Il ne faut pas mélanger les genres. Soit on discute de cette question d’un point de vue purement juridique, et on se balance des jurisprudences à chaque commentaire, soit l’on a une discussion de fond, et il va falloir chercher autre chose que "c’est dans la Constitution / ce n’est pas dans la Constitution".
Je vais donc placer le débat sur la question de fond, à savoir l’organisation du droit de grève dans notre société -du XXIème siècle, histoire que l’on ne se trompe pas d’époque.
Quand des salariés (secteur public ou privé) font grève, c’est qu’ils ont une revendication à faire valoir. Et pour la faire valoir, ils s’arretent de travailler pour faire pression sur leurs employeurs. Jusque là, je pense que l’on sera d’accord.
Plusieurs questions de fond se posent : dans quelle mesure des grévistes ont-ils le droit d’étendre leur pression sur des tiers ?
1) Ont-ils le droit d’empêcher de travailler des collègues qui ont décidé de ne pas faire grève ? (question des piquets de grève)
En effet, sur quelles justifications la revendication de tel ou tel groupe de salariés aurait un droit supérieur à ceux qui ne revendiquent rien ?
2) Ont-ils le droit de gêner les déplacements, d’empêcher de travailler des personnes qui ne sont en rien concernés par le conflit ? (question des blocages de voies de circulation, etc)
Qu’est-ce qui légitime ces actions dont la conséquence directe et le but affiché sont de bloquer les gens, de les obliger à prendre des jours de congés qu’ils n’avaient aps forcément prévu, etc.
Ma réponse est simple : dans les deux cas, c’est non.
Non parce que toutes les justifications avancées jusqu’à présent dans les médias sont soit fallacieuses ("c’est pour tout le monde qu’on se bat" dans la lutte contre la réforme des régimes spéciaux par exemple), soit ne sont pas des justifications, mais un aveu d’impuissance ("on fait cela pour attirer l’attention des médias" ce qui veut dire que sans les médias, les syndicats n’ont aucun pouvoir de pression).
Tout le problème est là : la France souffre de syndicats faibles - donc agressifs et sans solutions - qui n’existent que par la perturbation médiatique qu’ils provoquent.
Vivant aux crochets des organismes sociaux (Assedics et autres Caisses de retraite), figés dans le système de représentativité - qui masque un gel total et un oligopole sur ce qui n’a que le nom de dialogue social, les syndicats français vont devoir accepter une véritable remise en cause pour renaître, ou mourir d’immobilisme.
La seule solution passe par la liberté syndicale totale. Que tout groupe de salariés puisse créer un syndicat, aussi facilement qu’une association de loi 1901, afin que les salariés représentés ne soient plus seulement ceux des grands groupes et de la fonction publique, mais tous les salariés des PME/TPE.
Seule cette liberté là pourra guérir les syndicats français de leur absence totale de légitimité. Il faudrait également, qu’au travers d’une participation plus forte du Conseil Economique et Social dans le processus législatif, que les partenaires sociaux puissent avoir un rôle actif dans la création des normes.
Et il va falloir également que les syndicats français comprennent une fois pour toutes qu’il va falloir qu’ils se bougent le c... pour aller défendre les salariés à Bruxelles, dans les Comités techniques et à la Commission Européenne, qu’ils fassent eux aussi du lobbying pour que ne soient pas seulement représentés les grandes entreprises et les hommes d’affaires.
Voilà les vraies questions. Mais c’est tellement plus commode de balancer "le Gouvernement s’attaque au droit de grève" que de se demander quelles sont les vraies raisons de l’inversion du rapport de forces entre les salariés et les employeurs...