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Commentaire de Norbert Balcon

sur Fabrice Burgaud ou l'amour de la justice


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Norbert Balcon 22 janvier 2008 20:09

 

@ Nikaia

Vous avez raison de ramener le débat « aux faits eux-mêmes », parce que, comme vous le faites remarquez si justement, dans cette histoire, on perd complètement de vue qu’à l’origine, Outreau, c’est simplement deux couples qui abusaient de leurs enfants. Point barre.   

C’est d’ailleurs la question que tout le monde se pose : comment, alors qu’il ne disposait pas d’éléments matériels, ce jeune juge a-t-il réalisé ce miracle de la multiplication des pédophiles ? Comment est-il passé de deux couples à tout un réseau ?

Je ne crois pas du tout que l’âge soit un facteur capital dans cette histoire. Fabrice Burgaud avait 29 ans, je crois, à l’époque où il a pris le dossier en main. C’est plutôt jeune, effectivement. Il manquait certainement de bouteille. Mais il y a beaucoup de situations basiques qu’il n’est pas parvenu à décrypter, non pas à cause de sa jeunesse et de sa naïveté, mais parce qu’il manquait de bon sens et d’empathie, tout simplement.

Alain Marécaux a raconté une scène glaçante. Sa mère venait tout juste de mourir ; il était effondré. Le juge Burgaud n’a pas daigné reporter son entrevue. Il lui a demandé ce que faisait sa mère dans la vie, et lorsque l’huissier lui a répondu qu’elle venait de décéder, il l’a relancé sur un ton de reproche (selon M. Marécaux, c’était presque du sadisme) : « Oui, je sais, mais qu’est-ce qu’elle faisait avant ? »

Ce qui a manqué au juge Burgaud ce jour là, ce ne sont pas dix, vingt ou trente ans d’expérience. Il lui a manqué de l’humanité, de l’empathie, de la compassion. Et malheureusement, ces qualités morales ne s’acquièrent pas en vieillissant. La plupart des enfants possèdent beaucoup d’empathie dès la maternelle. Ils réagissent très bien à la détresse de leurs camarades.

Aussi, je ne crois pas du tout au portrait qu’il a voulu donner de lui devant la commission, celle d’un jeune homme submergé par l’émotion à la lecture de procès verbaux atroces. S’il n’a pas été capable de s’émouvoir de la détresse de cet homme qui venait de perdre sa mère la veille, et qui se trouvait sous ses yeux, je ne vois pas comment il pourrait être bouleversé par la lecture de procès verbaux. Il aurait dû se rendre compte que M. Marécaux n’était tout simplement pas en état de soutenir une discussion avec de forts enjeux, mais non. Ca ne lui a pas effleuré l’esprit. Je n’appelle pas ça, « manquer d’expérience ».  

Lorsqu’on s’engage dans cette profession, on se doute qu’on va devoir traiter des dossiers parfois sordides : pédophilie, meurtres, etc. C’est la même chose quand on se destine à la chirurgie. Si on tourne de l’œil à la première goutte de sang, systématiquement, il faut se réorienter. Si le juge avait réellement perdu les pédales à cause de sa trop grande émotivité, la question qui se pose est la suivante : pourquoi n’a-t-on pas détecté ces mauvaises dispositions dès l’ENM ?

Mais je le répète. A mon avis, le juge Burgaud a fauté non pas à cause d’une émotivité excessive, mais au contraire à cause de son manque d’empathie et de son incapacité à prendre la mesure de la souffrance des personnes qu’il avait en face de lui.

 

D’autres choses ne collent pas. Il est parvenu à donner à ses supérieurs une image extrêmement favorable : celle d’un jeune juge brillant, efficace, promis à un grand avenir. Il les a vraiment impressionnés par son apparente maitrise. Son instruction a duré de longs mois, mais à aucun moment il ne leur a paru perdu ou submergé par l’émotion.

 

Je vous crois volontiers, lorsque vous dites que les moyens dont dispose la justice sont insuffisants. Mais la question n’est pas là. Nous cherchons à comprendre pourquoi cela a dérapé autant à Outreau, et pas ailleurs, alors que des jeunes juges surchargés, avec des dossiers complexes, il y en a probablement beaucoup. Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce cas ? Ce ne sont certainement pas les moyens matériels, car ils sont –j’imagine- plus ou moins comparables d’un tribunal à un autre.

 


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