On connaît bien l’éloge qu’Adam Smith fait de la division du travail,
mais beaucoup moins de sa dénonciation de ses effets deshumanisants,
qui transforment les travailleurs en objets ” aussi stupides et
ignorants qu’il est possible à une créature humaine de l’être ”1). C’est là quelque chose qu’il faut empêcher ” dans tout société civilisée et développée ”2)
par une action de l’Etat, afin de surmonter la force destructrice de la
fameuse ” main invisible ”. On ignore également que Smith pensait
qu’une sorte de régulation d’État ” en faveur des travailleurs est
toujours juste et équitable ”, mais pas ” quand elle est en faveur des
maîtres ” 3)4) ; de même que son appel à l’égalité de conditions, qui était au cœur de son plaidoyer pour la liberté des marchés.
Un autre penseur majeur du panthéon libéral allait encore plus loin.
Wilhelm von humboldt condamnait le travail salarié en soi : quand le
travailleur est soumis à un contrôle extérieur, écrivait-il, ” nous
pouvons admirer ce qu’il fait, mais nous méprison ce qu’il est ”.
“L’art progresse, l’artisan recule ” observait Alexis de Tocqueville,
autre grande figure du libéralisme. Comme Smith et Jefferson, il
pensait que l’égalité de conditions était une importante
caractéristique d’une société juste et libre. Voilà cent soixante ans,
il mettait en garde contre les dangers d’une ” permanente inégalité des
conditions ”. Il redoutait que ne sonne le glas de la démocratie si ”
l’aristocratie manufacturière que nous voyons s’élever sous nos yeux
aux Etats-unis, ” “l’une des plus dures qui ait jamais existé au monde
”, sortait de ses frontières - comme elle le fit plus tard, dépassant
de loin ses pires cauchemars.
le_liberalisme_des_classiques_contre_le_liberalisme_reel
On peut dire que la vision de ces premiers penseurs du libéralisme était soit niaise, soit très cynique.
La balance tend toujours vers le plus fort - quelque soit l’institution