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Commentaire de Emmanuel W

sur Hubert Védrine : contre l'irreal politik


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Emmanuel W 11 juillet 2008 13:34

http://izuba.info/Nuitrwandaise/spip.php?article77

7. Dès le 8 avril, Hubert Védrine savait que le génocide des Tutsi était déclenché

Dès l’annonce de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, Hubert Védrine savait que des massacres allaient s’ensuivre. Il a rapporté à la mission d’information parlementaire le commentaire du Président François Mitterrand lui disant le jour de l’attentat du 6 avril « cela va être terrible »73.

En 2006, il précise à Gabriel Périès : « Il n’a rien ajouté d’autre. Mais je connaissais le raisonnement derrière. Depuis 1990, Mitterrand était convaincu que ce serait un massacre général. Jamais les Hutu ne laisseraient les Tutsi revenir au pouvoir comme ça. Attention, il ne faut pas refaire l’histoire à l’envers. Personne n’avait anticipé le génocide, mais... Mitterrand avait la hantise des massacres importants. »74

Si telle était la hantise de Mitterrand, c’est qu’il était bien conscient du risque de génocide.75 Il pense même que les accords d’Arusha, qui accordent cinq portefeuilles ministériels au FPR, rendent ce génocide inéluctable, puisqu’il dit ici selon Hubert Védrine : « Jamais les Hutu ne laisseraient les Tutsi revenir au pouvoir comme ça. »

Pourquoi alors avoir armé les Hutu ? Pourquoi avoir continué à envoyer des armes après la signature des accords de paix76 ? Il n’y a qu’une explication possible, c’est qu’une « guerre totale » à un ennemi défini comme étant les Tutsi et ceux qui les soutiennent avait été froidement mise en oeuvre à l’Élysée tout en sachant les conséquences terrifiantes d’une telle politique. La perspective du génocide des Tutsi aurait été froidement envisagée à l’Élysée. Matignon, quoique moins bien informé sur le Rwanda, en porte aussi la responsabilité. Le soutien des accords d’Arusha n’aurait été qu’une attitude de façade.

À la première réunion de crise qui se tient le 7 avril au Quai d’Orsay, le général Huchon déclare qu’il va y avoir de 50 000 à 100 000 morts77. Dès le 8 avril, les dirigeants français, dont Hubert Védrine, savaient qu’un génocide était déclenché. En effet l’ordre d’opération Amaryllis, rédigé le 8 avril, reconnaît implicitement que le génocide des Tutsi est déclenché :

OBJ/OPÉRATION AMARYLLIS

TXT

PRIMO : SITUATION :

POUR VENGER LA MORT DU PRÉSIDENT HABYARIMANA, DU CHEF ET DE L’ADJOINT DE LA SÉCURITE PRÉSIDENTIELLE TUÉS DANS L’ÉCRASEMENT DE L’APPAREIL SURVENU LE 6 AVRIL AU SOIR, LES MEMBRES DE LA GARDE PRÉSIDENTIELLE ONT MENÉ DÈS LE 7 MATIN DES ACTIONS DE REPRÉSAILLES DANS LA VILLE DE KIGALI :

 ATTAQUE DU BATAILLON FPR,

 ARRESTATION ET ÉLIMINATION DES OPPOSANTS ET DES TUTSI,

 ENCERCLEMENT DES EMPRISES DE LA MINUAR78 ET LIMITATION DE SES DÉPLACEMENTS79

Que signifie « arrestation et élimination des Tutsi » sinon la mise à mort des Tutsi parce qu’ils sont tutsi. C’est la définition du génocide. Ces quelques phrases témoignent aussi du rôle, dans le déclenchement des massacres, de la garde présidentielle rwandaise, particulièrement favorisée par la coopération militaire française. Elles prouvent que le bataillon du FPR a été attaqué par la Garde présidentielle et non l’inverse.

Hubert Védrine ose avancer que ces massacres ne seraient devenus un génocide que plus tard :

M. Hubert Védrine a alors constaté que l’attentat avait jeté à bas cette construction, émis l’idée que, quels qu’en soient les auteurs, c’était sans doute son but, et qu’ensuite avaient commencé les massacres, de plus en plus démesurés jusqu’à devenir un génocide.80

Hubert Védrine semble ignorer ici ce qu’est un génocide. Selon la définition du génocide adoptée par l’ONU en 1948 ce n’est pas la démesure des massacres qui en fait un génocide, mais l’intention de détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel.81

Il a été démontré par le Tribunal pénal international pour le Rwanda et par d’autres, comme la Mission d’information parlementaire de 1998 en France, que cette intention de détruire n’a pas été le fait de quelques tueurs mais qu’elle a été le projet politique planifié et préparé par l’État rwandais. Nous savons que la France n’a pas cessé de coopérer avec cet État criminel. Dire, comme le fait Hubert Védrine, « qu’ensuite avaient commencé les massacres, de plus en plus démesurés jusqu’à devenir un génocide » c’est laisser croire que les massacres sont apparus comme par génération spontanée. C’est affirmer que les massacres ont éclaté indépendamment de la volonté des responsables politiques et militaires rwandais. C’est nier qu’il y a eu planification avant le 6 avril 1994 et, après, mobilisation de tout l’appareil d’État pour éliminer les Tutsi. C’est encore une fois nier les faits réels et leur ordre de succession dans le temps.

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73 Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 204.

74 G. Périès, D. Servenay, Entretien avec Hubert Védrine, jeudi 8 juin 2006, [22, p. 246].

75 Mitterrand ne pensait vraisemblablement pas en terme de génocide. Il pensait en terme de massacres. Mais comme il s’agit de massacres de Tutsi en tant que tels, nous disons génocide. Cette remarque vaut pour ses collaborateurs proches et pour l’état-major de l’armée française.

76 Ces livraisons violent l’accord de cessez-le-feu du 16 septembre 1991, intégré dans l’accord de paix d’Arusha du 4 août 1993 qui stipule : « §2. La suspension des fournitures d’armes et de munition dans la zone ; [...] § 7. L’interdiction des infiltrations de troupes et des transports de troupes et matériels militaires dans la zone occupée par chaque partie ». Cf. United Nations “Blue Book” Series, Volume X, The United Nations and Rwanda, 1993-1996, [17, p. 173]. Elles violent en plus l’accord sur la zone libre d’armes, établie dans la ville de Kigali et aux alentours, signé sous l’égide de l’ONU le 22 décembre 1993 (Kigali Weapons Secure Area (KWSA) agreement).

77 P. Péan [21, p. 289]. Notons qu’aucun télégramme entre Paris et Kigali pour la période du 6 au 15 avril n’a été publié, nous n’en avons trouvé aucun. Y aurait-t-il trop de choses à cacher ?

78 MINUAR : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda créée le 5 octobre 1993 par la Résolution 872 du Conseil de sécurité.

79 MIP, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [23, Annexes, p. 344].

80 Audition d’Hubert Védrine par la MIP, ibidem, pp. 200.

81 Voir l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
 


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