Le Vendée Globe ne me saoule pas parce que je continue à admirer les navigateurs et navigatrices, leur courage, leur volonté, leur ténacité et leur endurance, mais il est vrai que je ne suis plus assidûment les courses parce que je trouve moi aussi que de nos jours ça manque désormais terriblement de poésie.
Cela n’est pas dû aux navigateurs eux mêmes, mais aux bateaux, monstres de technologie bardés d’informatique, machines infernales dont le prix de construction est devenue franchement indécent, qui sont taillés uniquement pour la vitesse pure, et sont mis au rencard quelques années seulement après leurs exploits, car déjà considérés comme dépassés. C’est devenu ultra médiatisé, et puis je trouve dommage ces bateaux qui portent des noms de marques commerciales ! Cela serait-il devenu de la consommation, comme les ordinateurs, les téléphones portables... ? Où sont passés les "Pen Duick", les "Joshua", les "Spray" ... ?
Même si je dois reconnaître que certains très rares navigateurs m’ont parfois choquée dans leurs propos (l’un d’eux ayant dit un jour qu’il avait heurté une baleine, mais que tout allait bien, le bateau n’avait pas subi de trop graves avaries... Où est donc passé l’amour de la mer ?) l’écrasante majorité des navigateurs reste à mes yeux des gens hors du commun, même s’ils vivent de nos jours différemment leurs traversées, qu’ils ne sont plus seuls avec la mer et ses caprices, seuls avec leurs pensées et leurs émotions, un peu comme entre le ciel et l’eau.
La vidéo du tour du monde en moins de 80 jours de Bruno Peyron en 1993, sur le Commodore Explorer, débutait par cette citation : "Il y a les vivants et les morts, et ceux qui vont sur la mer." (PS, je ne sais pas de qui est cette citation. Sur Internet, elle est parfois attribuée à Platon, parfois à Aristote.)
Alors s’il existe aussi dans le monde de la voile des gens qui manquent singulièrement de poésie et d’humilité, et qui ne pensent qu’à battre des records, il y a les autres. Les "vrais".
J’admire des gens comme Joshua Slocum, Alain Gerbault, Bernard Moitessier, (qui a renoncé à sa victoire lors de la première course autour du monde, parce qu’il s’est soudain rendu compte qu’il préférait rester en mer, et à fait demi tour, cap sur Tahiti), Eric Tabarly, Olivier de Kersauson, Peter Blake, Alain Colas (dont le bateau Manureva, ancien Pen Duick IV, a sombré lors de la première route du Rhum) Florence Arthaud, Titouan Lamazou... et tant d’autres.
Les "vrais" marins parlent peu, c’est vrai, mais ont en réalité beaucoup de choses à dire. Ce sont à mon sens des gens introvertis, qui vivent les choses, leur relation à la nature, à la terre et aux éléments de façon très profonde et très intense, mais très intériorisée. Ils vont droit à l’essentiel, ne s’encombrent pas de superflu et de paroles inutiles. Ils sont vrais et totalement sincères.