Bonjour Voltaire
article très juste, oh combien !
Mais l’évolution de l’attitude et des stratégies des services de l’ordre (!) n’est pas propre à la France ; il est inscrit dans l’image même de l’humain que se fait l’Etat-Nation moderne et par conséquent, de ses majorités démocratiques : l’humain y est vu comme un "citoyen", cad un "élément" constitutif de la nation, dont l’aspect premier doit être sa soumission totale aux règles étatiques.
C’est évidemment contradictoire avec les définitions classiques de la citoyenneté, par ex dans les cités grecques ou romaines. Mais comparer les deux serait une erreur car le statut de citoyen d’alors était opposable à celui d’esclave et s’assimilait plutôt à un privilège aristocratique...
En vérité, on constate qu’aujourd’hui, et de plus en plus chez nous, le "citoyen" est sommé non seulement de se soumettre aux règles définies par l’Etat mais aussi et surtout d’y adhérer totalement (comme dans les contrats : lu ET approuvé !). Il est de moins en moins toléré, par exemple, que l’un d’entre nous puisse se réclamer d’une éthique et de valeurs humaines propres, même confirmées par notre culture historique :
essayez un jour de donner par charité asile à une personne en séjour irrégulier, par exemple, ou de réagir devant des abus de pouvoir évidents des forces de l’ordre - ce qui a pu arriver à des passagers en avion qui réagissaient devant des brutalités policières lors d’une expulsion, par exemple- et vous verrez où celà pourra vous entraîner. Vous serez immédiatement classé comme un véritable délinquant, cad comme un ennemi de l’Etat.
Aujourd’hui, et de plus en plus, prétendre appliquer de son propre chef une éthique de dignité humaine de base conduit à un affrontement avec l’Etat et ses organes et est assimilé par lui comme une trahison .
Le citoyen d’aujourd’hui "appartient" en quelque sorte à l’Etat, ce qui l’assimilerait plutôt au statut d’esclave que de citoyen selon les définitions antiques, et les "qualités citoyennes" réinventées l’inscriraient plutôt en opposition par rapport aux qualités qui ont toujours défini la dignité humaines : dépendance plutôt qu’autonomie, soumission la plus abjecte aux organes de l’Etat plutôt que réaction devant une injustice ou un cas d’abus de pouvoir, avidité et matérialisme plutôt que noblesse d’esprit, état de résignation plutôt que prise en charge de soi-même et des autres, individualisme le plus égoïste qui soit plutôt que vie communautaire généreuse et empathie vis à vis des autres, etc, etc...
Qui plus est, une des obligations qui s’impose aujourd’hui à nous est de donner aux autres une image de bien-être : au moins au niveau du non-dit, le citoyen moderne est soumis au "devoir de réussite" !
En conséquence de tout celà, le simple fait d’être pauvre et de résider dans certaines cités, à Montfermeil par exemple, à l’exclusion de tout délit, tend d’ore et déjà à vous assimiler au "peuple des délinquants" ; si vous êtes pauvre, et que de plus vous habitez là bas, c’est sans doute qu’il y a de bonnes raisons...
Un ghetto se définit plus par les regards de l’extérieur que par ceux de l’intérieur, et est toujours vu par ceux de l’extérieur, "les gens normaux", comme une menace d’autant plus redoutable qu’elle est imprécise.
C’est ce que l’on pourrait définir, pour être pédant, comme "le syndrôme de Palestine" :
dans une situation de communautarisme poussé à l’extrême, en plein conflit, on ne voit plus l’autre, celui de la communauté d’en face, comme son semblable mais comme la menace par excellence, en somme la définition même de la "vermine" ! Sous prétexte, entre autre ,d’efficacité, la notion même d’humanité finit par disparaître.
Dans un tel contexte, la psychologie des enfants est un paramètre qui est peu pris en compte : si un enfant voit abattre son père et qu’il survit, il peut se considérer comme ayant de la chance ! C’est une situation aujourd’hui tout à fait courante en Irak, par exemple, et qui a tendance à se répandre sur Terre.
Et il est visible que, par contagion peut-être et toujours sous prétexte d’efficacité, les membres des polices "de pointe" de plus en plus de pays finissent par se prendre pour des "marines" et des "rangers"et par en acquérir la silhouette.
Non seulement c’est indigne, mais c’est de plus anti-pédagogique et absolument contre productif : car un groupement humain ainsi traité en ennemi finit lui aussi par se définir ainsi à contrario et par acquérir une vision de lui-même comme communauté rejetée.
Une telle politique ne fait que générer les communautarismes, et pousse les gens à s’organiser et à finir par développer des résistances voire même des représailles.
Ce qui, évidemment, justifiera à l’avenir des mesures de plus en plus sévères, qui seront de plus en plus inefficaces et dangereuses.
Les Israeliens l’ont appris à leurs dépens au Liban : à appliquer ce type de politique on met fatalement en oeuvre le processus, oh combien efficace et impitoyable à long terme, de la sélection naturelle :
pour mettre le mouvement en échec, on arrête les chefs bien sûr, ou on les assassine si l’on ne peut faire autrement , ce qui, si le problème de fond n’est pas résolu, ne peut qu’avoir pour effet de libérer de la place pour d’autres chefs, par définition toujours plus efficaces et plus redoutables.
Et voilà comment, en une vertigineuse spirale de bêtise, d’injustices et d’autoritarismes aveugles, on transforme des gens parfaîtement paisible à l’origine en fauves, que l’on prépare, que l’on invente littéralement les futures révoltes, et que l’on se fabrique soi-même les ennemis les plus acharné.
Le fait que des policiers de chez nous se soient pris du plomb de chasse n’est pas une nouveauté : les anciens anarchistes du début du vingtième siècle étaient beaucoup plus redoutables ; mais, si on en reste aux seules politiques de répressions, le risque existe qu’à l’avenir il ne s’agisse plus de plombs de chasse, mais progressivement de projectiles de douze-sept et d’obus de mortiers entre autres.
Ce n’est pas ça qui manque sur les marchés mondiaux ...
Cordialement Thierry