Bonjour,
Re-d’accord avec vous Kieser !
Il me parait utile d’apporter à ce débat mon témoignage de dépôt de plainte, ainsi que quelques éléments d’autres témoignages que j’ai pu lire sur le sujet.
Désolée pour la longueur.
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Sur un forum d’échange entre victimes auquel je participe, l’animatrice a lancé la semaine dernière un sondage sur les conditions de dépôt de plainte. Trois réponses possibles à la question du "comment votre plainte s’est-elle déroulée ?" : 1. le mieux possible. 2. difficilement par manque de connaissance du personnel chargé de vous entendre. 3. difficilement car on vous a volontairement mis des bâtons dans les roues. 14 votes et témoignages pour le moment : six ont voté 1, cinq ont voté 2 et trois ont voté 3. Je prétends pas en faire une statistique mais je trouve l’aperçu instantanné de la semaine assez inquiétant pour le souligner.
Parmi les personnes ayant voté 1, trois rapportent des témoignages alarmants sur le déroulement de leur procédure. Une s’est entendue dire dans le hall d’entrée : "je vous sens pas sûre là, il faut être prête, ça va couter de l’argent et du temps alors faut tout me dire maintenant...". Une autre a voté 1 car la déposition s’est bien déroulée, mais l’expert psy de l’instruction l’a démolie : Il a conclu en 20 minutes qu’elle était psychotique en lui assénant des propos choquants et dégradants. Suite à quoi l’affaire a été classée. Elle était suivie et n’a jamais été diagnostiquée comme telle. Plus grave : une psychotique ne peut pas être victime ? Une psychotique ne peut demander justice ? Elle n’a plus de droits ? Enfin une troisième s’est vue ensuite "proposer le choix de la correctionnalisation" par le procureur (la semaine dernière). En cours.
Pour ce qui est des autres témoignages : une internaute rapporte qu’elle a porté plainte pour une première agression, accompagnée par sa mère. Cette dernière était hospitalisée au moment de faits. Pour cette raison, l’opj lui a dit qu’elle était responsable, devant sa fille. La victime explique qu’elle a ensuite été abusée par un autre agresseur et n’a jamais osé le dire à qui que ce soit, surtout pas sa mère ! Une autre s’offusque d’avoir été soumises à une expertise psy, et pas son agresseur. Son affaire a été classée sans suite. Elle commente "c’était en pleine affaire Outreau". Elle rapporte que son agresseur a continué à la harceler dans la rue.
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Pour ma part, j’ai voté 2 car il n’y avait qu’une seule réponse possible. J’aurais pu voter 2 et 3. Je peux apporter un témoignage plus détaillé que les précédents, puisqu’il s’agit du mien.
Devenue adulte, j’ai porté plainte pour viols sur mineurs de 15 ans (= moins de quinze ans) par une personne de ma famille. A l’accueil du commissariat, j’ai exposé le motif de ma plainte en demandant à déposer auprès de la brigade des mineurs. La policière chargée de l’accueil m’a alors interrogée de façon inutilement détaillée pendant 15 minutes. Dans le hall d’entrée, dénuée du moindre souci de discrétion, elle m’a demandé en boucle : Qui ? Où ? Où habite-t-il maintenant ? Pourquoi n’êtes vous pas venue avant ? Pendant combien de temps ? Comment ?. Pour finalement m’annoncer que la brigade des mineurs était fermée le week end et que je devais revenir le lundi.
Je suis revenue le lundi. J’ai cette fois refusé de répondre à nouveau à toutes ces questions. Je m’en suis tenue au motif de ma plainte en expliquant que j’étais déjà venue l’avant veille, et que leur collègue m’avait dit de revenir et de demander à m’adresser à la brigade des mineurs. Cette attitude m’a valu des réfléxions désagréables et 45 minutes d’attente sans que me sois donnée la moindre information. J’ai tenté de me renseigner. Les policières en service à l’accueil m’ont séchement ordonné de me montrer plus calme et plus patiente... puisque je n’avais pas daigné leur en dire davantage ! J’aurais pu partir, cela n’aurait dérangé personne.
Un opj a fini par venir me chercher et m’a conduite dans son petit bureau qu’il partage avec une collègue. Celle-ci m’a annoncé : "Ne vous inquiétez pas pour moi ! Des histoires comme ça, j’en entends toute la journée, ça ne va pas m’empêcher de continuer à travailler dans mon coin". L’opj avait le plus grand mal à retranscrire correctement mes propos. Il ne lui est pas venu à l’idée de me faire lire ce qu’il écrivait au fur et à mesure. J’ai donc pris le parti de me pencher au dessus de son bureau pour corriger pendant qu’il écrivait. Et il y avait beaucoup à corriger : je le voyais border, déformer et même écrire des choses que je n’avais pas dites. Un autre de ses collègue entrait toutes les 10 minutes dans le bureau pour lui poser des questions sur d’autres affaires, lui emprunter un stylo, venir prendre un dossier dans le placard. J’interrompais alors mon récit, ce qui semblait agacer "mon" opj : "ne vous en précoccupez pas, continuez". Au bout d’un peu plus d’une heure, il est devenu clair qu’il avait hâte d’en finir et m’a demandé de conclure, arguant qu’il devait en référer au parquet avant midi. Je ne tournais pourtant pas en rond, je débitais assez froidement ma trop longue histoire. Il m’a fallu insister pour essayer de finir avant de relire dans l’urgence la déposition et corriger tout ce qui m’avait échappé pendant. Avant que je ne parte, il a jugé bon de me faire part de sa surprise de me voir "si affectée" par "cette histoire". Devant ma mine déconfite, il a précisé que ça dépendait des victimes et que certaines parvenaient à mieux le surmonter que moi. Merci monsieur !
Mon avocat m’a ensuite fait remarqué qu’il avait titré la plainte "agressions sexuelles aggravées". Ma déposition comprend pourtant la description d’actes nommés viols dans le code pénal français. Je suis retournée pour corriger cette qualification, ainsi qu’une faute de frappe déformant radicalement le sens d’un de mes propos. L’opj voulait aussi que je précise ma déposition (incomplète donc...). J’ai été reçue dans un autre bureau où un mis en cause s’expliquait à deux mètres de moi. Il était accusé de violences sur sa fille. C’était un "ancien de la maison" qui tutoyait son "collègue" : "Bon, oui des fois, je lève un peu la main sur elle. Mais bon, je suis comme ça, je suis un mec vif. Tu t’énerves jamais avec tes enfants toi ? Et la voisine ne m’accuse d’actes de maltraitance sur mon chat pendant qu’on y est ?" . Un rien perturbant. Pendant ce temps, je devais répéter à l’opj ce qu’il n’avait pas pris la peine de noter la première fois et répondre à ses questions cliniques sur la descriptions des faits. J’en suis venue à lui dicter mot pour mot la retranscription de mes réponses pour éviter ses erreurs. Le père de famille lisait et commentait les éléments de son dossier, alors que l’opj m’expliquait qu’il n’avait pas le droit de me montrer le rapport de la première expertise psy dont j’avais fait l’objet entre temps.
Cela ne veut pas dire que mon affaire sera traitée par dessus la jambe. Mais cela explique pourquoi il n’est pas déraisonnable pour une victime de redouter un dépot de plainte.
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J’ai ainsi pu relever : un manque de moyen, une incompétence et une attitude inappropriée du personnel policier. On peut répondre qu’il n’y a pas assez d’argent pour assurer la formation des agents. J’ai déjà entendu cet argument et je trouve qu’il en dit long sur la nature des mentalités a priori : ainsi donc, une formation spécifique à l’accueil des victimes est nécessaire pour savoir qualifier un viol à la brigade des mineurs ? Pour éviter d’interroger un plaignant dans le hall d’entrée du commissariat ? Pour ne pas dire à une fille que son père a violé que ce dernier s’est excusé et qu’elle va lui gâcher sa vie en le poursuivant ? Pour qu’un expert ne réponde pas à une femme portant plainte contre son frère pour viols que "lui n’appelle pas le président dès qu’il s’engueule avec sa femme" ?
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