Je ne suis pas bien sûr de comprendre ce que vous entendez par « assurer ses arrières conceptuels ». Si vous entendez par là que je n’argumente pas suffisamment certaines des idées que j’émets, j’accepte bien volontiers la critique, et je vais m’efforcer de mieux faire en répondant à vos observations ponctuelles. Peut-être considérez-vous que les hypothèses de départ sur lesquelles reposent mes raisonnements ne sont pas suffisamment clairement affichées ? Je vais donc tenter de les préciser, c’est-à-dire en réalité, d’en préciser le vocabulaire tant il est vrai qu’en philo comme en maths, tout est affaire de définitions.
Vous me dites que la contrainte physique ou morale est aliénante tandis que la contrainte rationnelle est libératrice. Dans un contexte d’aliénation ou de libération, je préfère éviter l’association sémantique entre contrainte et rationalité, bien que je conçoive aisément que sur le plan philosophique, cette association puisse constituer un véritable sujet de réflexion (une contrainte peut-elle être libératrice ? la raison peut-elle être contraignante ?). Cette réflexion risquerait néanmoins de m’écarter de mon sujet sans rien y apporter d’essentiel, et je me contenterai de dire que la raison (plutôt que la contrainte rationnelle) est libératrice. En simplifiant ainsi, je ne pense pas déformer le cœur de votre pensée.
Mille fois d’accord avec vous pour dire que la contrainte physique ou morale est aliénante tandis que la raison est libératrice. Si cela n’apparaît pas clairement dans mon propos, c’est que je me suis fort mal exprimé. Sans confondre contrainte physique ou morale et contrainte intellectuelle (ou « rationnelle »), je me pose simplement la question de savoir si « l’usage du logos, du verbe (parole, raison ou vérité) pour tenter de convaincre l’autre dans une controverse, n’est pas en soi une tentative de contrainte intellectuelle ou morale » (j’aurais pu ajouter psychologique). Il me semble pourtant que la conclusion de mon article était de nature à confirmer notre accord sur ce point : n’étant choqué ni par la nature, ni par le contenu de la réflexion du Pape, il va de soi que je n’y vois pas de véritable contrainte « aliénante », pas plus intellectuelle que morale, ceci pour la bonne et simple raison qu’elle est bien rationnelle et donc « libératrice » plutôt qu’« aliénante ».
Le rapprochement que vous faites entre contrainte morale et contrainte physique, pour les opposer à une contrainte intellectuelle (même exercée par la raison) me paraît néanmoins un peu délicat. Où placer, dans ce cas, une contrainte qui serait psychologique ? Avec la contrainte physique ou morale ou bien plutôt avec la contrainte intellectuelle ? Or c’est bien à ce type de contrainte que je pense lorsque je me pose cette question de la controverse ou de la dialectique reposant pourtant sur l’usage du logos (raison ou vérité), mais qui, venant d’une autorité morale, peut apparaître aux yeux de certains comme une vérité imposée, c’est-à-dire une contrainte.
Le cœur du problème se situe probablement là, dans l’interprétation qui est faite du logos traduit indifféremment dans la religion catholique par les termes « raison » ou « vérité ». Vous l’évoquez en affirmant que « la raison ne saurait être identifiée à la vérité ». C’est pourtant là une question de vocabulaire (ou de définitions que l’on pose en fonction du sens que l’on donne aux mots). Il me semble que c’est bien là, le sens attribué au « logos » par le Pape lorsqu’il dit dans son discours : « Logos désigne à la fois la raison et la Parole » sous-entendu, « la Parole de Dieu » qui est Vérité). C’est de cette interprétation « religieuse » du logos, qui identifie raison et vérité, que peut naître ce sentiment de contrainte morale dont je ne fais que constater l’existence possible sans pour autant le faire mien.
Pour éviter toute l’ambiguïté véhiculée par cette interprétation du logos, je distingue dans mon propos la réalité accessible par l’expérimentation (l’observation) ou le raisonnement juste, de la vérité. On pourrait disserter longuement sur cette notion de vérité qui, allant bien au-delà de la réalité connue, ne me paraît accessible dans son intégralité qu’à partir d’une révélation que la notion de foi me paraît bien traduire, mais là n’est pas mon propos. C’est toujours pour éviter l’ambiguïté attachée à la notion de raison identifiée par la religion à la vérité, que je privilégie dans mon propos l’expression « raisonnement juste » pour désigner ce qui, ne donnant accès qu’à la réalité, ne peut en aucun cas s’identifier à la vérité.
Tout ceci n’est évidemment qu’une question de définitions, sur lesquelles il convient néanmoins de bien s’entendre. Lorsqu’une définition est équivoque du fait d’interprétations différentes faites par les uns ou les autres (c’est le cas pour le mot « raison »), mon parti est toujours de choisir une expression approchante (ici, l’expression « raisonnement juste »), en prenant soin de la définir avec précision afin d’éviter toute confusion, sans pour autant prendre parti pour une interprétation du mot litigieux plus qu’une autre, qui peut être tout autant respectable. Comme vous pouvez le constater, en utilisant l’expression « raisonnement juste » pour éviter toute l’ambiguïté de la notion de raison/vérité, je n’identifie pas « la raison avec la vérité », pas plus que je ne la définis comme « procédant du raisonnement », je me contente de contourner la difficulté d’un débat dont je reconnais humblement qu’il dépasse mes capacités de « raisonnement juste ».
Vous semblez contester que l’on puisse définir la foi par l’adhésion à une révélation en demandant ce que l’on entend par là. Je pense qu’il ne faut pas en entendre plus que ce que les mots expriment en précisant toutefois leurs définitions dans le contexte qui nous occupe (celui de la foi religieuse). Précisons donc en essayant de se limiter à des propositions simples, dénuées de toute ambiguïté, sur lesquelles tout le monde peut s’accorder. L’acte de foi est une démarche personnelle (intellectuelle ou spirituelle), initiée par le cœur, mais faisant également la plupart du temps appel à la raison. Selon les individus et leur sensibilité propre, l’acte de foi peut reposer, soit sur une « volonté » délibérée d’accéder à une « vérité » qui va au-delà de la réalité connue par une démarche de l’ordre de l’intuition, soit sur une adhésion naturelle ou raisonnée à une « vérité » affirmée par quelqu’un à qui l’on accorde sa « confiance », soit tout simplement sur quelque chose que l’on ne s’explique pas, que l’on peut interpréter comme une « grâce » reçue. Quelle que soit la nature de ses fondements, la foi permet d’adhérer à une « vérité » que les religions dites « révélées » nomment « Vérité », parce qu’elles postulent que celle-ci est « révélée » par Dieu. Que ce soit par acte de volonté, de confiance ou de grâce, l’accès à cette Vérité se réalise au travers ce que ces religions désignent sous le terme de « Révélation ».
On peut bien sûr définir la révélation comme une expérience, mais contrairement à l’expérience scientifique que l’on peut vivre et partager par l’observation commune et dont il faudra alors prendre bien soin de la distinguer, celle-ci est totalement personnelle et difficilement partageable. On peut aussi « se souvenir de la distinction faite par Pascal entre cœur et raison », mais on peut également exprimer la même idée en la formulant différemment. Oui, la raison est « incapable » à elle seule « de nous offrir la vérité ». C’est exactement ce que j’exprime lorsque je dis de la foi, qui passe, on l’a vu, par la Révélation et le cœur, que son « champ d’application » « commence là où la raison atteint sa limite », ou bien lorsque je dis encore, « la question de Dieu prolonge la science, comme la foi prolonge la raison ».
Enfin, j’avoue ne pas bien comprendre ce que vous voulez dire dans votre dernière remarque que vous présentez comme « le dernier point de désaccord avec les analyses de l’article incriminé (si les mots ont un sens, celui-ci est fort !) ». Vous dites qu’« on » « ne saurait confondre la réalité avec ses apparences ». Avec quelles apparences a-t-« on » confondu la réalité ? Il reste à expliciter ce qu’« on » entend par là. A quoi pensez-vous en recommandant « la plus grande des prudences (..) lorsque l’on prétend détenir la vérité » ? Suis-je « incriminé » en tant qu’appartenant au « commun des mortels » ? Si tel est le cas, c’est que j’ai été très mal compris.
Je ne prétends en aucun cas détenir une quelconque vérité, puisque celle-ci est inaccessible à mon raisonnement. Je me contente d’observer la réalité et d’essayer de raisonner juste (autant que faire se peut), à partir d’hypothèses et de définitions clairement établies (mais bien évidemment contestables), pour aboutir à des conclusions qui, tant qu’elles ne sont pas démenties ou réfutées par l’observation (cas d’hypothèses qui se révèleraient erronées) ou un « raisonnement juste » contraire (qui montrerait que mon raisonnement n’était pas juste), peuvent à mon sens, sans prétendre à une certaine « universalité » qui resterait toute relative compte tenu des précautions prises (reconnaissance de la « constestabilité » des hypothèses et de la non infaillibilité du raisonnement), apporter tout au moins leur modeste contribution au débat sur le thème des rapports entre foi et raison.
14/12 01:04 - aomi
salam pour tous, vous savez c’est pas compliqué de comprendre que le pape s’est (...)
27/10 16:43 - fouadraiden
je ne pense pas que le problème soit celui là. le problème que soulève les quelques autorités (...)
18/10 10:46 - Francis BEAU
Merci pour ces quelques remarques qui m’ont vivement intéressé. Elles tranchent en effet (...)
16/10 11:48 - kamizole
Je vais me mettre en même temps Rufus et Salima à dos ! Je ne crois pas que l’importance (...)
15/10 07:26 - kamizole
quelques remarques... Il ne faut pas confondre abusivement philosophie et métaphysique, du (...)
14/10 22:34 - rufus
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