(2) Suite et fin
...La question est également de savoir comment faire des programmes si l’on ne sait rien de la suite et en particulier de l’évaluation des études secondaires (suppression ou transformation du bac, contrôle continu, crédits d’enseignement par modules, autres ?). Rappelons que la grande réforme historique de 1902, laquelle a introduit officiellement l’enseignement moderne dans les lycées, avait été précédée de mois d’enquêtes et de discussions parlementaires d’un très haut niveau intellectuel. Dès 1899, plus de 200 personnalités de l’enseignement, de la politique, de l’économie, avaient ainsi été auditionnés. Autres temps, autres moeurs.Au-delà du risque inhérent à l’impréparation, se pose la question de la pertinence pédagogique de la réorganisation prévue. Recensons quelques points de la réforme qui devaient faire débat et sur lesquels professeurs, parents et élèves auraient leur mot à dire. L’affichage officiel souligne trois caractères majeurs de la réforme : un enseignement modulaire, un enseignement semestriel, un enseignement moins chargé.Un enseignement modulaire. Dans l’état actuel du chantier, l’unité de base des études serait le « module » de 3 heures pour toutes les disciplines. C’est l’idée faite pour séduire aussi bien les libéraux adeptes du « libre choix » que les tenants du « constructivisme pédagogique » : les lycéens choisiront leur parcours et construiront leurs savoirs. Ils seront « acteurs de leur apprentissage » selon la formule officielle. Claude Allègre avait déjà eu cette tentation de séduire les élèves par la promesse d’études plus sympathiques dans un« lycée allégé » où le terrible ennui des études et l’impitoyable sélection seraient enfin surmontés. Sans entrer dans de trop vastes considérations, notons seulement qu’il n’est pas certain que ce « lycée à la carte », que cet enseignement « au choix », soit nécessairement plus démocratique et plus efficace. Ni même qu’il soit nécessairement plus « sympathique ». Le « choix » des modules, qui vient s’ajouter à celui des établissements avec la suppression de la carte scolaire, risque de favoriser ceux qui détiennent les clés des meilleurs parcours et qui sont déjà ceux qui ont les atouts pour obtenir une place dans les lycées de leur supposé « libre choix ».Les lycéens et leurs familles pourront choisir, à côté d’un tronc commun de 21 heures (3h x 7 modules) entre de nombreuses options « modulaires » (2 par semestre) pour le reste (soit 3h x 2 modules). Les modules de trois heures pour chaque discipline, sans dédoublement, peuvent aggraver un travers déjà existant : la fragmentation du savoir transmis en petites unités dispersées. C’est d’autant plus dommageable que ce dispositif est susceptible de faire éclater le « groupe-classe », lieu d’intégration et de stabilité pour de nouveaux lycéens, qui en ontd’autant plus besoin qu’ils sont scolairement fragiles.Un autre inconvénient apparaît vite. Un certain nombre de « modules » dits d’approfondissement peuvent être pris dans des disciplines déjà présentes dans le tronc commun. C’est en particulier le cas pour le français, les maths les sciences expérimentales (Physique-chimie,Sciences de la vie et de la Terre), l’histoire-géographie. On pourra donc être élève « scientifique » avec peu de français ou élève « littéraire » avec peu de maths. On risque donc de retrouver bien vite les polarisationsarchaïques entre culture scientifique et culture littéraire que quarante ou cinquante ans de transformation avaient peu à peu réussi à surmonter, spécialement grâce au développement de la filière « économique et sociale » qui a introduit à grande échelle la « troisième culture » des sciences humaines. On notera que les Sciences économiques et sociales, l’une des seules véritables innovations disciplinaires du lycée dans la deuxième moitié du XXe siècle,paraissent être les grandes sacrifiées de la réforme. Il est vrai que cette discipline a eu le malheur de déplaire aux fanatiques du marché qui, avec leurs lobbies puissants, n’ont eu de cesse de la supprimer ou de la dénaturer.
En un mot, la première rupture voulue par Xavier Darcos pourrait bien accentuer inégalités entre élèves et perturbations dans un rapport pédagogique qui ne se porte déjà pas toujours et partout au mieux, comme elle pourrait conforter l’ancienne et stérile dualité des « matheux » et des « littéraires », au détriment de la culture économique et sociologique.Un enseignement semestriel. C’est la seconde rupture. Il ne s’agit pas simplement de remplacer les trimestres actuels par des semestres, ce qui n’aurait aucun sens. Il s’agit de remplacer des enseignements annuels par des enseignements semestriels. L’évaluation se fera lors de quatre conseils de classe de mi-semestre (en octobre et en avril) et de fin de semestre (en février et en juin). Cette « semestrialisation », calquée sur l’organisation universitaire, est le dispositif complémentaire de la « modularisation » : les élèves changeron tde modules à la mi-année, du moins pour ceux qui ne relèvent pas du « tronc commun ». Ils composeront donc une sorte de menu de leur choix. Il faudrait s’interroger sur le « détail » de l’organisation, qui a son importance : comment évaluer ?un élève redoublera-t-il le module choisi ? comment suivre Maths 2 si l’on n’a pas choisi maths 1 au premier semestre ? Il serait logique que cette réforme implique la disparition de l’examen terminal, remplacé par des examens multiples tout au long des études. Évaluation continue dont on peut se demander si les lycéens la trouveront plus « sympathique » que le vieux baccalauréat.-La question reste de savoir quel sens pédagogique peut bien avoir un dispositif qui peut favoriser un certain « zapping ». Ceux qui ont quelque pratique de l’enseignement savent qu’il faut du temps avec des élèves relativement jeunes pour installer des méthodes régulières de travail, des modes stabilisés de réflexion, des pratiques scolaires et des dispositions intellectuelles durables. C’est grâce à cette durée que l’enseignement a une portée réellement formatrice. L’éducationn e ressemble pas au speed dating avec des disciplines que l’on essaye au gré de ses envies. Le caractère éphémère des cours risque par contre de faire perdre beaucoup de temps puisqu’il faudra refaire à chaque semestre le même travail d’installation de la relation pédagogique, le même effort d’adaptation à une nouvelle discipline et à un nouveau professeur.Les effets de cette semestrialisation sur des élèves qui pour beaucoup manquent de « maturité » seront sans doute sensibles sur ceux qui ont le plus besoin d’un encadrement régulier et stable. On notera ici, en passant, que le système scolaire annuellement organisé, s’il va sans doute à contre-courant d’un certain « bougisme » économique, technologique et sociétal, apporte peut-être à beaucoup de jeunes, un sentiment de stabilité, une capacité de se projeter dans l’avenir, une possibilité d’évoluer dans un cadre établi, toutes dimensions qu’ils trouvent de moins en moins en dehors de l’école.
Un enseignement plus court. C’est un objectif fondamental, mais un peu caché, puisqu’il va permettre cette baisse tant souhaitée du nombre d’enseignants de lycée. Les heures de cours étant posées comme trop nombreuses, il convient de les « plafonner » pour les élèves. L’un des objectifs de la réforme est de faire baisser la durée hebdomadaire de cours en seconde à 30 heures maximum (après avoir envisagé une diminution à 27 heures), au lieu de 32 ou même dans certains cas de 35. Les autres niveaux de Première et de Terminale devraient connaître les coupes de même ampleur les années prochaines. Mettant toutes les disciplines sous la même règle des « trois heures », cette organisation réduit le nombre d’heures de cours dans de nombreuses disciplines, dont celles que l’on considère par ailleurs comme « fondamentales » : français ou maths, pour ne citer qu’elles. Sauf, comme on l’a dit plus haut à se spécialiser en prenant ces disciplines en « modules d’approfondissement », les élèves risquent fort de n’avoir droit qu’à un enseignement très appauvri.La réforme combine deux principes complémentaires, habilement présentés. Celui du « libre choix » et celui du « plafonnement ». Deux risques en découlent : l’appauvrissement du choix effectif de formation proposé au lycée, illustré notamment par la marginalisation possible de l’enseignement économique et social, au profit d’une concentration sur certaines matières « rentables » ; la difficulté de transmettre un savoir construit et solide avec un nombre réduit d’heures de cours.Le lycée, trop hiérarchisé et trop cloisonné, doit connaître une réforme. Mais celle que propose X.Darcos, faute d’avoir fait l’objet d’une discussion, d’une réflexion et d’une évaluation sérieuse est peut-être la pire que l’on puisse imaginer.Elle présente en effet des risques sérieux de régression à court comme à long terme, risques accrus du fait que cette politique n’a pas d’objectif pédagogique et intellectuel propre, que son seul but est financier.X.Darcos, à la suite de N.Sarkozy, martèle un slogan : « moins mais mieux », c’est-à-dire moins d’heures de cours et moins d’enseignants. La formule incantatoire laisse dans l’ombre les conséquences réelles de la diminution de l’encadrement sur la formation..."________________________
25/11 19:12 - Fleur
... Justement, j’allais vous demander si vous aviez des enfants... Mais on ne sait pas (...)
25/11 18:47 - Fleur
20/11 18:29 - tiptop
"Et vous venez pleurnicher parce qu’on ne vous donne QUE 400 euros pour (...)
20/11 18:14 - jak2pad
Désolé, je n’ai pas de frustration envers l’école, et je n’ai pas subi trop (...)
19/11 19:04 - John Lloyds
"En quoi la destruction de l’école publique dans une logique marchande peut-elle (...)
19/11 16:31 - tiptop
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