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Commentaire de Mango

sur Ils vont évaluer mon train de vie, je suis au RMI !


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Mango Mango 11 janvier 2008 21:30

Bonsoir à tous.

Je n’ai pas vu l’émission mais je souhaiterais apporter mon témoignage.

J’ai un ami SDF, et je dis bien un "ami", en ce sens qu’il n’y a jamais eu entre nous de relations d’assistance, mais des échanges.

Cet ami vivait sous des bâches, dans un petit bois proche de mon domicile, et s’était gentiment meublé en passant des nuits à arpenter la ville aux dates des "encombrants".

En échange d’un vieux groupe électrogène, de quelques litres de carburant, de la permission de remplir sa bonbonne d’eau douce au robinet du jardin, d’un chargement de lave linge, il racontait aux enfants ses aventures extraordinaires, nous offrait des bijoux fabuleux faits de pierres, de bois, de lacets végétaux, sculptés avec des instruments de dentisterie récupérés au cabinet dentaire local lors de leur réagencement, transportés en 4 voyages sur 5 bornes, dont 3 en montée, à la brouette, bijoux fantastiques assemblés à la résine (dentaire, toujours, les dentistes associés avaient décidé de l’approvisionner- un kg de résine par mois, même à vie, ça revenait moins cher que de faire enlever le vieux matos dans notre trou perdu-)...

Le soir, en rentrant chez lui, il passait devant la maison. Il rentrait tard, mais parfois, nous étions encore à table car mon ex -mari et moi, nous travaillions beaucoup, et nous mangions tard, trop tard pour les enfants, mais bon... Nous mangions. Alors, quand il passait, on criait : "Eh ! Patoche ! Viens manger ! ". Patoche nous faisait un gentil coucou et répondait : "Merci ! J’ai pas trop faim..."

Patoche était frugal. A bientôt 40 ans, il avait un physique d’ado fatigué. Il ne buvait pas, à part une petite bière , une petite coupe, un petit apéro à l’occasion... Mais jamais plus d’un.

Patoche ne fumait pas, sauf sa production personnelle, mais avec une telle sobriété qu’il en était admirable.

Patoche mangeait comme un oiseau : il picorait, et le bec fin, savourait une bouchée pendant 5 bonnes minutes, commentait les parfums, tentait de déceler l’association d’ingrédients, en faisait tout un poème.

Patoche refusait le RMI, à cause d’un mot : le mot "insertion" du "I". "Insertion" ! "M’ insérer dans quoi, et pourquoi ? Je n’ai pas besoin d’être inséré dans quoi que ce soit pour avoir le droit de vivre. J’existe et ça suffit pour avoir le droit d’être vivant. Je refuse d’être INSERE. Je n’ai pas besoin d’être INSERE. Je n’ai besoin que d’une chose : qu’on me laisse EXISTER".

Après 6 mois de "voisinage", Patoche a commencé à nous faire confiance, et un jour, il m’a apporté un paquet bien ficelé : dedans, il y avait un vieux, très vieux et très gros cahier. Il y écrivait tous les jours une ou deux lignes depuis qu’il avait quitté sa maison. Il avait un peu honte à cause de l’orthographe : "tu comprends, si je crêve et qu’on le trouve, j’aurai l’air d’un con..." Il voulait que je le corrige. Nous avons décidé que je copierai tout sur l’ordinateur. Je l’ai fait. Je n’ai jamais autant pleuré de ma vie, n recopiant ces petites ou longues phrases. J’ai tout imprimé, je lui ai donné la liasse, et j’ai tout effacé sur la bécane, comme il le souhaitait car il voulait que ce soit ma mémoire humaine, faillible et imparfaite, qui garde une trace de ce qu’il m’avait confié, pas une machine.

 

Il était riche, Patoche. Une maman veuve riche. Un beau-père qui épouse une veuve riche et commence à le violer à 9 ans. A 14 ans, beau-papa lui fout la paix... Ce serait le bonheur s’il ne s’attaquait au petit frère.

Patoche a décidé de vivre d’autres aventures : il a quitté sa bâche, ses voisins, notre île. Son cahier et ses feuilles corrigées imprimées sous le bras, il a fait du bateau-stop et ramassé par un cata de jeunesse dorée avec équipage, à ce qu’on sache, il n’est jamais arrivé nulle part.

Il aurait sauté du bateau, en pleine nuit, son cahier et ses feuilles sous le bras.


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