[New York Magazine - Janvier 2008]
A
54 ans, Norman Finkelstein se retrouve dans la même situation qu’à ses
débuts. L’été dernier, cet universitaire de gauche a été renvoyé de son
poste de professeur assistant à l’université DePaul.
Finkelstein est devenu célèbre en 2000 avec son ouvrage “The
Holocaust Industry” dans lequel il critique en termes peu amènes les
dirigeants de la communauté juive aux États-Unis. Selon Finkelstein un
certain nombre parmi eux n’est rien d’autre qu’une “bande répugnante de ploutocrates, de gangsters et de profiteurs”
dont le principal objectif n’est pas le bien de la communauté ou la
lutte contre l’antisémitisme mais simplement l’extorsion de réparations
et de compensations des gouvernements et entreprises européennes.
Aujourd’hui Finkelstein se retrouve sans le sou, retiré dans le petit appartement qu’il a hérité de son père, sur Ocean Parkway. “C’est comme le fait de mourir,” dit Finkelstein.
“Vous ne cessez de vous dire qu’un jour vous allez mourir, mais vous ne
réalisez jamais la réalité de ce fait. Aujourd’hui je réalise que je
n’aurais probablement jamais d’autre emploi comme enseignant et je n’ai
pas encore vraiment réalisé ce fait.”
Il passe ses journées à lire et à poursuivre ses recherches en
solitaire ; ses étagères ploient sous le poids des livres de Marx,
Lénine ou Trotski. Son piano est décoré de cartes postales de soutien
envoyées par ses étudiants mais aussi une photo de lui et de Noam
Chomsky (”mon plus proche ami”) torse nus, sur la plage de Cape Cod.
Dans sa jeunesse, Finkelstein était un révolutionnaire d’obédience
maoïste. Il reconnait lui-même que sa carrière académique a été
handicapée dès le départ à cause de ses orientations politiques. Il a
mis 13 ans à obtenir son doctorat à Princeton, étant donné qu’aucun
professeur ne voulait se charger de diriger sa thèse, une analyse
(déjà) des fondements du Sionisme. Quand il a enfin réussi à soutenir
sa thèse et obtenir son doctorat, aucun de ses professeurs n’a voulu le
recommander pour un poste de maitre-assistant. Il a donc passé
plusieurs années comme chargé de cours précaire, dans plusieurs
universités - Brooklyn College, Hunter, et New York University, gagnant
rarement plus de 20 000 US$ par an.
Quand il a été embauché à l’université DePaul, il y a six ans, sa
situation s’est améliorée. Mais le succès de son ouvrage “The Holocaust
Industry”, devenu un best seller en Allemagne et traduit dans plus de
20 langues, l’a fait connaître et a mobilisé les critiques contre lui.
A Harvard, Alan Dershowitz a mené une campagne féroce et violente
contre lui, compilant un dossier visant à démontrer les “cas les plus
clairs et les plus choquants de la malhonnêteté de Finkelstein”.
Malgré cela, son département et son université proposèrent de le
titulariser. Mais la commission des promotions et titularisations de
l’université vota à 4 contre 3 le non renouvellement de son contrat. Le
président de DePaul aurait pu faire basculer le vote avec sa voix mais
refusa de le faire.
Le coup fut dur pour Finkelstein, qui a perdu presque dix kilos depuis l’été. “Les gens m’ont vu dépérir,”
dit-il. Sur le campus, les étudiants se mobilisèrent, un groupe
d’étudiants organisa une grève de la faim ; Chomsky et d’autres vinrent
à sa rescousse. L’un de ses collègues lui offrit un CD avec une
compilation de morceaux comme “I Will Survive” (je survivrais) et
“What’s Goin’ On ?” (qu’est ce qui se passe ?).
“J’adore depuis longtemps les Negro spirituals,” explique Finkelstein. “A
la fin j’avais toujours cette chanson dans la tête, ‘Etais-tu là, quand
ils ont crucifié le Seigneur ? Etais-tu là ?’ C’est comme cela que je
me sentais. A la fin les attaques contre moi étaient tellement
violentes et basses, que j’étais comme crucifié.” Fils
de survivants du Ghetto de Varsovie et des camps de la mort nazis,
Finkelstein à grandi dans le quartier de Borough Park puis à Mill
Basin, ou il fréquentait, à quelques années de différence, la même
école que Chuck Schumer. Il a grandi dans un milieu athée, ses parents
ayant perdu la foi après la guerre.
Le quartier où il habite et son immeuble sont à forte composante
juive. Un ami du père de Finkelstein l’aborda un jour dans le halle et
l’implora de se calmer : “Il m’a dit, ‘Norman, tu ne rajeunis pas
et toutes les maisons de vieillard sont dirigées par des juifs. Si tu
ne te calmes pas, un jour tu n’auras plus nulle part où aller’.”
http://nymag.com/news/intelligencer/41838/