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Commentaire de Istina1984

sur Le chercheur Jean-Jacques Kupiec tire un trait sur le déterminisme génétique et les théories de l'auto-organisation


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Istina1984 13 janvier 2009 14:23

 

Bonjour,
 

Tout d’abord merci pour votre réponse prompte et cordiale. Si je devais poursuivre en quelques mots :
- Si vous vous intéressez à Simondon, peut-être devriez vous lire ce qu’a écrit Anne Fagot-Largeault à son propos (à moins que ce ne soit déjà fait). Il me semble qu’elle en fait une lecture épistémologique et tente de le lier aux problèmes de la génétique (j’avoue que je n’ai pas pu lire en détail, c’était un peu trop ardu pour quelqu’un qui a arrêté la biologie en terminale). Ca c’était pour le problème de la disjonction entre champs disciplinaires.
 
-Sur le problème du « déterminisme » de Simondon. Je vais reformuler vos reproches adressés à Simondon et ensuite poursuivre un peu (ainsi, si j’ai mal reformulé, vous pourrez me le dire).
Ce que vous dites : « Simondon pense l’ontogenèse de manière déterministe, avec toutefois l’apport d’accident. La solution pré-individuelle, en effet, est donnée et déterminée. Le germe structurant est un accident qui vient modifier le fonctionnement habituel du système. Se crée alors de la nouveauté, mais cette nouveauté est donnée par ajout, et la création d’inédit ne se pense pas de l’intérieur du système ».
Ma réponse sera philosophique, et même peut-être métaphysique, mais vous n’avez qu’à y prendre ce qui vous plaît.
Voilà : A mon avis, en pensant ainsi, on occulte un aspect central de la pensée de Simondon : c’est que sa pensée de l’individuation est en même temps une ontogenèse (ou du moins une tentative de genèse de ce qu’est l’être pour nous, puisque, par définition selon lui, l’équation être=un est le sophisme principal qui a donné lieu à tant d’erreurs philosophiques).
 
Il ne veut pas penser « comment se forme un nouvel être, un individu, à partir de deux êtres » mais « comment se forme les êtres entendus comme individus ». L’idée est que les individus ne naissent pas de la rencontre entre deux autres individus, mais qu’ils sont constitués d’un processus d’individuation relationnel qui naît de l’intersection d’un être pré-individuel, et d’un germe structurant (une information. Attention toutefois je ne pense pas que le concept d’information chez Simondon implique une pensée de la spécificité des entités inter-agissantes ; son « information » est conçue de manière énergétique et dynamique).
 
C’est à dire que la solution pré-individuelle (dont le schème de compréhension est la solution sursaturée métastable, mais ce n’est bien sûr pour lui qu’un schème de pensée) n’est pas « donnée ». Son mode d’existence n’est pas univoque ; elle n’existe pas avec la massivité d’un être en soi, d’un individu comme nous en croisons tous les jours (une table, une chaise).
Elle est fondamentalement plurivoque, et se définit non par une substantialité ontologique, mais par la richesse de ses potentialités et par un certain degré « d’auto-contradiction » (en fait, il n’y a pas contradiction mais disparation, sinon Simondon serait un vulgaire hégélien, mais je passe). C’est ce que Simondon nomme le « plus qu’un ». Pour lui, l’être est plus qu’unité (et donc il ne peut pas réellement être saisi comme tel car notre appareil cognitif-perceptif saisit des unités : il faut l’aborder latéralement. D’où l’importance du schème physique du cristal).
De même, « l’information » (germe structurant) qui vient à la rencontre de ce « pré-individuel » n’est pas donnée comme information (ce n’est pas une molécule porteuse d’une spécificité essentielle, qui lui donne le statut d’information). Elle est purement relative à la solution pré-individuelle. Rien n’interdit, selon Simondon, de penser d’ailleurs l’information de manière endogène : le hasard peut faire qu’une certaine structuration des énergies potentielles, au sein même de l’être pré-individuel, produise le phénomène de transduction propre au processus d’individuation.
Il me semble donc que pour Simondon, l’essentiel n’est même pas la rencontre entre une solution et un germe donnés (sinon il serait un déterministe qui admettrait des accidents).
L’essentiel, c’est l’avènement d’un être individuel (c’est à dire d’un régime d’échange d’information, d’un régime de différenciation au sein d’une solution riche en potentialités, hétérogène à elle-même). Cet avènement peut certes se produire à l’issue d’une rencontre, mais ce n’est pas pour lui, me semble-t-il, une condition sine qua non. L’important, c’est l’émergence de cette individuation : l’individuation étant l’acte par lequel se produit l’individu réel (un individu réel pour Simondon, c’est « ce que nous nommons individu » + « son milieu associé », c’est à dire une relation. La relation est fondamentale, elle ne succède pas aux termes mais se crée en même temps que les termes).
Le dernier point qui me semble important, c’est que pour Simondon les individuations ne sont jamais données une fois pour toutes. Une fois une individuation lancée, il reste du potentiel pré-individuel qui permettra l’enclenchement d’autres processus d’individuation (c’est à dire d’autres créations de couplage individu/milieu).
D’où la pensée des « niveaux » d’individuation : physique, biologique, psycho-social. Qui pour autant ne réclame pas de distinction ontologique forte : les schèmes, les régimes d’individuation diffèrent, mais le processus fondamental d’individuation reste le même. Il n’y a donc pas de spécificité « réelle » de la vie ou de la société (ce qui lui permet d’ailleurs de penser une continuité dans la différence entre les animaux et les hommes, cf « Deux leçons sur l’animal et l’homme » : les animaux aussi sont capables « d’actes de pensée », simplement les situations dont les potentiels rendent possibles la cristallisation de tels actes sont plus rares, plus ponctuelles, plus courtes).
Les actes d’individuations sont donc incessants, jamais finis.
Voilà donc pourquoi Simondon me semble échapper à l’analyse que vous faites de lui (un déterministe qui accepterait la présence d’accident). Car 1/ Les éléments de départ (et notamment l’être pré-individuel) ne sont pas des « donnés », leur mode d’existence n’est pas univoque et « déterminé. 2/ Les éléments d’arrivés ne sont pas non plus « donnés » car ils conservent du pré-individuel en eux.
En fait il me semble que Simondon n’est pas vraiment déterministe, même s’il n’est probablement pas probabiliste au sens au sens exact où vous l’êtes. Pour vous, il faut dire que « l’ordre naît du désordre » ; que les phénomènes constatables et répétables naissent en fait de l’ajout de très grand nombre de phénomènes aléatoires.
Pour lui, je pense que les conditions même de la détermination (c’est à dire les êtres individuels, univoques) naissent de « cristallisation », c’est à dire de « détermination » d’êtres fondamentalement plurivoques. Il me semble qu’il y a proximité mais non identité. Je sais aussi que ses conceptions sont tributaires des schémas de la mécanique quantique, mais n’ayant aucune connaissance sérieuse en ce domaine, je m’abstiendrai de gloser.
 
Voilà ; vous m’excuserez d’avoir été long, un peu verbeux, et très métaphysique. Je suis loin d’être spécialiste de Simondon (mon truc c’est plutôt Nietzsche), et par malheur la partie de sa théorie que je maîtrise le moins bien est justement celle qui traite de l’individuation biologique. Ne le jugez donc pas uniquement sur ce que je viens de vous dire.
Bien cordialement, en attendant votre réponse

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