Bonjour,
j’avais prévu d’éditer un article sur ce thème mais l’auteur m’a précédé, qui plus est, avec des références supplémentaires. On peut lui en savoir gré. J’interviens juste sur la question que se posent les enquêteurs eux-mêmes : Pourquoi si peu de plaintes enregistrées ?
(Désolé de faire si long)
Certains commentateurs se réjouissent de l’abolition d’un tabou qui se traduisait auparavant par une abolition de la parole et un déni général. Mais c’est ignorer que pour abolir un tabou, il faut d’abord combattre socialement les barrières collectives qui verrouillent l’expression. Si parler à un enquêteur (sondage) est devenu familier porter plainte auprès de la police signe le premier véritable rapport de la victime au collectif. C’est par cet acte, suivi d’une enquête, que la société signifie qu’elle prend en compte une parole de souffrance. De ce point de vue, l’Europe, en général, est en pleine régression. La reconnaissance des souffrances de la victime par la société est une étape fondamentale et nécessaire au processus de réparation... La régression sur le terrain des droits des femmes et de la défense de l’enfance s’établit à un niveau politique et au niveau des mentalités. (Nous aurons sûrement à y revenir lors de la publication d’autres articles sur ce thème.)
À quoi cela peut-il tenir ? En premier lieu, il est patent que l’attitude de la police et des juges/procureurs incite les plaignants à une certaine réserve. Même si de considérables progrès sont constatables au sein de la police, même si, en théorie, chaque dossier de viol doit être traité par une cellule spécialisée, dans les faits, il en va tout autrement. J’ai recueilli dernièrement les paroles de plaignantes qui s’étaient vues devoir signifier leur plainte dans un local de police ouvert à tous et parcouru par les divers personnels et personnes concernées par d’autres affaires de police.
Je viens de recueillir le témoignage d’une maman qui a porté plainte après l’agression/viol dont sa fille a été victime (6ans). Le procureur a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner une expertise médico-légale de l’enfant au prétexte que cela serait plus traumatisant que ce qu’elle avait subi. Traduction : Moi, Procureur de la République, à la seule lecture du rapport du policier chargé d’interroger l’enfant, Moi, Juge et expert en Psychiatrie, je décide que les sévices subies sont moindres que ne le serait une expertise médicale pratiquée par des praticiens formés et diligents...
Or, 10 mois après, l’affaire sera forcément qualifiée en délit... puis les choses traînant, les parents vont se décourager et il n’y aura plus qu’un non lieu à prononcer... affaire classée. En attendant, une petite fille devra « faire avec ».
On est loin de la diligence et de la prudence nécessaires à ce type d’affaire. On instrumentalise l’agression par le déni total du vécu de la victime. Autrement dit, on refuse d’envisager le préjudice subi par celle-ci. Ces méthodes bafouent volontairement ou non la fragilité des victimes. La hiérarchie policière, soit par volonté, soit par manque de moyens, traite ce genre d’affaire avec une désinvolture coupable. Bien souvent les faits sont arbitrairement déclassés afin d’éviter l’encombrement des Assises et un viol peut se trouver requalifier en "attouchements". Parfois des juges d’instruction demandent qu’une plaignante se soumette à une expertise psychiatrique au prétexte d’évaluer les dommages subis mais l’obsession de beaucoup d’enquêteurs demeure la crédibilité des plaignantes. Pourtant de nombreuses enquêtes engagées au Canada et aux États-Unis, ont démontré que les fausses allégations sont rares. De plus les ravages du procès d’Outreau ont rendu les juges plus que prudents. Loin de remettre en cause leurs méthodes d’investigation, leur attitude tend à se rigidifier.
Au Canada, dans des affaires de pédocriminalité, d’inceste ou de viol, les interrogatoires sont filmés intégralement (C’en est au début en France). Et quand il s’agit d’une personne mineure, les éducateurs ou intervenants sociaux, qui auraient reçu un premier signalement, peuvent mener l’enquête eux-mêmes en relation avec la police. C’est impensable en Europe tant acteurs sociaux et policiers se méfient les uns des autres. Pourtant il sera plus facile pour une jeune personne de se confier à un éducateur qu’à un policier.
Réagissant à la généralisation récente, à partir de juin 2008, de l’enregistrement vidéo des gardes à vue et des auditions chez le juge d’instruction dans les affaires criminelles (hors terrorisme et associations de malfaiteurs), Christophe Régnard, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) explique pourquoi il y est hostile.
Sur 20minutes,
Ses arguments sont purement techniques, pas un seul en rapport avec les victimes, pas un mot d’éthique. Comment, dans une société où l’information circule quasiment en temps réel, penser que le public ne sera pas sensible à cette retenue de l’autorité judiciaire, voire ce conservatisme ? Les magistrats perdent là une occasion de montrer qu’ils appartiennent à un grand corps d’État chargé de défendre les libertés et de maintenir l’équité en toutes choses, non pas à une corporation soucieuse de préserver ses privilèges.
Une autre explication ne doit pas manquer de nous interpeller. Une victime me rapportait son témoignage affirmant qu’elle n’avait parlé de son agression ni à sa mère ni à quiconque d’autre – elle avait 12 ans à l’époque des faits – car elle se sentait honteuse de ce qui s’était passé entre son agresseur et elle. On ne manque pas d’être intrigué par cette culpabilité dont témoigne la plupart des victimes de viol même quand celui-ci a été perpétré dans la petite enfance. Nombre de rescapés de l’inceste révèlent ce doute qui les a toujours assaillis sur la réalité de leur statut de victime. N’y a-t-il pas là l’expression d’une grave carence sociale ? Quand un commerçant est victime d’un vol, il ne doute pas un instant de la réalité du délit dont il vient d’être victime. En effet, la société a érigé depuis des siècles des srtates successives qui permettent à chaque partie de nommer le déni, ce qui libère d’autant la victime du poids du doute. Pourquoi en serait-il autrement pour des victimes d’incestes ou de viol dans l’enfance ou l’adolescence ? Force est de considérer que nos sociétés, qui se voudraient évoluées, n’ont établi aucune règle qui permette de qualifier réellement ce genre de crime/délit. On en reste à des règles d’usage ou à l’arbitraire des situations et des individus. Outreau et Burgaud en sont un exemple frappant. On éponge après en s’efforçant de noyer rapidement le poisson.
Il a existé un phénomène similaire dans nos sociétés : dans les premières années d’épidémie de SIDA, de nombreuses victimes du virus exprimaient un tel malaise coupable. Nous en étions, à cette époque, aux rumeurs malsaines qui clouaient au pilori les homosexuels, les prostituées et les Africains...
Les rumeurs naissent sur fond d’ignorance et de passions, mais pas seulement. Il leur faut des relais pour durer. A contrario, le savoir, la connaissance, l’instruction, l’information sont de puissants antidotes à la propagation des rumeurs et des préjugés. Concernant les agressions sexuelles, l’esclavage sexuel auquel de nombreuses femmes et enfants sont soumis, cette inertie de la collectivité révèle les dessous d’une conscience collective qui n’ont pas encore dépassé les mentalités archaïques de domination de l’homme et du père, dans la famille, dans la société. Cet archaïsme est fort bien perçu par l’enfant dès les premiers temps de l’ouverture de sa conscience au monde. Ajoutons à cela la persistance d’une vision toute aussi primaire de la famille qui n’a pas permis de développer des attitudes familiales adaptées au monde contemporain et ouverte sur l’extérieur. Sur fond d’individualisme, on voit trop souvent des familles crispées autour du maintien d’un noyau constitué du père-dominant, de la mère-relais de l’autorité du premier et des enfants ; dans une architecture qui favorise et amplifie cet isolement, l’enfant peut se retrouver dans une prison de mots, de comportements et de fantasmes qui ne lui permettront pas de trouver une oreille attentive s’il est agressé.
La famille traditionnelle, par la multiplicité de ses composantes, offrait la possibilité, pour un enfant, de compenser les attitudes extrêmes d’un parent. Au moins, la blessure de l’inceste ou du viol dans l’enfance trouvait une écoute attentive du côté d’un oncle, d’une tante, d’une grand-mère...
(J’ai, dans mes archives, de nombreux témoignages qui attestent que quand l’environnement octroie à la victime un lieu d’écoute approprié, la construction de la personnalité se fait de manière moins heurtée que quand celle-ci se trouve isolée)
L’isolement actuel ne le permet pas, offrant au prédateur les facilités pour son œuvre malfaisante ; un des comportements habituels du prédateur consistant à isoler sa victime du monde environnant et la soumettant à une surveillance constante qui prendra des formes diverses selon le milieu social, plus ou moins brutales, plus ou moins subtiles.
Voici quelques éléments de réflexion, partiels certes, concernant les agressions sexuelles dans l’enfance.
Pourquoi si peu de plaintes enregistrées ?
19/06 10:11 - Kieser
@l’auteur, je viens de réagir à votre article : Le viol, arme de maintien de (...)
16/06 18:37 - hans lefebvre
Certes, si notre justice est loin d’être parfaite, toutefois elle ne peut pas (...)
13/06 21:55 - hans lefebvre
Merci pour votre apport au débat, et votre long commentaire qui illustre votre engagement dans (...)
13/06 17:34 - Coquille
Si, j’ignore en partie les possibilités actuelles de la médecine légale. Je me basais (...)
13/06 14:53 - Kieser
@l’auteur, Bien lu votre commentaire, nous sommes bien d’accord sur votre première (...)
13/06 14:40 - Kieser
Bonjour, j’avais prévu d’éditer un article sur ce thème mais l’auteur (...)
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