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Commentaire de ninou

sur Comment dit-on censure en novlang ? « Cause toujours » ?


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ninou ninou 9 août 2008 19:37

Je vous propose la lecture d’un extrait de "Défense et illustration de la novlangue française" de Jaime Semprun, éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2005.
L’auteur joue à prendre la défense de la novlangue. Il nous fait découvrir différents modes de création de cette novlangue (récupération d’idiomes existant pour les détourner et/ou les affadir, simplification générale et abstraction à tout crin afin que tout un chacun puisse s’imaginer qu’il pense, tournures toutes faites permettant de ne pas avoir à penser du tout, et néologismes, qui sont supposés rendre compte de choses nouvelles - notons au passage, pour nous prémunir contre les ronchons, qu’il ne dénonce en rien les néologismes "utiles", et qu’il ne se pose pas en puriste de la langue).

Il montre comment cette novlangue sied parfaitement à "notre" monde. Qu’elle y est à la fois un moyen et un symptome.

Ici, l’auteur utilise un article du journal du matin comme exemple. (les passages en gras sont écrits en novlangue, pardon pour les non-novlanguiens de formation...)

"J’y découvre le terme agroforesterie, néologisme qui illustre au mieux à quel genre de progrès nous avons affaire. De quoi s’agit-il ? De la modernisation d’une pratique ancestrale, devenue quelquelque chose de vraiment innovant en argiculture. Autrefois les paysans, livrés à eux-mêmes et à leur ignorance, entretenaient des haies et laissaient parfois pousser des arbres au milieu de leurs cultures. Ils procédaient ainsi pour toutes sortes de raisons obscures, et sans doute surtout par respect d’une tradition que nul n’avait jamais soumise à l’examen de la raison. La recherche agronomique mit un terme à ces pratiques irréfléchies. Elle fit prévaloir les impératifs de la mécanisation et de la rentabilité. Elle impulsa la transformation des campagnes en une parfaite table rase, ou plutôt paillasse de laboratoire, sur laquelle on put repartir à zéro et observer, selon les règles de la méthode expérimentale, les résultats. Ceux-ci furent tels qu’ils fallut finalement envisager de combiner à nouveau, mais cette fois scientifiquement, en pleine connaissance de l’écosystème, cultures et plantations d’arbres. On lança donc un programme d’évaluation des avantages agrienvironnementaux de la chose, on entreprit de modéliser la croissance des arbres et celle des cultures qui leur son associées, on se soucia de gérer l’espace rural au profit d’une agriculture plus durable. On alla même jusqu’à intégrer la dimension esthétique et à prévoir d’associer des paysagistes à ce projet, afin qu’ils redessinent la campagne. (...) On a isolé et spécifié par un néologisme approprié(...) une réalité qui était restée jusqu’alors indistincte, et par là inaccessible à la réflexion scientifique : l’agroforesterie.
Et que peut-on opposer à cela, sinon le sentiment vague d’une harmonie perdue, la nostalgie d’un équilibre qui se trouvait sans avoir été cherché, le regret impuissant de paysages sans paysagistes ?"


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