L’ARBRE DU SENS
ET
LA HACHE DES REVOLUTIONS
Le spirituel, ô amis, est un très vieil arbre, et les torrents des temps de ruines ne l’ont jamais déraciné. Ses racines enfoncent l’esprit dans la matière. Son tronc appuie le conscient sur l’inconscient.
Ses deux branches maîtresses sont la sagesse et l’amour. La profusion de ses ramures exalte les sciences et les arts, la connaissance et la poésie. Des fleurs de sang paraissent, et des fruits très amers, en tel endroit de ce grand arbre ; mais ces fleurs et ces fruits se fanent et pourrissent vite. Leur couleur flamboyante et leur goût trompeur n’empoisonnent que les ignorants, et le vieil arbre reste à jamais l’arbre du sens.
Mais il est aujourd’hui bien menacé, ô amis ! Des fleurs douteuses l’envahissent avec leurs fruits menteurs. Et des mains que manipule le Monstre ont empoigné la hache des révolution. Et le Monstre attend votre complicité abusée, de votre souffrance, de votre égarement que vous joigniez vos mains à celles qui déjà veulent manier la ténébreuse hache.
Mais si vous résistez à cette tentation, si vous dépistez la ruse dans le principe, ô amis, ni le fer de la hache ni les terreurs ni les violences n’auront raison du très vieil arbre, qui est vous-mêmes. Il demeurera, avec ses nouvelles pousses et ses rides ancestrales, et il sera comme vous serez.
Le Voyageur sentit le peu d’écho. Un désarroi profond empêchait les exilés d’entendre ces paroles. Les visages se dérobaient dans la méfiance et l’accablement, ou bien n’offraient que doute, aigreur, irritation. On errait dans le désert de l’exil, et les uns et les autres avaient soif de pouvoir de servitude et domination. On croyait distinguer un principe, on en accompagnait la ruse, et le temps piègeait tout. Le voyageur, alors, prit parti de se taire. Dans les palabres, il observa, il observa. Dans le silence, il fit silence.
Sayd Bahodine Majrouh.