Comment dit-on censure en novlang ? « Cause toujours » ?
Par Stéphane K, Edith R et Joshuadu34
Depuis un an, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république, il est de bon ton de citer Orwell afin de qualifier le monde que nous déconstruit ce président. Mais quelles comparaisons pourrait-on réellement porter entre notre société et celles décrites dans « 1984 » ? Les outils utilisés par nos gouvernants sont-ils réellement ceux que prédisait Orwell ?
Nous allons nous baser ici sur un point important développé dans les romans d’Orwell : 1984 et ANIMALS’S FARM, celui de la déconstruction de la pensée par l’intermédiaire de la mise en place de la novlang.
Pour Orwell, le contrôle de la pensée et surtout de la contestation passe par un contrôle du langage. Dans ce but, la dictature qu’il dépeint dans son livre en 1950, se basant sur les modèles soviétique et allemand, met en place un démantèlement et une simplification du langage, partant du principe que, pour contester un système, encore faut-il avoir les mots pour le décrire et pour en imaginer un autre. Orwell imagine donc ce nouveau langage, le novlang, dépourvu de toute interprétation et de tout corps, incapable donc de décrire une situation imaginaire, de décrire autre chose que le réel « officiel » et le présent.
Dans notre société, et le système qui la régit, on constate effectivement une recherche de contrôle de nos pensées, de nos révoltes. C’est parfaitement décrit dans « terreur et possession » de PMO aux éditions L’Echapée. Mais la réalité dépasse souvent la fiction (l’anticipation, diront certains), et nos dirigeants ont imaginé un levier de contrôle autrement plus efficace que celui pourtant bien structuré sous la plume d’ Orwell !
Ils ont imaginé, eux, un moyen plus subtil de contrôler les mots que celui qui consiste en une seule "déconstruction linguistique" : celui d’y associer l’art de la manipulation sémantique.
L’efficacité de ce procédé consistant à récupérer avant de le détourner de son sens initial chaque mot est bien meilleure puisque insidieuse. Le principe du novlang impose un désapprentissage linguistique avant d’apprendre une nouvelle langue, proche de l’ancienne, mais nouvelle quand même.
Face à cette approche directe, toute tergiversation est impossible. La manipulation est évidente ! Tandis que pour le procédé actuel consistant à récupérer les termes même de la contestation afin de les sortir de leur contexte, de les dénaturer en les utilisant à toutes les sauces, les détournant de leur signification initiale et leur donnant un nouveau sens, généralement totalement opposé à ce qu’il représente, la démarche en est tellement sournoise et matraquée que ça en devient quasiment insoupçonnable et que le nouveau sens donné à un mot prend, dans les esprits, la place de son sens réel.
Prenons, par exemple, le terme « terrorisme », puisque ce terme revient constamment dans les justifications gouvernementales à toutes les restrictions de liberté que nous subissons. A l’origine, le terme a été mis en place pour désigner la politique du règne de la terreur mené en 1793 sous la conduite de Robespierre, un des fondateurs de cette république, et consistait à répondre violemment, par les armes et par des exécutions sommaires, à ceux qui se dressaient contre la bourgeoisie républicaine, qu’ils soient royalistes ou "Enragés" ou "communistes" avant l’heure, pour schématiser. Gracchus Baboeuf a longuement dénoncé moult aspects et autres contre-sens des discours faisant alors autorité et devenir par la suite une véritable science de la mystification. Ces habiletés permettront déjà d’enterrer la révolution et à beaucoup de se "prévenir" contre elle comme à d’autres, plus tard, de pouvoir sans cesse s’y "référer" sans en encourir le moindre risque. La "célébration" du bicentenaire à laquelle nous venons d’assister est à ce titre assez éloquente !
Le terrorisme (ou plus précisément "la terreur" chère à Marat) désignait donc alors un système de défense de la république contre les attaques... Est-il utile de préciser qu’aujourd’hui, face à une telle situation, le terrorisme désignerait non pas la défense républicaine, mais ceux qui s’attaquent à cette république ? Sans parler, bien entendu, de la définition officielle du terme permettant de mettre dans le même sac le contestataire qui jette des oeufs dans une officine gouvernementale, celui qui ramène des fumigènes à une manifestation contre les centres de rétention(CRA), celui qui manifeste avec ardeur contre un système qui le fait crever de faim, celui qui dynamite une préfecture, celui qui abat ses exploiteurs (même et surtout si ceux-ci ont du sang sur les mains, et là il nous est légitime d’exprimer l’étonnement le plus vif quand on sait qu’en définitive ces exploiteurs sanguinaires meurent bien plus souvent dans leurs lits que sous les coups mérités des révoltés) ou le(s) barbu(s) intégriste(s) qui tuent sciemment des dizaines de civils innocents...(bien qu’il n’y ait pas autant d’innocents que ça, à y bien regarder d’un peu plus près...)
Difficile d’imaginer une définition du terme plus large que ça ! Chose drôle, au passage, les agents de l’état qui font couler le Rainbow Warrior ou les aviateurs alliés qui bombardent Dresde, ou les américains qui atomisent Nagasaki et Hiroshima ne sont officiellement pas des terroristes, même s’ils entrent dans le cadre de la définition actuelle du terme , puisque les définisseurs ont pris soin d’écarter ce terme de tout comportement violent injustifié du moment qu’il émane d’eux, et encore se doivent-ils alors d’être légitimés, par la violence souvent... (le coup du 11 septembre, préparé ou juste "passivement attendu et stratégiquement favorisé" comme nous le laissent aisément supposer une quantité d’éléments et de mesures observés par l’administration Bush et ce à quoi il convient d’ajouter les mensonges et autres traficottages plus ou moins habiles, en est un bel exemple pour tout ce qui s’ensuivit !)
Les allemands et la France pétainiste définissaient les résistants comme étant terroristes pendant les années 40, mais après aussi et même de plus en plus jusqu’au leitmotiv pendant la guerre d’Algérie, l’indochine, etc (et ils entraient bel et bien dans la définition de ce terme).
Le credo du terrorisme allait culminer dès les années 70 avec le succès que l’on sait. Mais ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres...
Une des variantes de ce détournement sémantique consiste en une association idéologique fumeuse mais, si elle est suffisamment rabâchée, si elle est faite systématiquement, qui fonctionne et permet ici aussi de détourner le terme de sa réelle signification. L’exemple relevé par « l’affaire » Siné en est symptomatique. Il suffit maintenant d’utiliser le terme « judaïsme » pour aussitôt être taxé d’antisémitisme, pour soulever l’opprobre populaire, alors que de vraies attaques xénophobes passeront totalement inaperçues... Au nom de quoi ? Officiellement, on rattache ce pseudo antisémitisme à la Shoah, le peuple juif est inattaquable parce qu’il a vécu des atrocités lors des rafles nazies... Cette justification pourrait s’appliquer au peuple gitan (entre autres) qui a connu lui aussi les rafles et l’extermination, alors pourquoi une telle différence dans le traitement ??? Quand aux critiques xénophobes d’autres communautés, maghrébines, noir africaine, asiatique..., en quoi le fait d’amalgamer au sein de ces communautés pourrait-il être plus excusable si on part du principe que ce n’est pas excusable pour la communauté juive ?
Au nom de cette « néo-novlang », chacun peut maintenant se prétendre révolté, "actif et militant" (toc, toc et retoc. Private joke pour les intimes !) du fond de son salon. Il en va même des "porte-paroles" de ce gouvernement qui annoncent sans sourciller que "les modernisations en cours" sont authentiquement révolutionnaires ! (SIC).
Cette récupération va jusqu’à l’assimilation faite par les pseudo révoltés dans le cadre de leur imagerie révolutionnaire. Avant, on maniait la langue de bois avec rigueur, craignant la révolte et son jargon dénonciateur, maintenant, même notre président manie les termes autrefois censurés après leur avoir fait passer l’épreuve de l’attendrisseur. Plus de langue de bois (trop visiblement grossière), plus de novlang (Hein Djack ?) non plus à juste titre car trop molle, mais bien une "néo-novlangue dure forte d’une mollesse inversée, une langue molle détournée de son sens détourné en un ultime et pernicieux néo détournement (ça va tout le monde suit là ?) :
La néo-novlangue ne laisse aucun pli ! Il s’agit donc bien de la langue à repasser !
Pour un peu, on s’attendrait à voir Sarkozy brandir le poing en chantant l’internationale ou en lançant un hasta siempre... Quand aux pseudo révoltés, ils manient ce langage nouveau pour eux, s’adaptant à l’auditoire et au contexte sans avoir ne serait-ce que l’ombre de l’envie de changer la société (comme ceux qui maniaient les termes avant eux pouvaient tenter de le faire au moins à leur profit immédiat), souvent par peur des représailles, souvent aussi par simple désir de trouver une oreille attentive à ces mots tellement galvaudés qu’ils en sont même devenus un phénomène de mode, à l’instar du T-Shirt à 300 boules (pour reprendre Didier Super) du petit « anarchiste » souvent bien conformiste. On utilise un terme à la mode, on le porte fièrement. Il en va ainsi de ces fringues estampillées "Ché Guevara", "Anti Nucléaires", "against racism", "Rolling stones"(stoned ?), "NTM" et caetera ; mais la réelle signification est totalement laissée de côté après avoir été douloureusement remâchée et pré-digérée. Bon appétit...Tenez, le spectacle fait même mentir les images, ainsi une boite de négriers, Védior Bis. ETT, arbore t-elle fièrement et sans pudeur dans ses vitrines la photo de Michel Colucci (Coluche, la nouvelle icône des tags de la pensée masterisée) jusque là réservée à l’usage exclusif des "feu restau’ du coeur"...sur le plateau desquels prospèrent des cohortes d’enfoirés à perte de vue sur la pente misérabilisée de nos vies !
Si la faim, la misère, l’indigence intellectuelle et le travail pourraient cesser d’exister en tant que fléaux "post-modernes" (Attention ! langue à repasser !), tout se doit cependant de perdurer en tant que spectacle !
Voici venus les temps de "la sueur du coeur". Ils nous font "généreusement" la grâce de bien vouloir nous "esclavagiser" un peu plus ! C’est beaucoup trop d’honneur !
Si le gouvernement démonte par la récupération les mots biens trop dangereux pour lui, on pourrait quand même trouver des traces de novlang, mais pas là on pourrait le croire, c’est à dire pas chez nos gouvernants, ou tout du moins, pas dans leur terminologie, mais dans la sémantique de la plupart des pseudo révoltés ! La plupart d’entre eux, s’ils reprennent indirectement les idées du communisme, ne se diront jamais communistes, mais altermondialistes ! « Je ne suis pas communiste, je suis altermondialiste ! » ou, en d’autres termes : « je ne lutte pas contre le capitalisme, "je lutte contre l’inhumanité d’un certain capitalisme réformable » ! »... Le bel aveu !
Ainsi, dans l’actualité très récente puisque c’était cette semaine à Pékin trois jours avant la cérémonie d’ouverture des J.O à laquelle presque plus personne ne semble opposer quoique ce soit, "des "étrangers" ont déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire : "one world, one dream, free Tibet" initiative hardie certes bien qu’en en décomposant le sens on pourrait lire : " dans un non-monde, il n’y a pas de rêve et le Tibet libre en est le non sens" se rapprochant du fameux "l’esclavage, c’est la liberté" d’Orwell. Ailleurs, en d’autres temps pas si lointains, à des fins pseudo promotionnelles pour les loisirs et la culture on pouvait lire en pleine page des magazines spécialisés ou sur des écrans géants : " Quand on aime la vie on va au cinéma !"....Comment peut-on dire aimer la vie quand on est contraints de la voir "passer" devant soi ? rétorquerons-nous.
Preuve s’il en est que non seulement ils sont bien ancrés dans l’idéologie dominante, allant jusqu’à "surfer" sur une terminologie pourtant bien définie dans la lutte, mais tellement galvaudée, réifiée, chosifiée dans de l’ensemble des têtes au point qu’elle semblerait en avoir perdu tout sens, hormis pour une poignée de vrais révoltés qui refusent de se laisser aveugler par le discours ambiant et effectuent une analyse dialectique de ce qu’est la société. Mais pour ces autres consommateurs de la "post-modernité" où culminent réconciliées la langue de bois, la nov-langue, la langue molle, la néo-nov-langue dure-mi-molette, la langue à repasser leur niveau de lutte est très loin de leurs prétentions révolutionnaires affichées puisqu’ils ne font même pas l’effort de s’affranchir de toute pensée conformiste capitaliste mais prétendent à l’auto-gérer ( s’il existe un concept assez bien récupéré et dénaturé, vidé de toute substance, celui-ci en est l’illustration exemplaire !)
Comment croire, alors, que leur vrai but est de se débarrasser d’un système dans lequel ils semblent pourtant trouver leurs aises pourvu qu’elles soient politiquement correctes et biologiquement et éthiquement conformes ? quand ce n’est pas "ethniquement"....)
Surtout quand on entend les raisons qui les poussent à renier le communisme, reprenant le ridicule justificatif russe mis en place par la société capitaliste...
Si le rejet de la pensée communiste (et encore y a t-il communisme et communisme suivant l’interprétation idéologisée Russe -Lenine, Trotsky contre le jeune Marx d’un côté , ,... -, allemande - avec Rosa Luxembourg...-, française -la Commune...-, etc) était basé sur une réelle connaissance de cette pensée et sur des points précis, posant dialectiquement sa critique au moyen d’un examen sérieux et d’une étude sincère des idées communes, cette critique et ce débat seraient alors "acceptables et partageables", mais nous assistons-là à une interprétation ridicule et tronquée du principe dans son contraire basée, justement, sur un détournement sémantique flagrant orchestré par tous les systèmes qui se sont succédés au service d’une dictature qui pourtant osait se prétendre Communiste mais qui était de facto beaucoup plus proche du capitalisme d’Etat par ses dérives égocentriques que du Communisme ! Fut-il celui de Marx ou Feuerbach... Adorno ou autres... Bien entendu nous ne parlons pas du communisme vu par le petit facteur de Neuilly ou encore de celui de Marie-Georges Placard...
Et c’est à l’étude de ces réactions de pseudo révolutionnaires que l’on s’aperçoit de la supériorité théorique de la déconstruction sémantique sur la mise en place de la seule novlang orwellienne, puisque cette déconstruction a réussi le tour de force d’imposer aux moins attentifs, aux moins réfléchis mais malheureusement aux plus nombreux des contestataires de mettre en place une novlang afin, croient-ils, d’éviter l’écueil que suppose l’emploi de ces termes utilisés par leurs ennemis, se muselant ainsi eux même par cette restriction de la pensée qui les empêche d’avoir un regard historique clair.
L’idéologie est la forme achevée et pétrifiée de toute pensée vivante s’inversant en son contraire : son passage dans le dogmatique !
Il va de soi qu’on ne critique jamais une organisation sociale de l’existence sans remettre en cause toutes les formes de langage qui appartiennent à cette organisation. Ceci ne suppose pourtant en rien que nous devons nous laisser dépouiller "aussi" du langage qui appartient à la contestation de toutes les formes de domestication de la pensée et de son expression qualitative contre la société existante.
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