Voilà un bel exercice de lynchage collectif salutaire. Ah que ca fait du bien de taper sur ces gens qui gagnent des millions en faisant des trucs qu’on ne comprend pas...
Un peu facile. Essayons de démêler le vrai du faux, le fantasme du réel.
D’abord concernant l’argumentation : "Une question s’impose : comment expliquer que les bonus à la City de Londres ne soient en baisse que de 16% par rapport à ceux de l’année dernière ?"
La réponse est simple : il n’y a pas que des CDO fondées sur des subprimes en finance. Il y a beaucoup d’autres choses. Et en dehors de ces questions de resserrement de crédit et de dévalorisation d’actifs en raison de la défaillance des sous-jacents, l’année 2007 a été une bonne année pour la finance dans son ensemble. Une baisse de 16% par rapport à l’année dernière n’est donc que le reflet objectif (les primes sont calculées en % des gains générés) de l’historique annuel.
Maintenant sur le fond : il est évident que les sommes manipulées et les gains générés peuvent donner le tournis. Ils peuvent même susciter une révolte bien compréhensible de la part de simples salariés qui se donnent à fond dans leur travail pour souvent moins de deux SMIC.
Je pense qu’il faut se rendre à l’évidence, qu’on le veuille ou non, une partie toujours plus grande de la valeur ajoutée est à mettre au crédit (sans mauvais jeu de mots) des instruments financiers. A quoi servent-ils ? A allouer au "meilleur" endroit (le plus rentable) des fonds disponibles, qui sans cela seraient en train de dormir.
C’est ce qu’on appelle des "relais de croissance". On va prendre un exemple simple : les machines-outils en Europe au début des années 2000. Dans le secteur des machines-outils, au début des années 2000, un pays comme la France est dans une situation de "plein équipement" ce qui veut dire que l’essentiel des ventes est le produit du renouvellement de vitesse de croisière. Dans le même temps, en Europe centrale, toutes les machines-outils (ou presque) en activité étaient obsolètes. La croissance des ventes de machines-outils en Europe centrale était bien plus forte qu’en France.
C’est là où le secteur de la finance intervient. Il intervient soit pour financer les entreprises qui vendent des machines-outils en Europe centrale, soit pour financer les entreprises qui les achètent. Dans les deux cas, les prêts sont remboursés sans trop de difficulté. D’un côté parce que la croissance des ventes et l’accumulation des marges commerciales réalisées permet le remboursement des prêts, et de l’autre côté parce que la croissance générée par la productivité supplémentaire obtenue grâce à des machines-outils modernes permet de rembourser l’emprunt contracté.
Des deux côtés, les prêts accordés sont à la fois plus nombreux, avec des montants globaux plus importants, et avec une vitesse de rotation élevée. Ces trois facteurs font que l’argent investi en Europe centrale rapporte plus que celui investi en France.
Voilà pour le relais de croissance. Les instruments financiers sont là pour permettre une allocation plus efficace des ressources. Et ils y arrivent de mieux en mieux. C’est pour cela qu’ils génèrent autant de profits.
Que le système bancaire se casse la gueule, que la crise du crédit s’intensifie, et c’est toute l’économie (improprement appelée économie réelle) qui serait touchée.
Finalement, la question derrière tout cela, ce n’est pas à proprement parler celle du système bancaire en lui-même. C’est le décalage qui existe entre les rémunérations d’un certain nombre d’individus, le risque que peuvent faire peser leurs actions si elles sont mal contrôlées, et là, je dois dire que je n’ai pas de réponse.
Quand vous avez un commercial, qui fait gagner 2.000.000 euros de marge à son entreprise en vendant des shampoings, vous trouvez normal qu’il ait un bonus de 10.000 euros à la fin de l’année, non ?
Mais s’il fait gagner 200.000.000 euros en arbitrant sur les marchés financiers, pourquoi n’aurait-il pas 1.000.000 euros de bonus ?
Tout le problème est dans la répartition des bénéfices, non dans le fait de savoir s’ils sont générés par les marchés financiers ou par une production de biens physiques.
Si on vous proposait à vous, un chèque de 200.000 euros à la fin de l’année, pour passer 70 heures/semaine devant des écrans d’ordinateurs à faire des calculs compliqués. Vous diriez "Non" ? Et si pour le même travail, votre collègue, qui fait gagner autant que vous à votre entreprise, on lui donne le double, vous trouveriez normal de rester à 200.000 au lieu de toucher 400.000 ?
En vous posant sincèrement ces questions, vous aurez peut-être une partie de la réponse à votre indignation.