Bonjour,
Je ne sais pas si J-J Kupiec lit encore les commentaires de cet article, mais si tel est le cas j’aimerais lui poser une question.
JJK : Je viens de le faire …
Voilà, je suis en train de lire votre livre (je précise que je suis étudiant en philosophie, et donc incompétent en biologie : ma question sera ontologique) et il me semble que vous critiquez les théories de l’auto-organisation basées sur le concept de méta-stabilité, dans la mesure où elles ne feraient que ré-introduire une contrainte externe cachée.
JJK : plus précisément : les modèles de métastabilité proposés en biologie (Turing, Brusselator de Prigogine, etc.) repose sur molécules spécifiques ils sont donc invalides parce que les molécules biologiques ne le sont pas. C’est aujourd’hui un acquis de la recherche qui est incontestable. Mon propos est d’élaborer une théorie qui ne repose pas sur la spécificité. Les autres modèles improprement appelés d’auto-organisation, lorsqu’ils ne reposent pas sur des molécules spécifiques, font appel à des contraintes externes (les cellules de Bénard par exemple).
Je ne suis pas sûr que la métastabilité pour Simondon soit la même chose que les modèles précis de métastabilité dont je parle (de type Turing).
Ma question était : avez vous connaissance des travaux désormais classiques de Gilbert Simondon sur l’individuation ? Si oui, les pensez vous pertinents ? Comment vous situez-vous face à ses conceptions ?
JJK : j’ai lu (tardivement) le livre de Simondon sur l’individuation et quelques livres sur lui comme d’ailleurs Pichot intégralement pour répondre à une observation précédente). J’ai deux problèmes avec Simondon. Je perçois son intérêt mais je n’arrive pas à le relier concrètement à ma recherche. Je pense qu’il y a deux raisons à cela. 1) Ma culture est avant tout une culture de biologiste et je n’arrive pas à relier la théorie de Simondon aux acquis concrets de la recherche expérimentale. 2- Il est déterministe alors que je suis « probabilisite ».
En quelques mots, si vous ne l’avez jamais lu, ou pour les autres lecteurs de ce blog : Simondon propose (enfin, cela fait déjà 40 ans) une nouvelle conceptualisation de l’individu, basée sur le schème de la métastabilité, qui prend le contre-pied, tant de l’hylémorphisme (individu= matière+ forme) que de l’atomisme (les vrais individus sont des particules élémentaires insécables) au profit d’une théorie de l’individuation qui conçoit celle-ci comme un processus dynamique résultant de la rencontre entre un système riche en potentialités et un germe structurant externe.
JJK : J’en reconnais l’intérêt mais cf ma remarque précédente.
De votre point de vue, on pourrait dire qu’une telle théorie de l’organisation n’est pas une théorie de l’auto-organisation, mais qu’elle prend pour point central l’intervention d’un facteur externe (le germe structurant, par exemple la poussière qui, tombant dans un liquide en état de surfusion, produit le cristal).
JJK : Là c’est un bon exemple de ce qui peut-être nous sépare : il me semble que ce point de départ structurant est un accident (la poussière qui tombe) alors que je pense l’ontogenèse comme un processus intrinsèquement probabiliste.
Mais en étant attentif aux analyses de Simondon, on voit qu’il place en fait la réelle organisation de l’individu dans la relation elle-même et non dans l’un des termes : la solution sursaturée apporte le possible, le possible étant donné, tandis que le germe structurant ne fait que permettre la « solution » de la problématique inhérente à cette solution sursaturée.
Je l’explique mal, mais bon, l’idée est là : l’individu est l’être de la relation.
JJK : ça c’est très important et intéressant. Cela rejoint à point de vue le darwinisme, ce que je développe : l’être vivant n’existe que dans la relation à l’environnement. Cette idée je la trouve chez Darwin et Claude Bernanrd (depuis longtemps). Comme je vous l’ai dit il y a peut-être là un problème de culture disciplinaire qui cache des convergences réelles. Mais, elles sont à travailler (cela fait partie des choses que j’avais en tête pour poursuivre mon travail).
Pour Simondon, il faut absolutiser le concept de milieu, d’interface, en le plaçant à chaque moment de l’individuation (y compris dans celle d’un cristal, mais aussi dans celles des êtres vivants et des groupes sociaux). L’organisation n’est pas d’emblée donnée dans l’être sursaturé puisqu’il n’est qu’un réservoir de possibles, mais elle n’est pas non plus donnée seule dans le germe structurant (puisqu’il n’est que l’occasion de l’individuation, l’indice qui permet la résolution) : l’individu réside en fait dans la relation et dans le processus relationnel (ex : la transduction qui forme le cristal ; ce qui explique que pour Simondon l’individu cristal existe « réellement » durant sa formation, et non une fois formé. Car une fois formé, il n’a plus qu’un très faible degré d’individualité).
Il me semble que par ailleurs, même si Simondon désigne des « niveaux » d’individuation (physique, biologique, psycho-social), comme vous il ne pense pas une spécificité de la vie puisqu’elle consiste simplement pour lui en un régime différent d’individuation (et non dans une finalité immanente et mystérieuse).
Bref, Simondon se place dans le cadre du schème de la métastabilité, mais par d’autres aspects il me semble que certaines de vos analyses se rejoignent : pas de spécificité pour la vie, extension à l’infini du problème du « milieu » (par l’interface et la relation comme lieu réel de l’individu pour S.). Enfin, même si
Simondon ne s’attarde pas sur Darwin, il y a quelque chose de la sélection naturelle (au sens étendu) dans son idée d’une détermination des individus en fonction du degré d’efficacité (dans la résolution des problèmes propres à la solution sursaturée) de tel ou tel germe structurant spécifique : la vie est résolution de problèmes pour lui, mais toutes les solutions ne sont pas équivalentes ; certaines solutions « marchent » mieux que d’autres, permettent la conservation d’un plus grand degré d’information.
Bon, mon explication est sans doute bancale, et si vous n’avez pas lu Simondon tout cela doit vous sembler faible (j’ai oublié de lier à mon texte beaucoup de notions essentielles comme celles de néguentropie, de disparation).
Mais ma question demeure : avez vous lu Simondon ? Comment vous situez vous face à lui ? Je précise pour tout le monde que Simondon est un philosophe français de la deuxième moitié du 20ème siècle, qui passa inaperçu à l’époque (seul Deleuze reconnut l’originalité de ses travaux, et le plagia d’ailleurs largement dans certains livres), qui fait aujourd’hui l’objet d’un fort réinvestissement spéculatif dans les champs de l’épistémologie et de la pensée de la technique (c’est même l’un des auteurs les plus à la mode chez les jeunes philosophes français).
Voilà.
Au revoir, et dans l’attente de votre réponse.
J’ai déjà répondu sur la fin de votre texte (en gros je suis d’accord, le seul point difficile est la question du probabilisme que Simondon rejette). Je suis tout à fait ouvert.
Cordialement
JJK
14/05 20:50 - Thibault
Votre livre est remarquable car il démontre l’orgine de l’individu. Un point (...)
13/01 21:22 - jjk
Il me semble qu’il met en avant du "déterminisme avec bruit" plutôt qu’un (...)
13/01 14:23 - Istina1984
Bonjour, Tout d’abord merci pour votre réponse prompte et cordiale. Si je devais (...)
13/01 11:45 - jjk
Bonjour, Je ne sais pas si J-J Kupiec lit encore les commentaires de cet article, mais si (...)
13/01 10:55 - Istina1984
Bonjour, Je ne sais pas si J-J Kupiec lit encore les commentaires de cet article, mais si (...)
10/01 19:44 - Vince
@ Véronique, Avez-vous pensé à taper B.L "autonomie du vivant" sur Google ? (...)
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