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Commentaire de Malika

sur Le bilan positif du colonialisme (français)


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Malika (---.---.166.50) 16 octobre 2006 18:30

Voici ci-dessous le texte présenté par Rosa Amelia Plumelle-Uribe, auteur de « La Férocité blanche », le 15 juin à Berlin dans le cadre du Forum de Dialogue organisé par la section européenne de la Fondation AfricAvenir.

Nous sommes réunis ici pour analyser ensemble le lien historique qui, comme un fil conducteur conduit de la barbarie coloniale à la politique nazie d’extermination. Il s’agit d’un effort visant à détecter au moins la plupart des facteurs qui, de manière directe ou indirecte, auraient favorisé le développement politique et l’épanouissement idéologique d’une entreprise de déshumanisation comme la barbarie nazie en Allemagne et au-delà de ses frontières. Cette contribution est utile à toute démarche qui voudrait mettre fin à toute sorte de discrimination d’où qu’elle vienne ; à commencer par cette discrimination qui consiste à trier parmi les crimes pour ensuite, suivant l’identité des victimes ou parfois l’identité des bourreaux, sélectionner le crime qu’il faut condamner. Cette hiérarchisation des crimes et donc de leur condamnation, demeure un handicap majeur dans la lutte pour la prévention des crimes contre l’humanité dont le crime de génocide.

Il convient de préciser tout de suite que, les guerres de conquête et les crimes liés à la domination coloniale, ainsi que la réduction d’êtres humains en esclavage, étaient déjà une réalité dans les temps anciens. Par exemple, lorsque la domination des Musulmans arabes s’étend vers l’Europe, le commerce d’êtres humains est une activité millénaire parmi les Européens. Le règne de l’islam en Espagne, de 711 à 1492, a simplement dynamisé la traite d’esclaves intra européenne (1) faisant du continent un important fournisseur d’esclaves, femmes et hommes, expédies vers les pays de l’islam.

Les prisonniers, majoritairement slaves, alimentaient le commerce d’hommes entre Venise et l’empire arabo-musulman du sud de la Méditerranée. C’est ainsi que dans les langues occidentales, le mot « esclave » ou « slave » se substitue au latin « servus » pour désigner les travailleurs privés de liberté. Autrement dit, pendant plusieurs siècles, des Chrétiens européens vendent d’autres Européens à des commerçants Juifs spécialisés dans la fabrication d’eunuques (2), lesquels étaient une marchandise très prisée et fort sollicitée dans les pays de l’empire musulman.

Des chercheurs, spécialistes de l’esclavage en Europe au Moyen Âge, ont vu dans le système d’asservissement inauguré en Amérique par la domination coloniale, un lien de continuité avec les institutions esclavagistes de l’Europe. Jacques Heers dit que « C’est le mérite incontestable de Charles Verlinden, sur ce point véritable pionnier, que d’avoir marqué que la conquête et l’exploitation coloniales des Amériques s’étaient largement inspirées de certaines expériences toutes récentes en Méditerranée et s’inscrivaient en droite ligne dans une continuité ininterrompue de précédentes médiévaux » (3).

J’ai néanmoins choisi d’aborder cette analyse, à partir de 1492 lors de l’arrivée des Européens dans le continent américain. Et j’ai fait ce choix parce que, malgré ce qui vient d’être dit, la destruction des peuples indigènes d’Amérique, l’instauration de la domination coloniale et le système de déshumanisation des Noirs sur ce continent, n’avaient pas de précédent dans l’histoire. Et surtout, parce que la prolongation de cette expérience pendant plus de trois siècles, a largement conditionné la systématisation théorique des inégalités y compris l’inégalité raciale dont les conséquences restent d’actualité.

Les historiens du 20ème siècle, travaillant sur la conquête de l’Amérique, sont parvenus à se mettre plus ou moins d’accord pour estimer le nombre d’habitants du continent américain à la veille de l’invasion. Il a donc été retenu qu’à la veille du 1500, environ 80 millions de personnes habitent dans le continent américain. Ces chiffres furent comparés à ceux obtenus cinquante ans plus tard à partir des recensements espagnols (4).

Il en ressort que vers 1550, des 80 millions d’Indigènes ne restent que 10 millions. C’est-à-dire, en termes relatifs une destruction de l’ordre de 90% de la population. Une véritable hécatombe car en termes absolus il s’agit d’une diminution de 70 millions d’êtres humains. Et encore, il importe de savoir que ces dernières années, des historiens sud-américains sont parvenus à la conclusion qu’en réalité, à la veille de la conquête il y avait en Amérique plus de 100 millions d’habitants. D’un point de vue européen, ces estimations sont inacceptables, et pour cause ! Si cela était vrai, nous serions devant une diminution de 90 millions d’êtres humains.

Mais, au-delà du nombre d’Indigènes exterminés, le comportement collectivement adopté par les conquérants chrétiens a eu des conséquences qui perdurent. Par exemple, la justification postérieure de ce génocide a conditionné l’évolution culturelle, idéologique et politique de la suprématie blanche à l’égard d’autres peuples non Européens, et finalement à l’intérieur même d’Europe. La situation d’impunité dont bénéficiaient les conquistadores devait, fatalement, favoriser l’apparition très rapide de pratiques assez inquiétantes. Ainsi, la mauvaise habitude de nourrir les chiens avec des Indigènes et parfois avec des nourrissons arrachés à leur mère et jetés en pâture à des chiens affamés. Ou la tendance à s’amuser en faisant brûler vifs des Indigènes jetés dans des bûcher allumés pour les faire rôtir (5). Ce désastre fut la première conséquence directe de ce que les manuels d’histoire continuent à appeler ‘la découverte de l’Amérique’.

Après d’avoir vidé le continent américain de sa population, les naissantes puissances occidentales ont fait de l’Afrique noire, une pourvoyeuse d’esclaves pour l’Amérique. Cette entreprise a désagrégé l’économie des pays africains et vidé le continent d’une partie de sa population dans ce qui demeure, la déportation d’êtres humains la plus gigantesque que l’histoire de l’humanité n’ait connue. Ici, il convient de rappeler la situation des pays africains au moment où ils sont abordés par les Européens.

C’est un fait que, même si le mode de production en Afrique n’était pas fondamentalement esclavagiste, les sociétés y connaissaient certaines formes de servitude. Comme nous l’avons dit, au Moyen âge, l’esclavage ainsi que la vente d’êtres humains, était une pratique très généralisée et l’Afrique n’a pas été une exception. Depuis le 7ème siècle, l’Afrique noire, tout comme l’Europe depuis le 8ème siècle, approvisionne en esclaves les pays de l’empire arabo-musulman.

Il semblerait qu’à l’époque, la dimension et les modalités du trafic d’esclaves n’auraient pas été incompatibles avec la croissance de l’économie dans les pays concernés par ce commerce d’êtres humains. Il est d’ailleurs couramment admis que c’est sous le règne de l’islam en Espagne que l’Europe a commencé à sortir des ténèbres du Moyen âge. Concernant l’Afrique, on notera qu’au 15ème siècle, malgré la ponction faite par la traite négrière arabo-musulmane, les pays de ce continent jouissent d’un bon niveau de développement social.

Le dépeuplement du continent ainsi que la misère et l’indigence de ses habitants malades et affamés, décrits par les voyageurs qui abordèrent l’Afrique noire au 19ème siècle, contrastent avec les pays densément peuplés, l’économie fleurissante, l’agriculture abondante, l’artisanat diversifié, le commerce intense et surtout, avec le niveau de bien être social décrits par les voyageurs, géographes et navigateurs ayant abordé l’Afrique noire entre le 8ème et le 17ème siècle, et dont nous connaissons maintenant les témoignages grâce aux recherches de Diop Maes (6).

Entre le 16ème et le 19ème siècle, les guerres et razzias favorisées par les négriers pour se procurer les captifs, ont provoqué la destruction quasiment irréversible de l’économie, du tissu social et de la démographie des peuples africains. Le caractère massif, voire industriel, de la traite négrière transatlantique, a causé en trois siècles, des ravages que le continent n’avait jamais connus malgré huit siècles de traite négrière arabo-musulmane. Ce nouveau désastre fut la deuxième conséquence de la colonisation d’Amérique.

Dans le cadre de la domination coloniale sur le continent américain, les survivants indigènes, dépouillés de leurs terres furent refoulés et parqués dans des réserves. Dans le même temps, des millions de femmes, d’enfants et d’hommes Africains arrachés de chez eux et déportés dans l’Amérique, furent systématiquement expulsés hors de l’espèce humaine et réduits à la catégorie de bien meuble ou de sous-homme. L’infériorité raciale des non-Blancs et sa sœur gémelle, la supériorité de la race blanche, furent inscrits dans la loi, consacrées par le christianisme et renforcées dans les faits.

Les puissances coloniales, Espagne, Portugal, France, Angleterre, Hollande, légiféraient pour se doter du cadre juridique à l’intérieur duquel la déshumanisation des Noirs devenait légale. En conséquence, chaque métropole avait un arsenal juridique pour réglementer sa politique génocidaire dans l’univers concentrationnaire d’Amérique. A cet égard, la codification la plus achevée aura été le code noir français (7). Promulgué en 1685, cette monstruosité juridique est restée en vigueur jusqu’à 1848 lors de la seconde abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Il est significatif que, au moins pendant les 16ème et 17ème siècles, pour autant que nous sachions, il n y eut pas une seule voix autorisée pour dénoncer et condamner l’expulsion légale des Noirs hors de l’espèce humaine. Même au 18ème siècle qui était pourtant le siècle des Lumières, aucun de ces grands philosophes n’a, formellement, exigé aux autorités compétentes la suppression immédiate, réelle, sans atermoiements, des lois qui réglaient ces crimes (8).

On a l’habitude d’ignorer que grâce à la racialisation de l’esclavage dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, la supériorité de la race blanche et l’infériorité des Noirs sont devenues un axiome profondément enraciné dans la culture occidentale. Il faut savoir que cet héritage pernicieux de la domination coloniale européenne, combiné aux effets néfastes de la manie des Lumières de tout ordonner, hiérarchiser, classifier, a stimulé l’émergence d’une culture plus ou moins favorable à l’extermination des groupes considérés inférieurs.

Entre le 15ème et le 19ème siècle, toute la production littéraire et scientifique concernant les peuples indigènes d’Amérique, visait à justifier leur extermination passé et à venir. Après trois longs siècles de barbarie coloniale sous contrôle chrétien, un des principes validés par les catholiques espagnols, est la certitude que tuer des Indiens n’est pas un pêché (9). Cette conscience fut renforcée par les protestants anglophones, convaincus qu’un bon Indien est un Indien mort. Aussi, toute la littérature concernant la bestialisation des Noirs dans l’univers concentrationnaire d’Amérique, était une véritable propagande en faveur de la traite négrière et de l’esclavage des Noirs présentés comme un progrès de la civilisation.

Lorsque finalement eut lieu le démantèlement de l’univers concentrationnaire d’Amérique, le changement provoqué par les abolitions de l’esclavage eut une portée assez limitée. D’abord parce que l’essentiel des structures et des rapports sociaux et économiques mis en place par la barbarie institutionnalisée, sont restés quasiment inchangés. Et aussi, parce que le triomphe de la pensée scientifique sur la foi religieuse a donné à la race des seigneurs et aux valeurs de la civilisation occidentale, une crédibilité dont la religion ne bénéficiait plus auprès des esprits éclairés. Désormais, la colonisation et les actes de barbarie qui lui sont consubstantiels, par exemple l’extermination de groupes considérés inférieurs, se feront ayant comme support un discours scientifique.

Il serait utile une étude très serrée concernant le rôle des scientifiques occidentaux dans le développement de la culture d’extermination qui a prévalue au 19ème et au début du 20ème siècle dans les pays colonisateurs. Malgré son rapport étroit avec notre analyse, cela n’est pas le sujet central de cette communication. Mais, nous pouvons néanmoins dégager quelques pistes pour ceux qui voudraient reprendre le sujet et se renseigner davantage. Au milieu du 19ème siècle, les Associations scientifiques les plus prestigieuses semblent avoir été la Geographical Society et l’Anthropological Society à Londres et aussi, la Société de Géologie à Paris. Le 19 janvier 1864, eut lieu une table ronde organisée par l’Anthropological Society sur « l’extinction des races inférieures ». Il y fut question du droit des races supérieures à coloniser les espaces territoriaux considérés vitaux pour leurs intérêts.

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