Cher Courouve,
Votre mise au point a le grand mérite de la clarté. Lorsque vous faites dire à Camus « Croyez-moi, c’est ma conviction la plus sincère, aucun gouvernement au monde ayant à traiter le problème algérien ne le ferait avec des fautes aussi relativement minimes que celles du gouvernement français », vous imaginez bien que nous sommes au mois décembre 1957, en pleine bataille d’Alger sous la responsabilité du sinistre Bigeard qui reçoit, dès le 7 janvier les pleins pouvoirs du gouvernement Français pour mater la rébellion. On sait ce que les militaires feront de ces pouvoirs illimités, torturant sans vergogne et assassinant sans limites. C’est ce que Camus appelle sous votre plume « des fautes minimes ». Dans la salle de conférence de l’université de Stockholm, ce 13 décembre 1957, il y avait beaucoup d’étudiants suédois et quelques étudiants Algériens. Cette curiosité n’aura à aucun moment effleurée l’esprit acéré de Camus qui n’au même pas remarqué que pour s’instruire, les jeunes algériens étaient contraints de se réfugier en Suède. Preuve que l’égalité dont il se réclame, est définitivement prise en défaut. Ensuite, vous référant à un papier paru dans Le Monde du 14 décembre, vous parlez d’un « représentant du FLN à Stockholm »qui interpelle Camus lui reprochant de ne pas signer de pétition en faveur des algériens, ce qu’il fait régulièrement pour les Hongrois, ajoutant toujours sous votre plume qu’à « partir de ce moment le dialogue devint confus et dégénéra en un monologue fanatique du représentant du FLN, qui lança slogans et accusations, empêcha l’écrivain de prendre la parole, et l’insulta grossièrement ». A moins d’être rudement bien informé, voilà comment un étudiant algérien devient, sous votre plume et vous le soulignez à deux reprises, un représentant officiel du FLN et un fanatique coupable de lèse majesté.
Cher Courouve, vous me rappelez tristement le comportement aveugle de la grande majorité des pieds noirs pour qui un Arabe est toujours un terroriste en puissance. Ce fut malheureusement une constante chez tous les colonisateurs depuis le 5 juillet 1830 à ce jour. Je souligne, que dans cette masse, il y eut des exceptions célèbres et moins connues de soutien inconditionnel à la cause du peuple Algérien.
Grace à vous, j’ai retrouvé un texte de Benjamin Stora, Historien de grande probité, fils d’Algérie, donc pied noir, dont l’objectivité est inattaquable, dans lequel je prélève les passages les plus déterminants pour la qualité de nos échanges. En voici quelques courts extraits :
1er extrait : « Dans son autobiographie,La force des choses, Simone de Beauvoir écrit : « Devant un vaste public, Camus déclara : « J’aime la Justice, mais je défendrai ma mère avant la justice », ce qui revenait à se ranger du côté des pieds-noirs. La supercherie, c’est qu’il feignait en même temps de se tenir au dessus de la mêlée, fournissant ainsi une caution à ceux qui souhaitent concilier cette guerre et ses méthodes avec l’humanisme bourgeois ». Sans commentaires !
2ème extrait : « Le Camus algérien est entièrement dans ce rappel (ou ce défi) et on l’y retrouve mieux encore que dans la fameuse réplique, d’ailleurs toujours tronquée quand on la cite, qui fut celle de Camus en réponse à des étudiants algériens résidant à Stockholm : « Entre ma mère et la justice, je préférerai toujours ma mère ». On parle bien d’étudiants algériens résidants à Stockholm….
3ème extrait : « Le Monde publiait dans son édition du 14 décembre 1957 l’article suivant : « Interrogé sur un ton véhément par un jeune Algérien présent, il [Albert Camus] aurait alors répondu : « Je n’ai jamais parlé à un Arabe ou à l’un de vos militants comme vous venez de me parler publiquement... Vous êtes pour la démocratie en Algérie, soyez donc démocrate tout de suite et laissez-moi parler... Laissez-moi finir mes phrases, car souvent les phrases ne prennent tout leur sens qu’avec leur fin... » Constamment interrompu par le même personnage, il aurait conclu : « Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifie pas que j’aie cessé d’agir ». Deux remarque s’imposent, l’article parle d’un ton véhément d’un jeune algérien, on est très loin du « militant fanatique représentant du FLN », la seconde, et c’est à l’honneur du journaliste du Monde, qui utilise le conditionnel : « Albert Camus aurait répondu ». Ce qui suppose que, soit le journaliste n’était pas présent dans la salle et que son propos provient d’une source, soit qu’en raison du chahut provoqué par ce « fanatique », il n’a pas entendu la réponse de l’écrivain. Il se serait alors fié à une source, d’où l’usage très professionnel du conditionnel.
( Pour lire la totalité du texte de Benjamin Stora, voir le lien : : http://www.grands-reporters.com/Albert-Camus-recoit-le-Prix-Nobel.html)
Cordialement Averroès