Je pense qu’arrive un moment où il faut saisir
les enjeux de telle ou telle mesure, ou telle ou telle loi : car rappelons-le,
une loi votée a vocation à s’appliquer à chaque citoyen, et peut être
interprétée de bien des manières : les termes légaux étant souvent
généralistes, voir vagues, afin justement d’éviter qu’une loi, même en direction
d’un groupe particulier, n’apparaisse discriminante et donc en infraction avec
nos principes constitutionnels.
Donc, sur l’objet « burka », choisir
une optique « sécuritaire » afin de justifier telle ou telle mesure
me semble tendancieux. Si la nécessité de rendre son visage visible dans l’espace
devient une obligation légale sous couvert de sécurité, nul doute qu’un « petit
malin » (nous en avons un paquet dans notre classe politique) sera capable
de l’interpréter à sa façon, selon ses intérêts, un jour ou l’autre.
Il faut voir un peu au-delà de la burka, et
considérer de quelle façon, la jurisprudence créée impacterait définitivement
certains de nos principes juridiques ou relatifs aux libertés individuelles.
D’un, postulez que le développement de la vidéosurveillance
nécessiterait que les citoyens soient à visage découvert en permanence, me semble
créer un dangereux précédent : le progrés technologique en matière de
sécurité, d’identification des individus, etc…
allant croissant, devons-nous considérer qu’à chaque fois qu’une
nouvelle technique se développe dans ce domaine, que le citoyen soit soumis à
de plus en plus de contraintes afin d’assurer le développement du « contrôle »
permanent et généralisé ? Il me
semble là s’agir d’une inversion voir perversion de la question « sécurité »,
nous ne sommes plus dans un schéma où l’Etat agit afin de garantir la sécurité
des citoyens, mais dans celui où l’Etat agit par simple volonté de contrôle, et
« criminalise » de fait tout comportement jugé « anormal »
ou « différent ». Il est aisé de deviner que cela dépasserait
largement l’objet « burka ».
L’obligation de l’Etat est la sécurité, en cela
il dispose du monopole de l’Autorité et de la violence, de la coercition légale
etc…transformer cette obligation de l’Etat en une forme de pouvoir « négatif »
voué non plus à la sécurité mais au contrôle, me semble une mécanique dangereuse,
dont les effets pourraient aller à l’encontre même de ce que nous défendons :
une société démocratique et libre.
Second point, la question fondamentale est de
s’interroger si la vocation de l’Etat est aujourd’hui celle d’un pouvoir « négatif »
(ordre, sécurité, salubrité,etc…), de légiférer sur des pratiques minoritaires
ou à l’encontre de groupes minoritaires voir ultra-minoritaires, et non plus
voter des lois ayant pour perspective la majorité des citoyens.
Rappelons que notre système démocratique se
fonde sur le principe de la majorité dans le respect de la minorité, des lois démocratiques
n’ont pas pour vocation à signifier la
dictature de la majorité, toute loi doit être équilibrée car applicable à TOUS.
Or nous constatons que de plus en plus de lois
applicables à TOUS sont votés à l’encontre de groupes minoritaires (loi
anti-cagoule, lois internet, lois sécurité,etc…) donc grosso modo : on
tend à restreindre les libertés de tous afin de contrôler des groupes
particuliers : cela est une aberration totale !
Pour exemple, la loi anti-cagoule pourra apparaître
pour certains normale, justifiée ou que sais-je, elle introduit néanmoins un
précédent : elle modifie tout simplement des principes essentiels à notre
démocratique : la liberté de manifester corrélée à la liberté d’opinion et
celle d’expression, ainsi qu’à la
liberté de circulation se trouve « impactée » définitivement :
jurisprudence a été faite, une loi anti-burka ne ferait que la confirmer.
Jurisprudence ? dans le sens, où le fait
le droit d’avoir une opinion politique, une confession religieuse ou autre, se
voit conditionné à l’obligation de découvrir son visage et de se rendre identifiable.
Bien entendu, certains penseront que « si on a rien à cacher, on a pas à
se couvrir le visage » mais le problème n’est pas là : la Loi s’applique
à tous : par voie de conséquence, introduire une telle jurisprudence qui
dit en somme que liberté de manifester, d’opinion, d’expression,etc…sont
conditionnées à l’obligation d’identification par tous et non plus uniquement
envers les détenteurs légaux de l’Autorité, peut permettre diverses
interprétations et dérives futures.
Exemple : si pour manifester, et donc
exprimer une opinion politique, je suis contraint d’être identifiable, l’anonymat
m’étant interdit : une interprétation possible (certes perverse) sera de
dire qu’un bulletin de vote ne peut plus être anonyme, que le votant doit être
identifiable, etc…
On pourra arguer que c’est là une vision
absurde, ou autre, mais le fait est que la Loi une fois votée est non seulement
applicable à tous, et non uniquement au groupe particuleir visé, mais qu’aussi
qu’en raison du caractère généraliste voir vague des termes légaux, l’interprétation
peut être très large.
Bref, tout çà pour dire, que la question « burka »
ne saurait être traitée sous un angle sécuritaire, elle introduirait après la
jurisprudence « cagoule » exposée plus haut, une nouvelle qui
conditionnerait la liberté de circulation à l’obligation d’être identifiable :
le visage bien entendu, une burka étant visible à des kilomètres.
Cordialement,