Cher Uzbek...
J’ai bien aimé votre leçon d’interview. Le problème c’est que posées telles que vous les énoncez, vos questions sont proprement incompréhensibles ; elles sont d’ailleurs l’archétype de ce qui fait le mauvais journalisme. Incidemment votre questionnement n’aurait jamais été suivi de la moindre réponse intelligible...
Puisque j’en suis un (de journaliste), français de surcroît, je m’explique. Vous êtes spécialiste. En l’occurrence de l’université. En tout cas aujourd’hui. Peut-être êtes-vous universitaire vous-même ou simplement connaisseur de la chose, pour diverses raisons. Vous parlez en tout cas, et interrogez depuis un savoir qui vous est propre. Or la manière journalistique consiste justement à se départir de ce savoir, quand bien même vous en êtes pourvu, pour transmettre dans le langage commun la substantifique moelle de la polémique en cours. Puisqu’ il s’agit ici de polémique.
Reprenons le cas qui vous occupe et mettez vous - vraiment - à la place du journaliste... Vous êtes, je vous le rappelle, à la radio. Et sur RMC, pas sur France Culture ! Ça va très vite et il faut que TOUT LE MONDE comprenne de quoi il s’agit. Pas simplement les universitaires et les personnes intéressées par le problème. Autrement dit, il faut que vos questions soient ciselées de manière à
1/ être compréhensible par la veuve de Carpentras, laquelle se cogne royalement de la Conférence des Présidents d’Université et ne sait évidemment pas de quoi il s’agit quand vous parlez de « elle ère hue ».
2/ être incisif – Là je suis parfaitement d’accord – avec l’interlocuteur invité. En l’occurrence il n’y a qu’une seule question à poser : « Pourquoi dénigrez-vous aujourd’hui une loi que vous avez acceptée il y a 18 mois ? » Encore faut-il que l’invité ait effectivement accepté cette loi à la faveur d’un vote quelconque de la Conférence des Présidents d’Université il y a 18 mois. L’avez-vous vérifié ? Non bien entendu. Vous n’en avez pas eu le temps. Ni même la possibilité : la ventilation de ce type de vote (si même il y a eu vote) n’est jamais publiée. L’interlocuteur parle-t-il au nom de la Conférence ? Manifestement pas, donc il n’exprime qu’un point de vue personnel... Il peut donc très bien répondre : « moi je me suis toujours opposé à cette loi » sans qu’on puisse lui dire quoi que ce soit en retour. Alors comment on fait dans ces cas là ? Et bien on improvise ! Et Bienvenu au club !
3/Permettre à l’auditeur de comprendre l’essentiel de ce que peut concevoir un opposant à cette loi par ailleurs président d’université. Ce n’est pas un reportage sur la crise, ce n’est pas un angle sur la manière dont le projet de loi est vécu par les enseignant-chercheurs, c’est un entretien avec un président d’université.
Aucune de vos questions ne va dans ce sens. Elles contribuent toutes à montrer en revanche que la loi Pécresse est mal commentée, mal analysée publiquement par les principaux intéressés. Et ce parcequ’ils ont tous des intérêts à défendre, des intérêts qui ne sont pas dits. C’est bien possible, tout comme il est parfaitement possible que le président d’université interrogé ce jour-là ait raconté de pures âneries ou de gros mensonges... Oui, cela arrive à l’antenne.
Jeudi dernier Nicolas Sarkozy a menti effrontément devant 15 millions de personnes en disant que l’opposition aurait son mot à dire sur la nomination du président de France télévision... Il fallait être très au courant des procédures parlementaitres pour répérer que son argument comme quoi la nomination se ferait sur une majorité des 3/5 de la commission des affaires culurelles de l’Assemblée était faux (une majorité des 3/5 est seule nécessaire pour infirmer le nom proposé par le gouvernement, pas pour le valider). Malheuresuement aucun des journalistes présents sur ce plateau n’avait été journaliste parlementaire ds sa carrière. Et voilà : un gros et gras mensonge refilé en direct... ce sont les vrais « risques du direct » !
Je n’ai évidemment pas entendu l’entretien sur RMC. Mais je puis vous certifier que les questions sériées dans votre post - lesquelles se décomposent souvent en interrogations subsidiaires assez peu explicites – demandent au minimum 10 minutes d’entretien. Je serais très surpris d’apprendre que l’invité de RMC ce jour-là disposait de ce temps d’antenne.
En résumé retenez une chose : un journaliste ne posera JAMAIS la question que vous, qui êtes spécialiste d’une réalité donnée, attendez qu’il pose sur cette même réalité. Pourquoi ? Parce que c’est une question de spécialiste. Et que le boulot du journaliste est justement de sortir de la spécialisation et de s’en faire le medium (pluriel : media) auprès du plus grand nombre.