Pour ajouter mon grain de sel, j’éprouve moi aussi un certain malaise devant le déferlement médiatique autour de la libération d’Ingrid Betancourt.
Je précise d’emblée que cela n’a rien à voir avec les mérites de cette femme courageuse, et qu’en apprenant sa libération j’ai trouvé, brièvement, que le monde était moins sinistre.
De même, je n’ai pas été cracher dans la soupe en affirmant que sa libération a été je ne sais quelle magouille américano-narco-sioniste comme une certaine félée que je n’ai pas besoin de nommer.
Mais de là à l’accueillir à l’Assemblée Nationale ? Lui remettre la Légion d’honneur (je sais bien qu’on l’a même épinglée sur le maillot d’une grande gamine de vingt ans dont le seul titre de gloire est de nager plus vite que les autres...) ?
En somme, Ingrid Betancourt, qu’-a-t-elle fait pour la France pour être honorée de la sorte ?
A-t-on reçu de la même façon Florence Aubenas, ou mieux encore, la kyrielle de Français otages au Liban il y a vingt ans ?
Ingrid Betancourt n’est pas une mère de famille anonyme, brusquement arrachée sux siens, mais, au moment de son enlèvement, candidate à la fonction suprême dans un pays gangréné par la violence et les enlèvements. Elle savait les risques qu’elle prenait.
Ce qui n’ote rien à son mérite, son courage, sa valeur.
Si le propre de toutes ces célébrations c’est d’honorer la liberté retrouvée de l’innocent, il existe de nombreuses victimes d’erreurs judiciaires qui feraient bien l’affaire.
Seulement, voilà, une tournure d’esprit bien contemporaine ne semble vibrer qu’à l’exploit sportif, ou à la mise en valeur ritualisée du corps souffrant qu’est l’emprisonnement.
Ce phénomène se remarque aux Etats-Unis dans la candidature de John McCain, dont le principal titre de gloire c’est d’avoir été prisonnier de guerre pendant de longues années, et, surtout, d’avoir subi privations et tortures.
J’ajouterai (et encore une fois, cela n’ote rien au respect que j’éprouve pour Madame Betancourt) que la victime a été adoptée et soutenue par une classe politique qui lui ressemble, et qui fait penser diablement à l’hyper-classe’ dont Attali nous a annoncé l’avènement il y a quelques années. Issue de grandes familles, ayant fréquenté les mêmes écoles, liée par de puissants réseaux, surtout, nomade et cosmopolite. L’imprécision concernant la nationalité de Madame Betancourt en est un bon exemple.De plus, vous noterez qu’en France ses plus fervents soutiens, Delanoë, Sarkozy, Villepin, ont tous approximativement le même âge qu’elle à quelques années près. Il est sans doute parfaitement normal que des gens qui se ressemblent - par-delà les clivages politiques - aient spécialement à coeur le sauvetage d’un des leurs. Mais on aimerait qu’une telle solidarité s’exerce plus largement. Hélas, comme le constatent les sociologues, nous sommes dans l’ère de l’entre-soi.