Et pour compléter (lisez jusqu’au bout, svp)
Ahmed HALLI Journaliste algérien. Chroniqueur dans le quotidien indépendant « Le Soir d’Algérie » (1)
D es Frères musulmans d’Egypte aux baathistes du Yémen, c’est l’unanimisme. Les musulmans d’aujourd’hui ne cherchent plus l’élévation spirituelle, ils vivent en état d’alerte permanente. Ils chassent le moindre glissement sémantique, la plus petite atteinte à leur vérité historique.
Ils sont les Nemrod des dérapages verbaux, comme les déclarations du pape Benoît XVI. Les musulmans ont le doigt sur la détente des armes de l’indignation, de la colère et du ressentiment. Aujourd’hui, au moindre signal, la protestation s’organise et se transforme, pourquoi pas, en actes de représailles. « Le Pape, c’est combien de divisions ? », disait Staline pour tourner en dérision la supposée puissance du Vatican.
Avec quelques phrases bien senties, dont certaines proviennent du fond des âges de l’islam, ce Pape-là vient de démontrer la puissance du verbe. Rendez-vous compte ! Même le Roi (NdlR du Maroc), notre voisin, incapable tout comme nous de secouer le cocotier, trouve le temps d’être choqué. Il rappelle son ambassadeur au Vatican en signe de protestation contre les déclarations du pape Benoît XVI. Après tout, il est dans son rôle de « Commandeur des croyants » même si la foi populaire vacille aussi au Maroc sous l’effet des vents d’est.
C’est une véritable tempête qui s’est emparée de la « Oumma » arabe et islamique. Les islamistes, les baathistes, les nassériens et les « mines de rien », tous unis, brandissent l’étendard de la révolte. Nos chers petits anges, taxés hâtivement de terroristes, se proposent comme instruments de notre vengeance. Ils menacent d’attaquer Rome et le Vatican et nous sommes tout disposés à les croire.
Dans ce climat de fureur et de grondements collectifs, il est difficile de faire entendre la voix de la raison. Ayant abdiqué depuis longtemps toute tentation de scruter le fond de nos problèmes, il est normal que nous ne supportions plus le regard des autres. Surtout s’il est dépourvu d’aménité. Surtout s’il provient du Pape de la chrétienté dont l’opinion sur l’islam nous tient tant à coeur.
Bien que Benoît XVI n’ait jamais eu la réputation d’être un fervent admirateur de l’islam, l’universelle naïveté musulmane croyait à sa prochaine conversion. Au lieu de cela, il nous poignarde dans le dos en affirmant que nous sommes devenus musulmans avec un couteau sur la gorge. Pourtant, à y regarder de près, Benoît XVI n’apporte rien de neuf en affirmant que l’islam s’est propagé par l’épée. En dehors de quelques exaltés friands de mythes, tous les historiens l’ont écrit et, parmi eux, des Arabes et des musulmans.
Il ne fait que répéter aussi ce qui se dit en islam à propos du djihad. Quant aux commentaires et citations empruntées, il en existe tout un florilège dans la culture occidentale. Attendre du Pape qu’il dise du bien de l’islam, c’est comme demander à Karadhaoui de chanter les louanges de l’Eglise adventiste. Encore que... c’est un peu l’idée que défend, en solitaire, l’imam de la Porte-d’Aix à Marseille, Mohand Alili. Certes, cet imam n’aura jamais la faveur des chaînes satellitaires arabes mais il aura au moins le mérite d’aller à contre-courant du discours dominant. « Ce sont les musulmans qui ont la tête à l’envers en pensant que le Pape va glorifier l’islam », dit-il. Benoît XVI « défend ce qu’il est » et c’est aux musulmans de dire : « Voilà ce que nous sommes. » « Je ne vois pas pourquoi les musulmans s’en prennent au Pape au lieu de s’en prendre aux leurs », à ceux « qui ont décrédibilisé l’islam », a encore noté Mohand Alili. « Je ne vois pas pourquoi je vais m’emporter contre le Pape. »
Plus incisif, l’écrivain irakien Hani Nakchabandi signe dans le magazine « Elaph » ce point de vue dont nous extrayons l’essentiel : « Assurément, le Pape a commis une erreur mais est-il le seul à être tombé dans l’erreur avec ses déclarations contre l’islam et les musulmans ? Je dis non ! Nous commettons tous les jours mille fois plus d’erreurs que lui. Dans chaque prêche du vendredi, nous insultons les pères des pères des chrétiens et les aïeux des aïeux des juifs. Dans chaque prêche du vendredi, nous demandons à Dieu de les détruire, de faire de leurs épouses des veuves et de leurs enfants des orphelins. Dans toutes nos écoles, nous apprenons à nos écoliers que les chrétiens sont impurs et voués à l’enfer. Dans chaque foyer nous apprenons à nos enfants qu’ils sont notre ennemi principal, que nous devons les tuer ou être tués. Nous interdisons même d’invoquer le salut pour leurs défunts même s’ils ont été des hommes de bien et utiles à l’humanité... Oui, le Pape du Vatican s’est trompé mais comme lui nous nous sommes trompés et plus encore. Le mufti d’Al-Azhar, le mufti de Palestine, les théologiens d’Arabie saoudite et du monde islamique, en général, où en sont-ils de la générosité de l’islam qui prêche le bien et interdit de porter atteinte aux autres même en paroles ? Pourquoi ont-ils gardé le silence devant nos propos sur les chrétiens et ont-ils bougé lorsque le Pape a évoqué la personne du Noble Prophète ? Même si les déclarations ultérieures du Vatican ne sont qu’un semblant d’excuse, elles comportent, dans le pire des cas, une reconnaissance de l’ampleur de l’erreur commise. Mais je n’ai pas entendu une seule fois de la bouche d’un mufti ou d’un cheikh musulman des mots pour dire que les injures et les anathèmes lancés contre les chrétiens n’étaient pas permis et s’opposaient à la tolérance de l’islam. Je n’ai pas entendu un seul imam dire que ces comportements étaient erronés. Et prêcher avant tout à nos enfants et à nos écoliers l’amour du prochain. Oui, le Pape s’est trompé, il s’est lourdement trompé. Mais nous nous sommes trompés comme lui et nous persévérons dans l’erreur tous les vendredis, et même tous les jours. »
Dans le même esprit, la Tunisienne Raja Benslama invite les musulmans à se réformer et à offrir une autre image d’eux-mêmes. « Nous voyons, dit-elle, le s musulmans pleurer sur les atteintes à l’image de l’islam et des musulmans. Comme si cette image n’était pas conforme à l’original. Ils déplorent la montée de l’islamophobie comme si l’islam, tel que nous le vivons aujourd’hui, était indemne de toutes peurs. Peur des femmes et des faibles, peur des gens qui prient et pensent différemment. Viennent ensuite les cris de ceux qui ont imposé leur tutelle à l’islam, enturbannés ou non. Ils prennent les devants et répètent à l’envi que l’islam est la religion de l’amour, de la tolérance, de l’égalité et de la raison. Ils exigent de quiconque veut parler de l’islam qu’il soit musulman comme eux, qu’il appuie leurs opinions sur l’islam. Sinon qu’il s’excuse. Sinon malheur à lui ! »
« Les plumes se sont asséchées à force de réclamer la libération de la femme musulmane, depuis plus d’un siècle, note encore l’universitaire tunisienne. Les voix se sont enrouées à force de demander l’ouverture des portes de l’ »ijtihad« , l’abandon des châtiments corporels humiliants, la renonciation à condamner l’apostasie et la reconnaissance de la citoyenneté pour les minorités religieuses. » « Nous sommes lassés des discours sur la réforme et des replâtrages, lassés des ruses des théologiens. Sans doute est-il temps de lancer un appel à reprendre l’islam aux théologiens de la »Charia« et à libérer l’islam lui-même de la »Charia« . Libérer l’islam des arsenaux d’une théologie ancienne et des délires des nouveaux théologiens », conclut Raja Benslama.
(1) Cet article est paru le 18 septembre 2006 dans « Le Soir d’Algérie », www.lesoirdalgerie.com.
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