Cher Gonzague,
Je m’intéresse également depuis fort longtemps à la trajectoire des sociétés dans l’histoire de l’humanité. Ton petit billet commençait fort bien mais me laisse un peu sur ma faim (!). Certes, le sommeil et la nourriture me semblent des facteurs certains de cohésion, mais ils ne me semblent pas suffisants pour expliquer tout le reste. Faisons rapidement un petit saut dans l’éthologie :
Prenons n’importe quel exemple d’animal grégaire : le loup, le gorille, le buffle... Leur vie en commun, est comme tu le dis très bien, motivée par la diminution de la peur que procure la vie en groupe et la réduction du péril externe : violence de la part des autres groupes ou bien de prédateurs externes. Jusque là tout va bien.
Mais comme je me sens moi même également très intelligent, je vois, qu’une fois constitué, le groupe ne reste jamais chez les animaux dits « évolués » ou quasiment jamais, un groupe « anarchiste » (exemple des bancs de poissons ?). Dès la constitution du groupe, celui-ci va s’organiser. Comment ?
Il se dégage toujours un individu mâle ou femelle pour prendre la tête du groupe et le diriger. Les études des divers éthologues l’ont clairement démontré, on y découvre des rôles jusque là insoupçonnés : aux cotés du chef apparaît un (ou des) numéro deux, puis des individus partageant certaines fonctions bien précises (y compris les femelles non couvertes qui s’occuperont de la progéniture des autres) jusqu’à l’individu oméga, dernier du groupe, rejeté de tous, se nourrissant de reliefs des repas des autres. Le rôle de « guérisseur » a même été observé chez les grands singes, lorsque l’un individu par ailleurs désintéressé vient à s’occuper d’un membre blessé du groupe.
Ces groupes voient leurs rythmes quotidiens marqués par plusieurs rituels que sont la prise de nourriture, le sommeil ... mais aussi la reproduction et l’évacuation des excréments. Ces deux dernières activités sont déterminantes car elles vont conditionner une partie capitale du comportement du groupe :
- la reproduction en tant moyen de disséminer sa semence (pléonasme étymologique) va structurer durablement le groupe en une société qui vivra ses règles de dissémination ainsi apparues : on connaît la lutte du plus fort pour l’accés aux femelles chez les cerfs, les gorilles, on connaît les changements incessants de partenaires des lionnes, on connaît les « orgies » des bono-bonos. L’acte sexuel ou son simulacre est également observé entre individus de même sexe, c’est alors un acte de domination (chats, chiens, vaches...) sur certains individus du groupe. L’acte de reproduction (et son simulacre) est à mon avis le structurant principal et durable du groupe, sorte de règle non écrite qui conditionne son fonctionnement.
- Vient ensuite le territoire qui sera délimité souvent par défèquement comme « appartenant » à un individu donné. Le territoire, c’est à la fois une source de nourriture, de repos et de vie (y compris de reproduction). J’y vois le premier signe instinctif d’un sens de la propriété, à l’état certes embryonnaire.
Maintenant pour revenir à ton texte plaisant et aux sociétés humaines tu cites le capitalisme sauvage, dont personne ne sais ce que sait sauf qu’il y a le mot capitalisme dedans et que donc ça fait peur aux bobos. Tu le compares à un anarchisme de type « bordel intégral » issue de la barbarie originelle. Ouh la ! Celle-ci n’a pas existé (cf mes lignes ci-dessus), ou alors, avant que nous ne devenions des animaux évolués, par exemple des amibes mais de là à dire que les amibes vivent dans l’anarchie... Je ne sais par quelle crainte du capitalisme tant de gens sont pris du besoin d’y accoler le mot « sauvage ». C’est comme si l’on disait « communisme stalinien d’amour ». Qu’est ce qui fait peur dans le mot « capitalisme » ? Le fait que tout le monde travaille ? Que certains auront plus que d’autres car ils auront plus travaillé ? Que l’on cesse de se voir rétribué non pas en fonction de son besoin mais plutot en fonction de son travail ? Le fait qu’au XIXème siècle les capitalistes étaient des exploiteurs de misère alors qu’ils n’étaient rien de plus qu’une nouvelle forme de noblesse (l’autre était fraichement décapitée) ? Le fait que tes lignes indiquent le dogme auquel tu appartiens ?
Alors il peut-être est moins surprenant que tu oublies de mentionner son opposé diamétral dont le XX siècle fut un exemple atroce : quid de ces sociétés règlementées à l’extrême, qui ne voulaient qu’une chose, le bonheur pour tous à tout prix et qui n’ont en fin de compte engendré que les pires totalitarismes qu’ont été les socialismes en tout genre (national socialisme allemand, socialisme puis fascisme mussolinien, stalinisme, maoisme, pol-potisme etc...). Et tu penses qu’à coté les Etats-Uniens sont des barbares ? Tu possèdes une interprétation pour le moins suprenante de ce mot. En tout cas tu n’y es pas souvent allé (jamais ?) car on peut y manger très très bien, comme vraiment très mal. Le hamburger n’est tout au plus qu’un stéréotype français comme la baguette en est un autre pour les américains lorsqu’ils pensent à la France. La bonne bouffe est plus chère aux US ? Oui. En France ? Re-oui. Pareil. So what ?
Un petit mot équitable sur la civilisation américaine : il faut se souvenir, tu n’étais pas encore né, qu’elle a été fondée par ceux qui fuyaient les défauts très condamnables des sociétés très organisées de l’Europe d’alors. Te souviens-tu du roi et de l’église ? Le roi avait des pouvoirs presqu’infinis sur ses sujets, leur vie et leurs possessions. Normal, il tenait son pouvoir de dieu, lui même omnipotent, et dont il descendait. L’église, son alliée, représentait ce même dieu sur terre, un dieu aux desseins incompréhensibles, quelque part dans le ciel et dont elle avait le pouvoir de traduction. Elle en usait sous forme de peine de vie ou de mort sur l’âme de ces sujets, y compris, (c’est très fort) après leur trépas (paradis, enfer...). L’église a ainsi maintenu l’être humain pendant des siècles dans la peur abjecte d’une punition divine suite au péché originel (car Adam avait croqué la pomme... du savoir) : ce qui pour la grande majorité de la population signifiait pas ou peu de propriété privée, pas ou très peu de liberté d’expression, de contractualiser, bref de s’enrichir, de prospérer, de vivre autrement que dans la crainte d’un châtiment suite à ce péché originel lui aussi incompréhensible. Résultat : dix siècles d’obscurantisme, de famines, d’épidémies, de guerres et de la plus abjecte des misères. On appelle ça le Moyen-Age.
Tu noteras que nous ne sommes pas sortis de ce modèle, qui certes transfiguré, persiste : un monarque président pour roi, une haute administration pour la noblesse et le haut clergé, une basse administration pour le bas clergé et la petite noblesse et ... le Tiers Etat pour le Tiers Etat. Celui-là même qui continue à nourrir des fruits de son labeur le roi, le clergé et la noblesse avec pour toute récompense le reproche perpétuel qu’il n’en fait et n’en donne jamais assez. Certes nous n’avons plus faim, mais nous sommes toujours malades et parfois en guerre. Finalement Juvénal avait raison, tu sais, panem et circenses. Alors si les USA sont comme tu le dis des « conglomérats exterminateurs de sociétés préexistantes », je voterai immédiatement pour que demain matin nous devenions comme eux, même si je crains qu’eux ne soient en train de devenir comme nous.
03/01 18:04 - Pierredantan
Cher Gonzague, Je m’intéresse également depuis fort longtemps à la trajectoire des (...)
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