Les avocats de Colonna portent plainte
Stéphane Durand-Souffland (Le Figaro)
17/03/2009
Les avocats d’Yvan Colonna ont déposé plainte, ce mardi, auprès du procureur de Paris, contre les juges antiterroristes Jean-Louis Bruguière, Laurence Le Vert et Gilbert Thiel. Visant l’article 434 du code pénal, ils accusent les magistrats de « destruction, soustraction, recel ou altération d’un document public ou privé de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables ». La peine encourue par les intéressés, du fait de leur fonction, est de cinq ans de prison et 75 000 d’amende.
Si les conseils du berger de Cargèse ont décidé mercredi dernier, sur l’instruction de leur client qui leur a montré le chemin, de quitter le procès en appel qui se poursuit sans eux devant la cour d’assises de Paris spécialement composée, ils n’ont pas renoncé à faire feu de tout bois pour établir l’« innocence » de l’accusé. Leur stratégie est à deux étages. Le premier, à destination de l’opinion publique, consiste à marteler l’idée que les débats sont « truqués » et ne peuvent déboucher que sur la confirmation du verdict de première instance la réclusion criminelle à perpétuité.
Second étage du dispositif : une offensive procédurale tous azimuts, dont le but est d’ouvrir la voie à un inévitable pourvoi en cassation et, le cas échéant, à une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est évidemment dans ce cadre que s’inscrit la plainte.
Les avocats de M. Colonna reprochent aux juges d’instruction co-saisis de l’enquête sur l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella (6 septembre 1997) et de l’assassinat du préfet Erignac (6 février 1998) dossiers distincts qui ont été joints par le président de la première cour d’assises -, d’avoir délibérément écartés de la procédure des écoutes téléphoniques judiciaires. Réalisées entre décembre 1998 et mai 1999, date de l’arrestation des membres du commando définitivement condamnés, elles ont, notamment, surpris des conversations entre le chef des conjurés, Alain Ferrandi, expressément surveillé, et Yvan Colonna et sa famille.
L’accusé et ses conseils ont eu vent de l’existence de ces écoutes en examinant la retranscription des auditions réalisées par une commission d’enquête parlementaire sur la Corse, mise en place en 1999, dans la foulée de la désastreuse « affaire des paillotes » dans laquelle fut impliqué Bernard Bonnet, le successeur de Claude Erignac. En octobre 2005, une première demande d’accès à ces documents s’était vu opposer une fin de non-recevoir par Mme Le Vert, exposent-ils dans leur plainte. Le président de la chambre de l’instruction avait à son tour estimé, en vertu de son pouvoir de « filtrage », qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir.
Le sujet a fait sa réapparition dans le procès en appel. Trois policiers, manifestement mal à l’aise, ont confirmé l’existence des écoutes fantômes : Jean-Pierre Colombani, ancien des Renseignements généraux, Philippe Frizon, alors commissaire à la Division nationale antiterroriste, et Roger Marion, ancien chef de cette unité. Ce dernier, ajoute la défense d’Yvan Colonna, a précisé que l’accusé « s’affirmait innocent des faits qui lui sont reprochés et s’estimait victime d’un montage policier ».
Pour la défense, ces éléments ont été sciemment occultés parce qu’ils sont à décharge. Le 5 mars, Mes Garbarini, Sollacaro, Simeoni, Dehapiot et Maisonneuve demandaient au président Didier Wacogne de verser les pièces manquantes au volumineux dossier. Ce qui sera fait… le 12, au lendemain du départ de M. Colonna et de ses avocats. Il est permis de s’interroger au passage sur le laps de temps nécessaire pour faire venir de la galerie Saint-Eloi du palais de justice, où se trouvent les bureaux des juges antiterroristes, à la cour d’assises du même palais de justice, les 281 feuillets objets de la demande de M. Wacogne.
En l’absence de Jean-Louis Bruguière, hospitalisé, Le Figaro a sollicité mardi en début d’après-midi Gilbert Thiel et Laurence Le Vert. « Pas de commentaire », a indiqué le premier, tandis qu’une collaboratrice de la seconde précisait qu’elle n’était « pas joignable ».
Alors toujours coupable Yvan Colonna ?