L’ultimatum de l’Occident contre les pays musulmans
La victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes et la poursuite du programme d’enrichissement nucléaire de l’Iran ont durci le ton des pays occidentaux. Alors qu’un blocus économique est évoqué, et que des frappes militaires sont déjà envisagés, le discours bushien d’exportation de la démocratie révèle, avec fracas, toutes ses ambiguités.
« Tous les membres du futur gouvernement palestinien doivent s’engager en faveur de la non-violence, doivent reconnaître Israël et accepter les accords passés et leurs obligations - y compris la »feuille de route". Le ton est donné. Gare à ceux qui en douterait, la « communauté internationale » est sur le pied de guerre. On le croirait du moins en écoutant les dernières déclarations du Quartet, du nom de ces quatre pays (Etats-Unis, Union européenne, ONU et Russie) qui supervisent l’application de la feuille de route entre l’Autorité palestinienne et Israël. Des menaces à peine voilées.
Le triomphe électoral du Hamas, même s’il n’est pas une surprise, n’a évidemment pas réjouit les chancelleries occidentales, premiers bailleurs de fond de la Palestine. Ceci pour plusieurs raisons. Le parti islamique, qui mène depuis plus d’une décennie le combat et la résistance contre l’occupation sioniste, ne reconnaît pas l’existence de l’Etat d’Israël et dénonce régulièrement son non-respect du droit international et de tous les accords politiques signés ou entérinés, des accords d’Oslo en passant à l’actuelle feuille de route. Il faut dire que la violation de plus de trente résolutions votées par l’ONU et sa politique systématique d’assassinats extrajudiciaires, dont furent victimes, il y a deux ans, les leaders et fondateurs du Hamas (le Cheikh Ahmed Yassine et Abdelaziz Al Rantissi), n’ont pas vraiment facilité le dialogue entre les deux camps. Le tout, dans un contexte où l’affaiblissement d’Ariel Sharon et son retrait de la vie politique ont privé les autorités juives de leur homme fort, en dépit du relatif isolement où les avaient plongé sa politique violente et unilatérale (bombardement des territoires occupés, construction du mur). Pourtant, très paradoxalement, la mort politique de Sharon et l’alternative politique palestinienne qui l’a suivie, vont donné un nouveau souffle à l’axe Washington-Tel Aviv. Celui-ci pourra encore une fois invoquer la lutte sacrée contre le terrorisme international pour justifier sa double action coloniale et impérialiste en Irak, en Afghanistan, dans les territoires palestiniens et bientôt....en Iran.
La menace iranienne
Tout comme pour le Hamas, le cas de l’Iran est révélateur de l’attitude contradictoire et schizophrène des gouvernements occidentaux, qui ne cessent d’avoir le discours de la démocratie tout en menant la politique de l’Empire. Téhéran, dont le gouvernement à l’instar de celui des palestiniens, est démocratiquement élu, développe, depuis quelques années, un ambitieux programme d’enrichissement d’uranium. Ce programme lui a valu de subir la pression conjuguée de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), de l’Union européenne et des menaces de l’administration Bush. Un bras de fer diplomatique, engagé ces douze derniers mois, vient d’aboutir à une saisine officielle du Conseil de sécurité. La Chine et la Russie viennent de se rallier à la coalition anglo-américano-française, ce qui a débloqué le dossier. En effet, les Etats-Unis, allié traditionnel d’Israël, ne cachent pas, depuis longtemps, leurs intentions d’attaquer l’Iran, seule puissance susceptible de contrecarrer leur plan de contrôle économique, politique et militaire du Moyen-Orient. Leur présence en Afghanistan et en Irak visaient, entre autre, à encercler l’ennemi perse, selon une vieille stratégie d’endiguement, héritée de la guerre froide. Mais englué en Irak, Washington ne pouvait se permettre une nouvelle croisade unilatérale, ni financièrement, ni politiquement. Le consensus onusien lui ouvre donc les portes d’une « solution » définitive du problème iranien. D’autant plus que la flambée des prix du pétrole fait planer la menace d’un nouveau choc pétrolier, prélude au choc des civilisations.
Les iraniens, pour leur part, font valoir leur droit légitime, en tant que nation souveraine, à développer un programme d’armement défensif, dans un contexte régional de course aux armements où Israël, quatrième puissance militaire du monde, fait largement figure de champion, avec ses centaines de têtes nucléaires.
Ils comprennent mal que Tel Aviv puissent impunément défier la communauté internationale et les menacer directement sans être sanctionné, ni même interrogé sur son programme nucléaire. Mais ils n’ignorent pas que les véritables raisons à l’oeuvre dans cet affrontement sont politiques plus que militaires. Ainsi, le Pakistan, sous contrôle américain, a pu développer en toute tranquillité sa fabrication de missiles longues portée à têtes nucléaires. En tant que plaque tournante, Islamabad est un pion essentiel dans la politique impériale américaine puisqu’elle sous-traite notamment la lutte contre les réseaux Al Qaïda.
En privilégiant une posture toute de radicalité et en rejoignant l’administration de George W Bush, l’Union européenne risque donc une fois de plus de se compromettre dans les dangers d’une nouvelle aventure coloniale aussi scandaleuse qu’imprévisible, où elle risque fort de perdre définitivement sa réputation de sagesse diplomatique.
Quant à Washington, elle confirme ce qu’est sa sinistre conception romaine de la démocratie.
La dictature de la majorité sur la minorité.
Mercredi 08 Février 2006
Ahmed Brahimi