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Commentaire de Henri Masson

sur Femmes sans frontières


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Henri Masson 17 avril 2008 09:51

L’amabilité ne m’est pas étrangère et je ne suis pas agressif au départ. Mais votre condescendance, votre style et votre façon insidieuse d’aborder les choses, si semblables au comportement de qui-vous-savez (déformation plutôt que formation scientifique) n’appelaient pas l’amabilité. C’est vous qui avez donné le ton.

Ceci dit, admettons que vous ne soyez pas venu dans le sillage du "scientifique" boursicoteur.

Pour ce qui est des noms de scientifiques qui ont utilisé l’espéranto dans leurs spécialités, il s’agit de pionniers. Est-ce pour autant qu’ils ont disparu que l’usage de l’espéranto est lui aussi disparu dans ce domaine ? Si on parle de Komarov et de Gagarine à propos de vols orbitaux, est-ce pour autant qu’il n’y a rien eu après ? L’usage de l’espéranto n’a jamais cessé. Il a certes connu hauts et des bas, mais un article ne suffirait pas pour traiter ce sujet depuis le début jusqu’à nos jours.

Si j’ai cité des noms anciens, c’était pour montrer, notamment à propos de Pierre Corret, qu’il y a pratiquement cent ans cette année que la question de langue internationale, en médecine, a été traitée dans une thèse de doctorat et qu’on en est aujourd’hui au même point, même si l’anglais a occupé la place et apporté un semblant de solution, mais à quel coût pour les budgets de l’éducation dans la majorité des pays non-anglophones, pour 95% de l’humanité ! Il est évident que je ne pouvais pas, dans un commentaire déjà trop long, faire aussi état du présent. À l’heure de l’Internet, toute personne curieuse, dégourdie et pas trop demeurée peut trouver une foule de renseignements sans avoir à demander quoi que ce soit.

A propos de Tolkien, il avait étudié l’espéranto à 15 ans et il aimait beaucoup lire dans cette langue à laquelle il est toujours resté attaché. Il n’est pas impossible qu’il l’ait inspiré dans l’idée d’inventer une langue pour ses romans, le Sindarin, même si la conception est tout à fait différente. En 1932, il avait écrit : “Je conseille à tous ceux qui en ont le temps où l’envie de s’occuper du mouvement pour une langue internationale : soutenez loyalement l’espéranto”.

Quant à vos comptes, ils ne prennent pas en considérations les faits importants :

  1. on ne peut pas établir des statistiques comparatives sur les membres d’académies utilisant l’espéranto par rapport aux académies scientifiques étasunienne ou française sans tenir compte des nombres de locuteurs de chacune des langues ;
  2. l’espéranto n’est admis à titre officiel que dans un petit nombre d’établissements d’enseignement supérieur ( http://www.uea.org/agadoj/instruado/pirlot.html ; le seul pays qui soit exemplaire est la Hongrie : http://www.esperanto.hu/hu-lernejo.htm ) ;
  3. durant des décennies, sur les 12 d’existence de l’espéranto, il n’y a pas eu de profonde sensibilisation des populations au besoin de communication linguistique internationale, c’est ce qui a permis à l’anglais de s’imposer de la façon prévue par l’Anglo-American Conference Report 1961 http://www.esperanto-sat.info/article20.html : "la langue maternelle sera étudiée chronologiquement la première mais ensuite l’anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions deviendra la langue primordiale". Voir aussi : http://www.esperanto-sat.info/article608.html
  4. la plupart des étudiants ne savent rien de cette langue ou, dans le meilleur des cas, s’ils savent qu’il existe, ils imaginent que ça n’a jamais marché, que ça ne marche pas et que ça ne peut pas marcher, et, mieux encore, ils n’imaginent pas un instant qu’il existe une alterntive, qu’ils pourraient mieux communiquer qu’avec l’anglais au bout d’un temps d’étude nettement plus bref, donc qu’ils auraient plus de temps à consacrer à leur discipline à partir du moment où la décision de l’utiliser sera prise comme il en fut pour des mutations techniques telles que l’informatique ou l’Internet ;
  5. c’est une langue qui n’est pratiquement pas subventionnée, qui ne donne pas — pour le moment — un avantage de carrière ou en rémunérations. Les pionniers d’une idée ne sont presque jamais les premiers à en tirer profit. Il n’y a pas lieu pour autant de renoncer.
  6. en plus de cela, il existe des pressions énormes, et même des contraintes avec menaces et chantage, pour obliger les scientifiques à publier leurs travaux uniquement en anglais, même contre leur gré. Il y a eu un article éloquent à ce sujet dans "Le Monde" du 25 mars 1992 et ça ne s’est certainement pas arrangé depuis. La victime de cette affaire, directeur de recherches au CNRS, utilise l’espéranto et a co-écrit, entre autres, un énorme ouvrage de lichénologie dans cette langue http://lichenologue.org/fr/qui/qui.php
  7. c’est une langue aussi à propos de laquelle il est dit et écrit n’importe quoi de la façon la plus anti-scientifique qui soit. Le professeur Robert Phillipson, auteur de "Linguistic Imperialism" (Oxford University Press) a parfaitement résumé la situation en ces mots : "Le cynisme à propos de l’espéranto a fait partie de notre éducation". Même Claude Hagège a eu des commentaires tout à fait indignes d’un scientifique. Récemment, sur France Inter, à une question d’auditeur sur l’espéranto, il a répondu de façon aussi peu scientifique que ce qu’on aurait été en droit de l’attendre de lui, et même d’une façon induisant en erreur  :
  • Zamenhof était ophtalmologiste, et non linguiste — comme si c’était une preuve d’incompétence ! Le linguiste mondialement renommé Otto Jespersen a-t-il mieux réussi avec son "Novial", ou IALA, qui a éclaté lorsque Alexander Gode a imposé son point de vue pour son "Interlingua" ?
  • une grammaire consistant en 16 règles — comme si toute la grammaire ne se limiterait qu’à ça : il s’agit de règles fondamentales, essentielles, suffisantes pour déchiffrer un texte avec l’aide d’un dictionnaire : chose tout à fait impossible dans une autre langue ;
  • l’anglais est un "espéranto de facto" (sic !). Il faut une certaine myopie intellectuelle pour ne pas souligner la différence entre une langue nationale et une autre anationale, entre une langue hégémonique imposée et une langue à laquelle on vient par désir de partager l’effort, une langue qui nous satellise autour d’une puissance qui impose ses choix et une autre qui va dans le sens d’un monde équitable ;
  • il ne désire pas l’apprendre (personne ne le lui a demandé !) parce qu’il n’a pas d’attirance pour une langue née de l’inventivité humaine (en d’autres circonstances, il avait dit qu’il était "trop facile" ! — sic !) alors que toute langue est redevable à l’inventivité humaine, et faite d’une certaine façon, avec art, donc artificielle.

Par contre, il a remarquablement expliqué, de façon rationnelle, les difficultés de l’anglais qui en font une langue inappropriée dans le rôle de langue internationale. Malgré tout, il n’est pas opposé à l’espéranto et ça ne lui déplairait pas de le voir supplanter l’anglais. Peut-être aura-t-il alors l’envie de l’apprendre (?)... smiley

 

C’est un peu simpliste de croire qu’en dehors des membres des académies Comenius et AIS, fondées respectivement en 1986 et 1985, il n’existe pas d’autres scientifiques utilisant l’espéranto. Les auteurs des divers documents et communications de ces sites ne sont pas rédigés que par des académiciens :

 

http://bertin.ifrance.com/catal/sbf.htm

 

http://www.eventoj.hu/steb/

 Et tout ceci a été réalisé presque en totalité de façon bénévole, sans l’aide des États alors que l’anglais, la langue la plus enseignée, l’est aux frais des contribuables et au grand profit de ceux qui, par leur langue, veulent mener le monde à leur guise.

Et je ne prétends pas tout savoir sur ce sujet autrement plus vaste qu’on ne le suppose.

Quant à obtenir des renseignements de première main, même sans savoir l’espéranto, vous pouvez écrire au professeur Reinhard Fössmeier dont vous trouverez l’adresse sous "Kontakto" sur http://www.ais-sanmarino.org/


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