• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Tristan Valmour

sur A l'aube du « grand jour » : le 11-Septembre et les « foules intelligentes » du web


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Tristan Valmour 24 septembre 2008 20:56


La cohésion du groupe ne se fonde nullement sur un mécanisme sacrificiel, et surtout pas depuis la nuit des temps. Ou bien vous n’avez pas compris Girard. En tout cas, l’intemporalité et l’universalité de cette assertion sont fausses.

Le cerveau humain est le fruit d’une très longue évolution et ne pouvait, dès la nuit des temps, concevoir la subtilité et la complexité des rapports sociaux que vous évoquez. Il fallait lutter d’abord contre des dangers immédiats (la nature, les autres groupes, le maillon faible), et une fois ceux-ci écartés, contre des dangers supposés ou magnifiés. Au cours de la lente élaboration des rapports sociaux, le maillon faible autrefois écarté s’est intégré au groupe, même si ce n’est que partiellement et avec réticence. L’intégration le dispute donc à l’exclusion, et nous sommes aussi les enfants de l’intégration.

L’exclusion du groupe pour faiblesse, faute avérée ou supposée (le bouc émissaire dans ce second cas) de l’individu sont des notions intimement liées à la punition, au châtiment, à la réparation, à la résilience et n’ont pas de valeur universelle. On ne demande pas à un anthropologue de lire Critique de la raison pratique de Kant, mais au moins de se renseigner sur le bouddhisme qui a plus pour souci de réformer que de punir, tout cela pour ne pas dégrader l’estime de soi et permettre ainsi à l’individu de se réinsérer dans le groupe à l’état antérieur de la faute commise ou supposée commise. Et je n’ai même pas parlé des sociétés premières ou des petites sociétés en Afrique et Amérique du Sud où il n’y a pas de punition (donc exclusion). Le bouc émissaire, tous ne le connaissent pas !

Universalité et intemporalité de l’assertion précédente balayées, on peut passer au reste.

Les attentats du 11 septembre ne sont qu’un épisode dans une lente montée de tensions internationales, une fois l’URSS détruite.

Parce qu’à toute force existe une force opposée, partout et en toute chose, la lutte contre l’islamisme radical s’est substituée à celle contre le communisme.

Il est dans la nature de l’être humain de penser le danger avant qu’il n’existe, ou de l’amplifier (voir plus haut). C’est ainsi qu’il met en œuvre une dynamique, quand la paix et la quiétude le rendraient statique. C’est également confronté à un obstacle que l’on se dépasse, comme le héros ne peut se révéler qu’à l’aune du danger. Le dynamisme se nourrit d’un besoin à combler, or l’homme est né imparfait et nu, et passe toute sa vie d’individu et d’espèce à se perfectionner et s’habiller. Cela se fait par opposition, et il lui faut donc conceptualiser un danger.

Cette liberté qui rétrécit comme peau de chagrin n’est pas non plus le fruit du 11 septembre, et résulte d’un mouvement naturel des sociétés ; de leur intégration dans un ensemble plus vaste, de leur rapport à la Nature dont les ressources sont finies, de l’inactivité qui guette l’homme quand la machine peut en maints domaines se substituer à lui et le rendre oisif, donc dangereux pour la Société. Ajoutons à cela les tensions perpétuelles qui animent l’homme, être individuel et social ; son impossibilité à vivre des relations horizontales dans des groupes, le Je étant en lutte perpétuelle avec le Nous et le Vous.

Dans la politique des Etats, la désignation d’un ennemi commun et formellement identifié participe à la cohésion et rétablit ainsi l’équilibre rompu par les mouvements migratoires, les accélérations technologiques, les modifications dans la structure sociale. C’est dans ces moments qu’une Nation retrouve – ou réforme - son identité et entame un nouveau cycle.

Les pertes et gains de liberté sont le fruit de cycles, or ces cycles historiques sont le fruit d’une inertie.

Croire que l’on vit une période historique et particulièrement importante est le propre de tout individu pensant au présent, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. C’est donc un lieu commun.

Se réclamer de la thèse de Girard – dont j’ai souligné les limites en quelques mots – est une chose ; assimiler les terroristes islamistes à des bouc émissaires en est une autre. Même si leur importance est effectivement largement surestimée et fournit un bon prétexte aux visées expansionnistes de l’Occident, il n’en demeure pas moins qu’ils existent et ont une capacité de nuisance qu’on ne peut nourrir par notre inaction. Ils sont en cela les descendants des Hashishins.

Enfin, comme un certain nombre de rédacteurs ici, vous appelez à la révolution par la rue, sans en mesurer les conséquences. Croyez-vous vraiment que la violence de la rue constitue une réponse aux imperfections de l’Etat et de la société ? Et surtout, cela peut-il conduire à un Etat gouverné par la vertu ? J’en doute beaucoup, l’Histoire ne m’en a fourni aucun exemple.

Nos sociétés, nos institutions sont certes très imparfaites, mais seule l’option légaliste est viable. Il vaut mieux construire que détruire.

Je ne sais pas quand vous recevrez ce message, aussi vous lirai-je demain matin, ce qui correspond à tard dans la nuit pour vous. Bonne nuit.



Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès