Il y a effectivement dans l’air et depuis quelques années, un concept selon lequel "L’être devrait prendre le pas sur l’avoir" . Il gagne du terrain.
Plus c’est simple, plus ça peut se répéter et mieux ça peut réussir.
Je suis néanmoins pantois devant le succès de ce simplisme.
Je comprends très bien la bonne idée qui fermente sous ce mot d’ordre et j’irais plutôt en ce sens, dans ma vie et sur le fond.
Mais quelle bêtise de promouvoir une ère moins matérialiste en commençant par opposer ETRE et AVOIR !
On voudrait pourrir son évènement qu’on ne s’y prendrait pas autrement
Comment peut-on en arriver à accepter une devise selon laquelle il faudrait bannir l’AVOIR ?
Que faites-vous du coeur que vous AVEZ ?
De la conscience que vous AVEZ ?
Du coup de soleil que vous AVEZ ?
Des parents que vous AVEZ ?
Des rêves que vous AVEZ ?
Fut un temps, il ne fallait pas dire "femme de ménage" alors, tortillant du cul pour éviter cette expression taboue, on en est arrivé à lui substituer "Agent de surface"
Bin lorsque, pour tout un chacun, il sera établi qu’un agent de surface c’est une personne qui lave le sol pour un salaire de misère et qui n’a aucune chance d’entrer à l’Académie, cette expression deviendra à son tour politiquement incorrecte.
En un autre temps, j’avais également prévenu les prosélytes du "Droit à la différence" qu’il étaient en train de se fourvoyer. Je leur conseillais de viser plutôt le "Droit à l’indifférenciation". Car la différence entre Eux et les Autres est un fait palpable sur plusieurs plans. Ce fait est tout le temps perçu et il n’y a rien à réclamer pour qu’il puisse davantage exister. Ce que les Différents devraient rechercher c’est qu’on traite indifféremment leurs demandes d’emploi, sans tenir compte de leurs différences ethno-éducationnelles donc.
Revenons à AVOIR Vs ETRE
AVOIR est un auxiliaire de conjugaison et on en a besoin pour dire "j’ai été un enfant" On va faire comment sans lui ?
Quoi ? C’est moi qui exagère, qui fais tout un plat de la diabolisation de l’AVOIR ?
Personne ne t’a demandé de bannir l’usage de ce mot, Easy, tu déconnes et tu le sais !
Bin c’est ce qu’on vAVOIR
Ooopus pardon, j’ai dit le gros mot. Pitié ne me pendez pas !
Lorsqu’une énorme révolution s’articule sur un slogan comprenant un mot posé en repoussoir (sans que son sens y soit clairement défini) alors tous les excès sont possibles et ses talibans sont prêts à surgir de de partout à la fois.
Exemples
- En ce moment, nos ministères pondent des circulaires dans lesquelles il y a certains mots qui sont bannis du genre "Crise" "Savamal" "Catastrophe" "Ruine" Celui qui commettrait l’erreur d’en laisser un passer sera viré illico et repartira en Vélib et p’tet même en slip
- Le slogan "Le blanc devrait prendre le pas sur le noir" n’aboutirait-il pas à des massacres de noirs ? Déjà que ...
Vous le savez, l’Homme se distingue de l’animal par sa faculté de penser beaucoup.
Alors qu’il a peu développé son corps, il a énormément développé sa machine à gamberger. Déjà Aristote en faisait tout un plat de la pensée. Il la plaçait au-dessus de tout ; considérant par exemple que le travail manuel était à réserver aux esclaves.
Il y a donc toujours eu, chez l’Homme, comme une course vers la sur-pensée. Plus on est considéré comme penseur, plus on nous place dans l’élite. A quelques exceptions près.
Très tôt, l’Homme a su fabriquer de la transcendance. Il a su voir dans Ayers Rock, dans Devils’s Tower, dans le soleil, dans la lune, dans un volcan, dans le tonnerre, dans les vagues, quelque chose de non palpable d’immatériel et de grande valeur (positive ou négative) Quand je dis "fabriquer" je veux dire qu’il a conçu des transcendances et que, parfois, il a su les transmettre à d’autres et c’est ainsi, qu’intersubjectivité aidant, certaines de ces valeurs immatérielles ont fait florès (paradis, enfer, Noël, victoire, défaite..)
Une fois qu’il a installé des transcendances sur des choses qui existaient naturellement, l’Homme s’est mis à en installer sur des choses ramassées, collectées, entretenues ou fabriquées par lui : menhir, dolmen, pyramides, arc de triomphe, Versailles, ouature, piscine à débordement, matin Ricorée, Mont-Blanc, Riva ,etc.
Et comme il a su installer des transcendances sur tout, il a su en installer sur des transcendances. Sur l’amour il a su installer le romanesque par-dessus duquel il a installé le romantisme. Sur le romantisme il a su installer la vision de Novalis et là-dessus ya Trackel qui a encore su en remettre une couche
Pareillement, sur la Liberté du peuple on a installé le nationalisme bonapartiste, puis ,après Sedan, on a greffé dessus le gaullisme et sur le gaullisme on a cultivé encore toutes sortes d’herbes fantasmatiques.
Sur le papier monnaie qui est déjà une représentation de représentation, il a su installer tellement de transcendances que ça nous fait mal quelque part quand un gus brûle un Pascal devant nous (Pour ceux qui n’étaient pas nés : C’était Gainsbourg à la télé et un Pascal c’était 500 F)
D’autre part, l’Homme a vite été fasciné par l’infini, par les infinis.
Alors, de même qu’il a perçu l’existence d’infinis bien concrets (grains de sables sur Terre) il a conçu des trancendances avec infinis : "Dieu est partout" "Allah est grand" "Tout n’est que recommencement" "La femme est l’avenir de l’homme"
On se retrouve avec un environnement bourré d’infinis matériels et immatériels. Pour une part ils étaient là avant nous, pour une autre part, c’est nous qui les avons inventés tant ils nous fascinent.
Et bien malgré nos efforts pour tenter de donner plus de valeur à nos infinis transcendantaux, les infinis matériels naturels ou créés, nous écrasent de leur évidence. Le palais de Minos en impose n’est-ce pas ?
Les chiffres matériels, les dimensions matérielles, les quantités matérielles l’emportent malgré notre intellectualisme sur nos fées et nos dieux. Car nous sommes d’abord de la matière et tant que nous ne saurons ni léviter ni survivre à une balle de plomb dans la tête, le matériel aura le dernier mot.
Ce qui n’empêche pas certains d’entre nous, en certains contextes, d’accorder plus de prix à des transcendances qui les ennivrent qu’à des choses bien concrètes. Ils peuvent en venir à tuer des corps en vie pour donner corps au concept qui leur tient à coeur, que ce concept soit religieux, politique, philosophique ou sentimental (On sacrifie une vache au Dieu Volcan, dix milions d’hommes pour une Révolution...)
Oui, pour que leur concept puisse ETRE, des enfiévrés en sont venus à tuer des corps tout à fait matériels ayant besoin d’eau propre, de riz et de légumes, autant de choses tout à fait matérielles qu’il faut AVOIR
On a tué pour ETRE un bon serviteur de Rome
On a tué pour ETRE un bon Chrétien, un bon Musulman, un bon Communiste, un bon Communard, un bon Royaliste, un bon nationaliste, un bon colonialiste, un bon libérateur
Il n’en reste pas moins vrai que l’on tue aussi énormément pour AVOIR (depuis le minimum vital jusqu’au mille fois superflu) Etant désormais entendu que dans toute valeur matérielle visée, il lui est attaché son lot de valeurs immatérielles. Au point que l’on ne sait plus exactement en quoi consiste le coeur de ce que l’on convoite. Qu’a-t-on acheté quand on ramène un Van Gogh à la maison ?
Que faire alors ?
Quel slogan promouvoir ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’on puisse trouver un slogan qui exprime un concept de modération
En manifestation, on va plutôt à utiliser des mots radicaux, tranchants, menaçants, stigmatisants mais le recours à un slogan dur pour exprimer une volonté de plus de modération, ça fait désordre schizo.
Il me semble que tous les concepts de modération-partage-équité existent déjà depuis longtemps (et ils font leur oeuvre, faut pas croire. Nous ne sommes pas tous des gloutons, loin de là)
Il me semble inutile d’en inventer un de plus.