Bois-Guibert, vous avez fort bien dit : Sisyphe et tous les dogmatiques de l’art moderne (on devrait en fait établir une distinction entre art moderne et art avant-gardiste, ce dernier représentant la dimension proprement nihiliste et fanatique de l’art moderne) sont des gens atteints si profondément dans leur mentalité historisante qu’ils sont quasiment hors d’atteinte de toute thérapie, et encore moins de toute argumentaire. Il y a ainsi des formae mentis dans l’histoire des hommes qu’il ne sert à rien de réfuter dans l’espoir de convaincre ceux qui les exhibent : c’est le passage du temps et les changements profonds des modalités de la vie qui effectueront la critique radicale d’attitudes d’esprit telles que le modernisme et l’avant-gardisme. De nos jours, ce seront le pique pétrolier et l’écroulement complet du capitalisme financier et sauvage, avec les effets innombrables, dont certains seront catastrophiques, que ces deux phénomènes induiront — en fait, ils sonneront le glas du monde moderne tel que nous l’avons connu. Pour ne prendre qu’un exemple, l’architecture moderne est entièrement dépendante de certaines techniques industrielles et de structures économiques modernes, et celles-ci, à leur tour, péricliteront sans l’énergie abondante et à bon marché fournie par les deux sources énergétiques fossiles principales, le pétrole et le gaz. Comment maintiendra-t-on une température agréable dans les immenses musées d’art moderne et d’art contemporain qui se sont élevés un peu partout dans le monde lorsque nous n’aurons plus assez d’huile pour chauffer nos habitations privées ? Comment fonctionneront les ascenseurs dans les immenses tours lorsque la pénurie énergétique entrera dans sa phase la plus douloureuse ? Et cetera – je vous laisse imaginer les autres conséquences des changements qui nous attendent dans les années et les décennies qui viennent.
Bien entendu, le fait que l’argumentation rationnelle est sans effet sur ces personnes (voyez Sisyphe ci-dessus qui fait l’intelligent en me répondant par l’image d’un mec qui ronfle) ne veut nullement dire que des polémiques telles que celle qui anime ce fil ne soient pas salutaires et indispensables, car la polémique laisse des traces et est instigatrice, même dans les esprits les plus colonisés par la propagande du monde moderne et les plus réfractaires.
Pour terminer, on peut tout de même recommander quelques livres frondeurs, à l’ intention de ceux qui sont capables de plus d’ouverture d’esprit, et pour montrer que la discussion sur le statut et la légitimité du modernisme en art a commencé et qu’elle est menée par toutes sortes d’auteurs et selon divers degrés de radicalité :
Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ? (Editions Esprit, 1994, repris par Pocket en 1999)
Jean-Philippe Domecq, Misère de l’art (Calmann-Lévy, 2001)
Jean-Philippe Domecq, Nouvelle Introduction à l’art du XXème siècle (Flammarion)
Marc Jimenez, La querelle de l’art contemporain (Folio, 2005)
Sege Guilbaut, Comment New York vola l’idée d’art moderne (Editions Jacqueline Chambon, 1996 ; repris par Hachette)
Jean Clair, Considérations sur l’état des beaux-arts. Critique de la modernité (Gallimard, 1983)
Jean Clair, Responsabilité de l’artiste. Les avant-gardes entre terreur et raison (Gallimard, 1997)
Jean Clair, De Immundo : apophatisme et apocatastase dans l’art d’aujourd’hui (Editions Galilée, 2004)
Jean Clair, Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes (Mille et une nuits, 2003)
Jacques Soulillou, L’impunité dans l’art (Seuil, 1995)
Christian Delacampagne, Ou est passé l’art ? Peinture, photographie et politique (1839-2007) (Editions du Panama, 2005)