Hélas, trois fois hélas, tant d’erreurs, parfois grossières, dans cet article !! Pourtant l’intention de départ, lue dans le titre et dans l’introduction, faisaient s’attendre à un article intéressant... Et sur le principe et l’approche proposée, il l’est ! Mais dès les premières phrases, une personne qui connait un peu le sujet – comme je suppose humblement l’être – se sent vite déconcertée !
Je ne toucherai pas au fond de l’argumentaire (pourquoi islam et protestantisme sont créationnistes et pas les autres confessions monothéistes), car les arguments ont été suffisamment contredits. Mais plus en surface, il y a suffisamment de bévues pour que je réagisse...
- Créationnisme : problème de définition de départ.
- (Tout à fait pardonnable, mais ç’aurait été bon de le souligner.) Le créationnisme désigne à la fois un système d’idées fondé sur une compréhension littérale de certains textes, ainsi qu’il désigne en même temps une thèse métaphysique assez fondamentale, selon laquelle ce qui existe n’a pas existé de toute éternité mais est le produit, de près ou de loin, d’un acte créateur (« il n’y avait pas, puis il y a eu »). Chaque système de croyances à sa réponse à la cause de cet acte créateur : le Dieu des monothéismes, Vishnu, les Titans... Bien entendu, c’est du premier sens de créationnisme que l’on parle, mais mieux vaut clarifier les choses quand même.
- Il n’existe pas qu’une seule forme de créationnisme, mais plusieurs, dont un certain nombre ne remettent pas « totalement en doute les théories du scientifique ». Seules certaines formes de créationnisme le font. Des créationnistes sont d’ailleurs d’accord avec les grands principes tels le Big Bang et l’âge de l’univers.
- Littéralisme : mauvaise compréhension du terme.
- C’est une erreur énormément répandue, mais il y a une mauvaise compréhension du terme. Interpréter littéralement une expression revient à lui donner son sens habituel dans le contexte dans lequel l’expression a été formulée. Par exemple, si je lis « Émille cria à sa belle-mère qu’elle était une vraie peau de vache », il faut évidemment comprendre qu’Émile en a après le caractère acariâtre de sa belle-mère (lecture littérale) et qu’il n’est pas en train de constater que sa mère est faite de cuir ! (La seconde option s’appellerait une interprétation réaliste.) Ou encore qu’elle serait très rugueuse et poilue, et sentirait mauvais (lecture allégorique). Comprendre littéralement quelque chose, c’est comprendre son sens « à première vue ». La métaphore et le langage imagé peuvent parfaitement être pris en compte dans une interprétation littérale. Du coup il peut y avoir plusieurs lectures littérales ; et des lectures allégoriques.
Faire de la Genèse un récit historique est une possibilité de lecture littérale. Mais il y en a d’autres, comme celle basée sur le principe de l’intention de l’auteur permettant de dire que, le texte étant rédigé dans un style poétique, il ne faut pas le lire comme une chronique (autre style littéraire) de la création de l’univers, mais comme une façon d’exprimer ce qui se serait réellement passé.
- Présence du créationnisme dans les pays protestants : erroné.
- On peut facilement contredire l’argument : le créationnisme est peut-être présent aux États-Unis, mais il est pourtant sporadique au Royaume-Uni (pays protestant), aux Pays-Bas (pays protestant), au Danemark (pays protestant), en Norvège (pays protestant), en Suède (pays protestant), en Finlande (pays protestant), ainsi que dans les régions protestantes de l’Allemagne. L’exemple australien retourne encore plus l’argument, car l’Australie est encore moins protestante que le Royaume-Uni !
- « Un sentiment que l’on pourrait qualifier de noble, de moins rétrograde, mais qui, finalement, n’aboutira qu’à une lecture littérale de la Bible. Il n’est pas donné à tout le monde d’être théologien ! » - Assez choquant de lire cela lorsque l’on sait que les protestants ont été les premiers chrétiens (bien avant les catholiques) à instaurer la critique biblique et les approches modernes d’interprétation de la Bible ! Je n’en dirai pas plus. Et puis, délicieux commentaire en dernière phrase, comme si les protestants n’avaient pas de théologiens, et avaient raté le coche en essayant de le devenir...
- Lecture musulmane de l’Ancien Testament. Désolé d’exprimer le b.a.-ba du créationnisme musulman, mais que l’on sache que ce dernier se base sur une lecture du Coran et non de la Bible... B.a.-ba !
- La « querelle des origines », comme on l’appelle aux États-Unis surtout, a commencé au milieu du 19e siècle et a véritablement pris une forme structurée lors de l’émergeance du mouvement théologique fondamentaliste dès 1894 (Colloque de Niagara). L’offensive créationniste des années 1920 (en particulier en 1925 avec le procès Scopes ou « procès du singe ») marque – en fait, a provoqué – la division du camp théologique fondamentaliste entre les groupes dits « fondamentalistes » (protestataires, séparatistes, plus agressifs, traditionalistes, schismatiques, conservatisme plus total) et les groupes dits « néo-évangéliques » ou « évangéliques », conservateurs mais sur le plan théologique a minima.
- « Les protestants », « les musulmans »... La seule enquête sur l’opinion musulmane queje connaisse venait de Turquie, que l’on peut qualifier – il me semble (!) – de contrée d’origine de musulmans : la plupart des musulmans turcs, disent les enquêtes, soutiennent le principe métaphysique du créationnisme, et ils le font dans leurs contrées d’origine. Quant « aux protestants », difficile de tous les mettre dans le même panier ! Le protestantisme est intrinsèquement porté sur la liberté de conscience, et certains protestants ont des approches plus modernistes tandis que d’autres sont plus conservateurs, ne serait-ce que sur le plan théologique.
Bon je m’arrête ici, je crois que la liste est suffisamment longue... et mon texte aussi.
Mais il faut bien dire que ces questions-là, étant complexes, nécessitent nuance et précision accrues lorsque l’on prend le risque de les commenter.
Bel effort quand même...
Chiro