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Commentaire de legendre

sur Sarko le plombier dans un système qui nous échappe


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legendre legendre 22 octobre 2008 20:03

Personnellement, je n’en ai rien à cirer de leur crise : je suis tombée dedans quand j’étais petit. Un soir, mon père est rentré du boulot avec une 4L. Il avait revendu, pour cause de crise du pétrole, la Commodore, la belle américaine morfale à la gigantesque banquette arrière où je m’allongeais pour les longs trajets.
Depuis ce moment-là, ça a toujours été la crise : éteindre la lumière en sortant d’une pièce, pour économiser, mettre un gilet en hiver plutôt que de monter le thermostat, bosser dur à l’école pour échapper au chômage galopant, collectionner les diplômes et les emplois de merde sous-payés, des loyers qui grimpent avec des revenus qui stagnent au mieux, toujours rogner, accepter le Smic comme plafond de verre et renoncer, petit à petit, à toujours plus de choses : les sorties, les restos, les loisirs, les journaux (ça, ça a été facile !), les fringues, les déplacements, les livres (ça, ça a été vraiment dur !), les soins, le chauffage... Là, il ne reste plus grand-chose à rogner en dehors de la bouffe et du logement, mais, même ce peu, ça fait encore envie aux charognards.

L’argent ne s’est pas évaporé, ce sont les promesses de gains anticipés sur notre travail réel qui ont été réétalonnées, un temps, sur l’économie réelle. Parce qu’ils ne peuvent finalement pas nous prendre plus de fric que celui qu’ils consentent encore à nous lâcher, fort parcimonieusement, par ailleurs. C’est ça, la crise des subprimes. L’étonnement de voir que les pauvres payés au lance-pierre n’allaient pas pouvoir payer deux fois leur valeur des baraques qui coûtent déjà plus d’une vie de labeur.
C’est sûr, quelle surprise !

La vraie surprise, pourtant, pour les loqueteux, ça aurait dû être de découvrir que l’argent qui manquait connement il y a quelques jours pour leur éviter de crever la bouche ouverte, cet argent aujourd’hui sort de partout pour colmater les dettes de jeu de ceux qui avaient pourtant déjà tout. Pas de fric pour l’école, la recherche, la santé, les retraites, les banlieues, les chômeurs, les fonctionnaires. Mais 10 fois, 100 fois, 1 000 fois plus de fric, comme ça, au débotté, pour combler les fouilles des banquiers. Ça, ça devrait être la putain de surprise, la vraie leçon de la crise. Et où comptent-ils trouver tout ce pognon qui leur faisait si cruellement défaut quand on en avait besoin pour honorer de simples engagements de l’État devant les citoyens ? Ils hésitent : le livret A, le LEP... les petits bas de laine des gagne-petit. Plus une dette supplémentaire qu’il n’est plus subitement honteux de faire peser sur notre descendance. La dette pour les investissements humains, c’est mauvais. La dette pour nourrir l’ogre financier, c’est bien.

Le capitalisme, c’est comme les rasoirs Gillette : une première lame pour bien choper le pauvre et une seconde pour lui faire les poches. Puis une troisième, au cas où la seconde aurait oublié du pèze dans les coins inaccessibles. Et pourquoi pas une quatrième, pendant qu’on y est ? Pour finir d’essorer le pauvre avant qu’il ne se rétracte. Directement dans le vif.

Tout ce qui compte, c’est de nous maintenir dans un état de panique permanent : le chômage, les talibans, la crise. Qu’on ait bien peur et que l’on soit prêt à suivre n’importe quel dogme, du moment qu’il sort de la bouche d’un homme providentiel. Pour que l’on soit dans l’urgence, pas dans la réflexion : "vite, on est dans la merde, videz vos poches... heu, mais pas vos comptes en banque (on en a encore besoin !)". Il nous faut avoir peur de la misère noire qu’annonce la crise qui déferle. Cette crise qu’ils nous agitent sous le nez comme une muleta pour que nous ne voyons pas que les seuls perdants, c’est nous, que le fric qui est aspiré goulûment par les boîtes noires commodément opaques des chambres de compensation, c’est le nôtre, que leur richesse, c’est notre pauvreté, qu’ils ont absolument besoin de nous pour continuer de la même manière alors que nous n’avons pas du tout besoin d’eux pour vivre mieux.

Parce que nous n’avons pas besoin d’eux et de leur système confiscatoire mortifère, alors qu’eux colonisent nos vies pour bâtir leurs fortunes.
Pas besoin d’eux pour construire autre chose, ici et maintenant.
Et les laisser dans leur merde.

Ce n’est pas une crise, c’est une révélation. Ce n’est pas le chaos, c’est la revanche du réel. Ce n’est pas la fin, mais peut-être bien le début.
Ils vont tenter de nous vendre au prix du sang leur monnaie de singe et leurs rêves de pierre, pour perpétuer le système. Le leur. Celui qui leur profite.
La vraie révolution, c’est de cesser de les croire, ne plus avoir peur et passer à autre chose, maintenant, ici et partout.

C’est pour cela que l’âge de la critique se termine ici et que commence enfin l’âge de faire.

Parce que la peur nous est devenue tellement familière qu’elle fait partie de nous, de notre vécu, de notre quotidien.

Ils n’ont parlé que de ce qui peut nous faire peur. De ce qui doit nous faire peur.

Peur de la catastrophe climatique, de la fin du pétrole. Peur du soleil, qui file le cancer. Peur de la pluie, qui ravine et inonde. Quand elle n’est pas acide. Peur des belles journées de printemps, qui font grimper les pics de pollution. Peur du printemps qui libère les pollens meurtriers qui attaquent nos bronches sous cellophanes. Peur de ce qui pousse. À cause des pesticides. Peur de l’eau, presque plus potable. Peur de ce que l’on mal-bouffe  : des vaches folles, des francken-légumes, des aliments irradiés, transformés, dénaturés. Peur de trop bouffer. Peur du cholestérol, du sel, du sucre, de la viande trop riche, du poisson trop carré. Mais peur de manquer aussi. Peur de ne pas tout avoir dans le caddie, dans le placard. Peur du trop ou du pas assez.

Peur d’être gros. Peur de ne pas être dans la norme. D’être trop dans la norme. Peur de ne pas exister. De ne pas s’affirmer. Peur d’être seul. Peur des autres. Peur d’aimer. Aimer, c’est prendre le risque de souffrir. Peur de ressentir. Peur de vivre.

Peur de l’autre. Peur de l’étranger. Peur de ce que l’on ignore. On sert son sac contre son cœur, convulsivement. Peur d’échanger, de rencontrer. Si l’autre a peur aussi, va-t-il attaquer le premier ? Peur de perdre son territoire, son identité. Qu’est-ce que c’est ? On s’en fout. Il ne faut pas le perdre.

Peur de tout perdre. Peur de son patron. Du petit chef. Peur du collègue : évaluation 360°. Mais on la ferme ! La peur du chômage est la plus forte. Peur de perdre un boulot que l’on exècre. Peur de déchoir. Peur de passer de l’autre côté. Peur de ne pas s’en sortir. Peur du conseiller ANPE, qui peut biffer une vie en un seul clic. Peur du facteur, qui n’apporte plus que les factures. Peur du manque. Le manque d’argent. Peur de ne pas pouvoir régler une traite de plus. De perdre sa maison. Sa voiture. Sa femme. Ses gosses. Même le chien.

Peur d’être malade. Peur du cancer. Tapi partout. Dans l’amiante des murs ou même dans L’antirides de madame. Peur du SIDA. Peur de baiser. Peur des bactéries qui rentrent en résistance. Peur de la Sécu, qui nous lâche quand on en a besoin. Peur de vieillir. Peur des rides, des cheveux blancs. Peur de paraître faible, vieux, peur d’être une victime. Peur du système qui broie. Peur d’en changer. Peur du lendemain. Peur de vivre. De juste se regarder dans la glace.

Peur de sortir. Peur de rester. Peur du monde. Peur des Chinois qui bouffent du riz et des parts de marché. Peur des terroristes, mais peur du grand allier, aussi maintenant.

Même les planques virtuelles ne sont plus sûres. Peur du Net, le repaire tentaculaire des terroristes et des pédonazis. Peur des virus qui effacent les fichiers, de ceux qui caftent nos habitudes, de ceux qui détournent le numéro de CB. Peur de l’intox. Peur de l’info. Peur des monopoles de silicone. Le cyberespace est une jungle.

Peur des flics. Ceux qui filent des prunes. Ceux qui lardent de pruneaux. Ceux qui racolent à la sortie des écoles. Peur des radars automatiques. Peur des chauffards. Peur des bestioles qui traversent la route sans prévenir : mais où est-ce que j’ai bien pu mettre mon putain de par-buffles ?

Peur des gosses. Peur des jeunes. Peur de la jeunesse qui s’en va et ne revient pas. Peur de notre jeunesse. De notre avenir. Désir d’éternel présent. Mais avant. C’est toujours mieux avant. Peur des vieux aussi. Trop nombreux. Trop gourmands. Qui ne veulent pas lâcher la rampe et passer le flambeau. Et qui va payer nos retraites ?



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