prime sur toutes les autres. Mais faute d’en avoir parlé ensemble, des familles touchées par le deuil brutal d’un être cher se trouvent chaque année dans la situation difficile de décider au nom de leur proche.
Prendre position sur le don de ses organes, dire son choix à son entourage, ce n’est pas toujours facile. C’est pourquoi l’Agence de la biomédecine a édité ce Guide. En apportant des réponses concrètes aux questions que vous vous posez, il vous aide dans votre démarche."
C’est une manière très ambiguë de présenter la loi. Celle-ci repose sur le consentement présumé : véritable nationalisation des corps après la mort puisque le corps n’appartient plus à la personne, mais à la société qui peut prélever tout ce qui est utile.
Bien sûr, il y a le témoignage de la famille. Mais la famille n’a pas à refuser le "don". Elle est le porte-parole de la volonté du mourant. S’il n’a pas émis un refus, c’est qu’il est d’accord. Ce sont les termes de la loi. Demander le témoignage de la famille ou des proches au moment où la personne est en fin de vie est un moment douloureux. On peut se demander si le législateur y a pensé quand il a préparé la loi.
Demander le témoignage de la famille gêne les préleveurs. Dans les débats parlementaires, il y a une pression constante de la part du lobby médical pour faire sauter le verrou du témoignage de la famille. Pour certains, il faut s’en tenir à une lecture stricte de la loi : le médecin consulte le registre national des refus et si le mourant n’a pas fait la démarche de s’y inscrire, il est prélevé. C’est effectivement la question que posera tout juge d’instruction si la famille porte plainte. Pour d’autres médecins, il ne faut pas avoir confiance dans le témoignage de la famille qui peut mentir. La parole de la famille ne suffit pas : elle devrait fournir une preuve.
L’agence de biomédecine continue son information :
"DONNER, pourquoi ?
Un nombre croissant de malades en attente de greffe.
La greffe d’organe, c’est le remplacement d’un organe défaillant par un organe sain, appelé greffon. En 2006, plus de 12 400 personnes ont eu besoin d’une greffe d’organes pour continuer à vivre ou pour mieux vivre. Ce nombre augmente chaque année du fait de l’allongement de la durée de vie, mais aussi du fait d’un manque de greffons."
Le premier argument joue sur la sensiblerie. Le nombre de personnes en attente est impressionnant. Puis vient la culpabilisation : ces personnes mourront faute de greffons.
Discours peu objectif : d’un côté les "personnes" en attente, de l’autre "manque de greffons". Dans la balance de la transplantation, on met dans un plateau des personnes, dans l’autre, des choses. Faut-il rappeler que les "greffons" viennent de personnes mourantes ?
En bas de page, on précise qu’en 2006, "3 067 personnes ont été recensées en état de mort encéphalique, et 1 442 ont été effectivement prélevées."
12 400 personnes en attente de greffes pour 1 442 prélevées. La demande est énorme pour une offre très faible. Point de vue d’économiste. Il faut augmenter l’offre pour satisfaire les besoins. Les personnes mourantes sont donc des choses, des marchandises qui obéissent aux lois du marché.
Or, les médecins luttent contre les accidents cérébraux et l’État veut réduire les accidents sur les routes. La source des prélèvements se tarit donc.
En outre, si les médecins proposent aux greffés une amélioration de leur espérance de vie, ils sont dans le même temps mus par la rentabilité économique.
"Si tous les patients actuellement dialysés et en attente de greffe étaient transplantés, l’économie réalisée par l’Assurance maladie serait de l’ordre de 600 millions d’euros par an." (Fondation greffe de vie dont M. Bernard Laporte, secrétaire d’État chargé des Sports pour le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, est un des ambassadeurs.)
Comme cette "pénurie" ne peut que s’aggraver, il faut trouver des solutions pour faire face à cette explosion de la demande et faire des économies. Faire inscrire sur la Carte Vitale que les Français ont bien compris l’information : ils sont de potentiels donneurs d’organes s’ils ne manisfestent pas leur refus.
Revenons à la brochure :
"DON D’ORGANES.
Et concrètement... ?"
Sous forme de questions/réponses, on passe en revue la définition de la mort cérébrale, la liste des organes greffés, la restitution tégumentaire, l’âge des donneurs, le don entre vivants, la position unanime des religions. On rappelle la loi en trois points : le consentement présumé en insistant sur la liberté que donne la loi, le principe de gratuité et celui de l’anonymat.
Enfin, la brochure évoque "Comment en parler avec ses proches". Certaines circonstances sont propices pour donner sa position avec des mots simples car "le don d’organes n’est pas un sujet de dissertation".
On explique la démarche à suivre pour inscrire son refus et on recommande de porter une carte de donneur si on a décidé d’être pour. Or un simple papier porté sur soi suffit.
Le discours du Guide sur le don d’organes distribué par l’Agence de biomédecine n’a pas de caractère informatif pour aider les Français à prendre une décision.
C’est un discours volontairement aseptisé pour empêcher la réflexion.
Discours aseptisé parce qu’il gomme toutes les aspérités des débats suscités par cette question.
Discours qui empêche toute réflexion. L’Agence de biomédecine relayée par d’autres associations ou fondations distille un discours qui infantilise et qui culpabilise le citoyen.
Le cheminement de la réflexion induite par ce guide est simpliste. Le consentement présumé protège la liberté de la personne. Cela signifie : la loi a pensé pour vous et vous a déjà inscrit comme généreux donateur. Si vous n’êtes pas un généreux donateur, il faut le dire en recopiant un modèle de lettre. Envoyez-la à l’adresse indiquée, en y joignant une photocopie de votre carte d’identité. N’oubliez pas de joindre les timbres pour l’accusé de réception.
Si vous êtes un généreux donateur, l’Agence vous recommande de prendre une carte. Propos équivoques puisqu’il y a consentement présumé. En plus, elle vous suggère de le faire lors d’événements dramatiques : la commémoration d’un deuil familial, la dégradation de la santé d’un proche, l’hospitalisation d’un ami, une actualité concernant l’insuffisance rénale ou toute autre maladie pouvant nécessiter une greffe. Prendre des décisions sous le coup d’émotions, est-ce bien raisonnable ?
Porter une carte de donneur permet, pour le coordinateur, d’avoir un entretien avec la famille moins tendu. Le coordinateur n’aura pas la même stratégie avec une famille en deuil lorsqu’il recueillera son témoignage. Faire inscrire sur la Carte Vitale 2 que chaque citoyen a bien été informé de la réglementation en vigueur sur le don d’organes est une grande victoire des préleveurs puisqu’on pourra faire remarquer à la famille que le mourant avait la possibilité d’exprimer son refus.
Le problème de l’information est donc vital.
Or l’Agence de biomédecine n’informe pas correctement les citoyens.
Elle néglige de développer la notion très controversée de mort cérébrale.
Elle décrit dans une autre brochure le déroulement d’un prélèvement d’organes d’une manière très rapide.
1) Une personne accidentée arrive à l’hôpital. Mobilisation intense des équipes médicales pour tenter de la sauver. La personne décède dans un service de réanimation. 2) La mort est constatée par un diagnostic effectué par deux médecins différents et confirmée par des résultats d’examens (encéphalogrammes...) qui attestent de la destruction irréversible du cerveau. 3) L’équipe de coordination hospitalière cherche à connaître la volonté du défunt sur le don de ses organes : elle consulte d’abord le registre national des refus. 4) Prélèvement des organes : une intervention chirurgicale de haute technicité au bloc opératoire. Rapidité et précision : la qualité des greffons dépend aussi du prélèvement. 5) Une fois le prélèvement effectué, le corps est restitué à la famille. Le prélèvement est effectué dans le respect du corps de la personne décédée. Toute incision pratiquée est refermée puis recouverte d’un pansement. Après l’opération, le personnel hospitalier effectue la toilette mortuaire et habille le défunt avec ses effets personnels avant de le rendre à sa famille.
Que se passe-t-il lors de l’intervention chirurgicale de haute technicité ? Que reste-t-il du défunt lorsqu’on remet son corps à la famille après un prélèvement à "coeur battant" ? Il y a un décalage entre les "informations" de la brochure et la réalité du bloc.
Quant aux prélèvements "à cœur non battant", l’Agence n’en souffle mot.
La reprise de prélèvements d’organes "à cœur arrêté" a eu peu d’écho dans les médias.
La loi exige dans le contexte où le cœur continue de battre que le diagnostic de mort soit étayé par la preuve que le cerveau est détruit.
Dans la technique dite "cœur arrêté" (ou non battant), le diagnostic de la mort de la personne repose sur le fait que son cœur a cessé irréversiblement de battre, et aucun examen complémentaire n’est requis. Il faut immédiatement effectuer des gestes identiques à ceux de la réanimation dans le but d’irriguer les organes. Le corps de la personne est transporté rapidement à l’hôpital s’il ne s’y trouvait pas déjà au moment de son décès. Alors, soit on remplace le sang de la personne par un liquide glacé pour permettre un refroidissement, soit on met en place un système d’assistance circulatoire qui permet de maintenir une circulation de sang dans les organes.
Les questions éthiques que soulève la technique de prélèvement à cœur arrêté sont nombreuses. On en parle entre spécialistes, mais on ne dit rien aux Français.
"L’Espace éthique / AP-HP et le Département de recherche en éthique Paris-Sud 11 ont initié un travail en réseau sur ce sujet, associant de manière multidisciplinaire les compétences requises. Les professionnels de la réanimation et de la transplantation y occupent bien entendu une place fondamentale."
"- En pratique, quand informe-t-on les proches de la personne de son décès ?
- Qui doit le faire ?
- Comment réfléchir l’accompagnement et l’information de ces personnes ?
- Doit-on veiller à recueillir leur témoignage avant ou après la mise en place des moyens de conservation (étapes 2 et 3) déployés sur le corps de la personne ?
- Quelles sont les conditions de respect du corps de la personne juste après son décès lorsque l’on pratique sur lui des gestes techniques de nature invasive ?
- Comment les réanimateurs vivent-ils la dualité de leur mission lorsqu’ils assurent par tous les moyens une circulation sanguine d’abord sur une personne à qui ils espèrent redonner vie, puis sur le corps de la même personne au moment même où ils renoncent à cet espoir ?
- Doit-on craindre la survenue de conflit d’intérêt à cet égard ?
- Est-on, collectivement, aujourd’hui bien au clair sur la définition même de la mort ? Quels sont les fondements d’une telle définition ? Sont-ils connus et admis de tous ?
- Quelles sont, d’un point de vue scientifique, les certitudes et les incertitudes au regard des effets de l’usage d’un dispositif de circulation extra-corporelle s’agissant de son utilisation thérapeutique dans les défaillances cardiocirculatoires réversibles ?
- Quelles sont les différences à analyser entre la situation où le donneur potentiel décède dans la rue et celle où il s’agit d’une personne dont le décès survient alors qu’elle se trouve déjà en réanimation ?
- Comment envisager une pédagogie spécifique du grand public concernant le prélèvement à cœur arrêté, dès lors que la notion de consentement présumé (option retenue en France pour le don d’organe) suppose le préalable d’une information largement disponible et diffusée ?
Cette liste de questions n’est pas exhaustive, et doit faire l’objet de développements et approfondissements. Un tel travail n’a pas encore été conduit en France de manière transversale et transparente. " ( Dr Marc Guerrier - Adjoint au directeur de l’Espace éthique / AP-HP - Département de recherche en éthique Paris-Sud 11 - 15 novembre 2006)
L’Agence de biomédecine va pouvoir changer le contenu de ses brochures. Mais les Français auront inscrit sur la Carte Vitale 2 le fait qu’ils ont été bien informés quoi qu’il advienne.
Alain Tesnière. Auteur du livre Les Yeux de Christophe. L’Affaire d’Amiens. Les Prélèvements d’organes en question, éditions du Rocher. 1993.
Mon fils Christophe est né le 7 décembre 1972. Il a été dépecé à Amiens le 5 août 1991.
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