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Commentaire de eric

sur Le droit de vote en question


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eric (---.---.101.50) 20 octobre 2006 15:54

(...)

Pour cela, l’expérience des générations d’humains qui les avaient précédées montrait qu’il n’y avait guère que deux voies fructueuses : prendre de la hauteur ou s’impliquer personnellement. Pourtant, aucune de ces deux voies ne de soi. La hauteur de vue nécessite une relative aptitude à la philosophie, ou à tout le moins une certaine capacité intellectuelle, et l’implication personnelle ne peut être que le fruit de circonstance plus ou moins accidentelle voire d’une démarche individuelle plus rare encore, l’humain moyen répugnant spontanément à sacrifier son confort, comme tout mammifère normalement constitué. Mais, avec la sensation confuse que quelque chose ne va pas, entre le désir d’y remédier d’une manière ou d’une autre et l’incapacité à le faire, l’immense majorité des gens choisit l’ignorance délibérée des problèmes par la mise en veilleuse de sa propre intelligence. C’est une sorte de réaction psycho-socio-immunologique : Quand une information est trop déstabilisante, on l’ignore. Pour l’humain contraint à la passivité sans possibilité de lutte ou de fuite, cette méconnaissance communément revendiquée d’un « je ne veux pas le savoir » constitue un simple mécanisme de survie, heureuse alternative à l’état d’inhibition de l’action des autres animaux. Au moins, quant le rat coincé dans sa cage électrifiée en ferait un ulcère, l’humain n’en perd guère que l’appétit. Les scientifiques l’avaient démontré depuis longtemps et chacun l’admettait maintenant sans complexe.

On avait donc institué l’Épreuve une vingtaine d‘années auparavant. La société pouvait user de l’expertise de tous, et chacun pouvait choisir de passer l’Épreuve, à tout moment de sa vie. Désormais, pour qui voulait faire acte d’autorité sur le groupe, il fallait au moins montrer que ce pouvoir serait dans des mains ouvertes, volontaires et imaginatives.

En contrepartie des droits de vote et d’éligibilité associés à la citoyenneté, l’individu s’engageait à répondre aux questions qui lui serait posées. À défaut, il redeviendrait simple civil. Bien sûr, chacun avait toute possibilité de s’informer des affaires de la cité, comme de s’exprimer librement sur le réseau. Simplement, hors de la citoyenneté, cette expression se trouvait noyée dans la masse des indicateurs automatiques d’opinion publique, générés par une batterie de logiciels d’analyse rhétorique.

Quand il était petit, Charles s’était souvent demandé comment on pouvait être sûr que les décisions collectives de tous ces gens étaient bonnes. Plus tard, en grandissant, il avait compris qu’on ne le pouvait pas. D’ailleurs, le but n’était pas tant d’obtenir une « bonne » décision que de l’obtenir collectivement, et aussi démocratiquement que possible. Toutes les conditions étaient réunies : Le principe de recrutement des citoyens garantissait une large diversité de pensées, et jusqu’aux plus excentriques ; les citoyens se répartissaient de façon égale à la surface du globe, et leur opinion traduisait naturellement un point de vue local, indépendant de tous les autres. Finalement, c’est de l’agrégation de ces opinions locales que pouvait émerger une décision collective solide, respectable et respectée.

En lui expliquant ce processus, le vieux professeur de Charles avait évoqué « la main invisible du marché », une image désuète qu’il savait s’appliquer à l’économie. En fait, c’était un peu plus complexe. Naturellement dynamique, le processus était aussi à géométrie variable. La quantité de vote n’était pas seule prise en compte, et chaque citoyen se voyait affecté de divers coefficients susceptibles de le qualifier. Ce pouvait être l’age, le lieu de résidence, le niveau d’étude... autant de critères utilisés pour pondérer la voie de chacun. Un sujet d’intérêt local donnait ainsi une priorité aux votes des résidents mais, l’endroit étant quelque part sur Terre, le reste du monde était également concerné et pouvait aussi avoir son mot à dire.

Au rythme actuel, un gros tiers de la population mondiale passait l’Épreuve, entre vingt et trente ans pour la plupart des gens. On prévoyait que le chiffre augmente sensiblement avec l’arrivée des premières générations du baptême spatial. À l’échelle de l’humanité post-apocalyptique, ce plus petit dénominateur commun avait été le seul cens concevable par tous. On admettait spontanément que tout un chacun n’avait ni les capacités ni même l’envie de participer aux affaires publiques : la responsabilité et le dévouement qu’elles réclamaient n’avaient rien d’une sinécure, Charles en savait quelque chose ! (...)


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