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Commentaire de fonzibrain

sur France 2 et Enderlin déboutés, Média-Ratings relaxé


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W.Best fonzibrain 29 mai 2008 01:48

voila plus d’extrait

Le parti pris
derrière « la routine des mots »

Si Joss Dray et Denis Sieffert analysent les offensives communicationnelles du gouvernement israélien et de ses relais, ils se penchent également sur le traitement médiatique routinier de l’actualité du Proche-Orient. Ils montrent comment la volonté affichée de s’en tenir aux « faits » peut aboutir à faire du journaliste le relais zélé de la propagande : « Lorsque Sharon dit : “Je tiens Arafat pour unique responsable de l’attentat”, nos médias audiovisuels traduisent : “Sharon tient Arafat pour unique responsable de l’attentat”. Lorsque Sharon déclare le leader palestinien “hors jeu”, la radio tempère : “Sharon déclare Arafat hors jeu.” On imagine ce que retient l’auditeur. En dépit de la fragile précaution de langage, on voit bien le rôle d’amplificateur d’une formule qui, faute d’être jamais démontrée, demeure à l’état d’acte de propagande. » Ils pointent également une « obsession de la symétrie » entre occupant et occupé, symétrie que le journaliste « confond avec l’impartialité », et qui lui fait courir le risque de travestir « une réalité qui, elle n’est pas toujours équitable ». Le parti pris niche parfois aussi dans « les mécanismes de répétition, les mots routiniers qui circulent sans qu’on y prenne plus garde, et que jamais on n’interroge ». Ainsi cette annonce de titres, en ouverture du journal de France-Inter, le 10 mars 2002 : « Les espoirs de paix réduits à néant par de nouveaux attentats. » « Quel est donc cet “espoir de paix” que l’attentat aurait “réduit à néant” ? s’interrogent nos auteurs, perplexes. Quelle offre généreuse d’Ariel Sharon ou de George W. Bush allait être remisée dans un tiroir par la faute de cette bombe de trop ? A moins qu’il ne faille poser la question différemment : pourquoi les attentats palestiniens anéantiraient-ils davantage les espoirs de paix que les obus meurtriers de l’armée israélienne dans les ruelles étroites des camps de réfugiés ? » Autre expression rabâchée sans explication : quand un attentat est revendiqué par les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, on précise qu’il s’agit là d’une organisation « proche du Fatah de Yasser Arafat ». Or, « rares sont les journalistes qui tenteront d’expliquer que l’occupation a autonomisé des pouvoirs locaux qui se détachent de l’autorité d’Arafat ». « Il a ses conceptions, nous avons les nôtres », dit un chef local du Fatah à Naplouse, parlant d’Arafat, quand un journaliste de France 2 lui demande comment il peut approuver les attentats-suicides alors que le président s’y oppose. Le 15 mars, les auteurs relèvent aussi ce stupéfiant « chapeau » d’un article du Monde, qui évoque une « relative accalmie » dans la région, avant d’ajouter : « Onze Palestiniens ont néanmoins été tués. » Ils commentent : « On n’en finira jamais d’analyser ce “néanmoins”, échappé comme un terrible lapsus de notre subconscient occidental. » Dressant le bilan de leur étude d’une période donnée, ils en arrivent à cette conclusion : « Onze morts palestiniens entrent dans la catégorie journalistique “relative accalmie” ; tandis qu’un mort israélien marque la fin d’une “accalmie de courte durée”. »

Un traitement qui
« survalorise la violence et la haine »

Constatant que la propagande israélienne a largement réussi à accréditer l’image d’une société palestinienne entièrement terroriste, ils observent en dernier ressort : « Le regard de la presse opère souvent une sélection qui valorise la violence et le pire. Ce n’est pas ici nécessairement un choix idéologique. Ce qu’on appelle plus ou moins improprement les “lois de l’information” agissent dans ce sens. C’est aussi tout simplement la société du spectacle. Même quand le “spectacle” est mortifère. » Dans la dernière partie du livre, ils donnent la parole à des femmes des comités de quartiers de Ramallah : un visage de la société palestinienne qui ne fera jamais l’ouverture des journaux télévisés, mais qui n’en est pas moins tout aussi réel que celui du terrorisme. « Il ne s’agit pas de céder à un quelconque angélisme, ni à une idéalisation d’un peuple “martyrisé”. Il ne faut pas méconnaître cette autre réalité dont se repaissent la plupart des médias. Mais celle dont témoignent ces femmes mérite au moins autant notre regard. Sans compter qu’elle délivre aux Israéliens qui veulent la paix un autre message, aux antipodes de celui de leurs chaînes de télévision qui survalorisent la violence et la haine. Elle devrait rendre l’espoir à ceux qui ne sont pas dupes d’une représentation de tout un peuple caricaturé dans la barbarie. » Et ils font remarquer : « Ce que nous choisissons de voir au cœur de la société palestinienne, ce que nous voulons en retenir nous dit au moins autant de choses sur nous-mêmes que sur les Palestiniens. »

Cette fascination hypnotique de la violence, de nombreux médias de la communauté juive de France ont choisi de s’y complaire. Joss Dray et Denis Sieffert relèvent l’alarmisme du mensuel L’Arche, qui publie, en même temps qu’un dossier sur le « pogrom de Durban » - suite à la conférence mondiale des Nations unies sur le racisme qui s’est tenue en Afrique du Sud en septembre 2001, et où des ONG palestiniennes et arabes ont qualifié le sionisme de « racisme » -, la charte du Hamas : « Document en effet totalement raciste et absolument effrayant. Comme peuvent l’être les discours racistes de feu le rabbin Kahana, fondateur du mouvement juif extrémiste Kach. Que voulait-on ainsi démontrer ? Si l’on avait remis cette publication dans le champ politique, on aurait probablement conclu que le Hamas était un courant raciste et violent de la société palestinienne. On se serait interrogé sur les raisons de l’énorme gain d’influence d’un mouvement qui était groupusculaire quinze ans plus tôt. On en aurait certainement déduit qu’il était urgent d’aider d’autres courants palestiniens à faire barrage au Hamas. Peut-être même Yasser Arafat, en dépit de ses innombrables défauts. Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que telle n’était pas la démarche des auteurs du dossier. (...) Sa lecture en devient terrifiante, sans autre issue que l’autodéfense et l’affrontement. Associé aux sombres prophéties de l’après-Durban, il produit un effet fantasmagorique : ce numéro de L’Arche sollicitait la peur, qui, comme nul ne l’ignore, n’est pas bonne conseillère. » Ainsi, il se produit une « confusion entre la partie et le tout », et la pluralité de la société palestinienne disparaît.

Louable travail de remise en perspective et de relativisation. Le problème - Joss Dray et Denis Sieffert en sont bien conscients -, c’est que, « à force de vouloir imposer une représentation violente de la société palestinienne, les responsables israéliens et certains médias finissent, tôt ou tard, par produire une réalité qui ressemble à cette représentation. La désinformation n’est pas seulement un travestissement de la vérité. Elle finit aussi par transformer la réalité. » C’est le sens de l’inquiétude qu’exprimait en mai dernier le militant israélien de la paix Michel Warschawski, dans un entretien pour la revue Vacarme : « On est dans un processus d’ethnicisation du conflit. (...) Les Palestiniens n’existent plus comme entité humaine : ils sont le terrorisme. Face à nous, il n’y a plus un peuple, contre lequel on se bat, qu’on tue, même, parce qu’on a des désaccords sur les frontières, sur les ressources, mais un fléau. C’est pourquoi le débat sur le massacre ou non à Jénine est un débat vaseux : la question n’est pas le nombre de morts, mais cette armée - et cette jeunesse - pour qui l’autre n’existe plus comme être humain. »

Il n’y a pourtant rien d’autre à faire que ce à quoi se sont attelés Joss Dray et Denis Sieffert, même s’ils auront sans doute l’impression de vider l’océan avec une petite cuillère. Au moment où paraît leur livre, on lit dans L’Humanité (11 septembre 2002) cette information : Olivier Guland, rédacteur en chef de Tribune juive, a demandé à quitter ses fonctions en bénéficiant de la clause de conscience. Il dénonce un « changement d’orientation » du bimensuel et affirme avoir « subi des pressions pour renoncer à une couverture pluraliste de la communauté juive et de l’actualité au Proche-Orient » : « Tout se passe aujourd’hui comme si la communauté juive organisée devait se comporter comme la représentante en France d’un Etat étranger et se sentait obligée de défendre les positions les plus radicales d’Israël. » Rien qui incite à l’optimisme.

Mona Chollet
Joss Dray et Denis Sieffert, La guerre israélienne de l’information, La Découverte, 127 pages.

 


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