Paris, le 6 avril 2009
La Fédération internationale des ligues des droits de l´Homme (FIDH) a
mandaté trois observateurs pour suivre l´audience du procès en appel d´ Yvan Colonna : Alya Chammari, avocate tunisienne, Roland
Kessous, magistrat honoraire français et Eric Gillet, avocat belge. Ce procès s´est déroulé en
application des lois de fond et de forme en vigueur en matière de terrorisme.
Depuis 1999, la
FIDH dénonce cette législation qui autorise des poursuites pour participation à une association de
malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme.
Cette loi permet d´incriminer des
intentions et non des actes. La garde-à-vue peut atteindre 96 heures, l´avocat n´intervenant qu´à la
72ème heure. L´expérience démontre que les juges d´instruction spécialisés instruisent plus à
charge qu´à décharge. Aucun des membres de la Cour d´assises spécialement composée par des
magistrats choisis par le 1er Président de la Cour d´appel ne peut être récusé.
La Cour d´assises
statue à la majorité simple par un arrêt non motivé en se fondant exclusivement sur l´intime
conviction.
Les poursuites diligentées contre Yvan Colonna ont illustré les dérives que permet cette
législation. Plusieurs services de police sont intervenus, gendarmerie, police judiciaire, DNAT,
sans grande coordination entre eux, euphémisme pour ne pas dire qu´ils étaient en compétition.
Un Préfet a même diligenté une enquête personnelle en dehors de tout cadre légal.
La mise en
cause d´Yvan Colonna par les membres du commando qui ont participé à l´assassinat du Préfet,
a été obtenue au cours de garde-à-vues dans des conditions contestées par la défense et a fait
l´objet de rétractations ultérieures. Au cours de l´instruction menée par les trois magistrats
instructeurs spécialisés, les nombreuses demandes d´actes présentées par la défense ont été
rejetées. Aucune reconstitution des faits n´a été effectuée sur le lieu du crime.
En outre, le choix
procédural des juges d´instruction d´ouvrir deux dossiers distincts relatifs à l´assassinat du Préfet
Érignac, en mettant en examen Yvan Colonna uniquement dans l´un d´entre eux, ne pouvait que
porter gravement atteinte aux droits de la défense.
Le procès équitable est caractérisé par le respect des formes de procédure qui permettent de
fonder la légitimité de la décision finale. Ces formes doivent également permettre d´éviter que
l´accusé puisse avoir l´impression d´une justice arbitraire et peu transparente. Tels sont les termes
utilisés par la Cour européenne des droits de l´Homme.
Or, à l´audience d´appel, plusieurs
incidents ont permis de mettre en doute le caractère équitable du procès.
Le Président n´a pas
communiqué aux parties une lettre importante d´un témoin indiquant que des membres du
commando ayant participé à l´attaque de la gendarmerie de Pietrosella et à l´assassinat du Préfet
Érignac n´avaient jamais été entendus, ainsi qu´un certificat médical d´un policier ayant eu un rôle
déterminant dans la mise en cause d´Yvan Colonna. Dans la conduite de l´audience, le Président
ne s´est pas appesanti sur les témoignages favorables à l´accusé.
La Cour d´assises a enfin
refusé d´ordonner la reconstitution des faits à nouveau demandée par l´accusé. Celui-ci a déduit
de ces éléments que la Cour n´était pas impartiale et a finalement décidé de quitter l´audience et
de récuser ses avocats.
L´absence de l´accusé et de ses défenseurs a eu pour conséquence de déséquilibrer le
déroulement de l´audience de manière radicale. Un procès sans contradiction fait peser sur le
Président de la Cour d´assises une obligation particulière de mener les débats avec la plus grande
impartialité et ce d´autant plus qu´Yvan Colonna avait été désigné dès son arrestation en qualité
de coupable par le ministre de l´Intérieur, devenu président de la République.
En matière pénale,
la discussion publique des éléments à charge recueillis contre l´accusé est une condition
indispensable pour qu´intervienne une décision juste et équitable. Force est de constater que tel
n´a pas été le cas.
Le choix délibéré d´Yvan Colonna de quitter l´audience, motivé par le sentiment exprimé dès le
premier jour qu´il se trouvait en présence d´une juridiction déterminée à le condamner, ne peut que
susciter un sentiment de malaise sur la condamnation intervenue.
En raison des polémiques suscitées par le déroulement de l´audience, le défaut de motivation de
l´arrêt rendu, certes conforme au droit actuel, confirme la nécessité d´une réforme rapide pour que
les magistrats professionnels exposent les raisons de leur décision.
Dans un arrêt prononcé le 13
janvier 2009, la Cour européenne des droits de l´Homme a jugé que, sans un résumé des
principales raisons pour lesquelles la Cour d´assises s´est déclarée convaincue de la culpabilité de
l´accusé, celui-ci n´est pas à même de comprendre – et donc d´accepter – la décision de la
juridiction.
Il en va de même vis-à-vis de l´opinion publique.
Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le système de défense choisi par l´accusé, ni sur
sa culpabilité. Mais on se doit de constater que le déroulement du procès est l´illustration de
l´impasse où se trouve la justice lors de l´application de toute législation d´exception, spécialement
eu égard aux exigences de l´article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l´Homme, qui mentionne que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement par un tribunal indépendant et impartial dans le respect de l´égalité entre
l´accusation et la défense.
Ce procès soulève une fois de plus la question du maintien de cette
justice d´exception.