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Commentaire de Rémy

sur Redon, Toulouse, Séoul et la gravité de la situation sociale française


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Rémy (---.---.226.241) 10 novembre 2006 17:54

En février 2004, Denis Boneau a diffusé la suite de cette excellente enquête :

http://www.voltairenet.org/article12431.html

Cercles d’influence atlantistes en France

La face cachée de la Fondation Saint-Simon

par Denis Boneau*

Issue des milieux anti-communistes de la Guerre froide, la Fondation Saint-Simon a discrètement rassemblé en France, dans les années 80 et 90, des personnalités politiques, économiques, culturelles et médiatiques. Entre autres membres éminents : Pierre Rosanvallon, Alain Minc, Francis Mer, Serge July, Laurent Joffrin, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, ou encore Christine Ockrent. Membre du Club de La Haye, un réseau international de think-tanks animé par la CIA, la Fondation Saint-Simon a éclipsé les intellectuels de la gauche non-atlantiste et imposé une forme de pensée unique en France. 10 février 2004

De 1982 à 1999, la Fondation Saint-Simon exerça un véritable magistère sur la vie intellectuelle et médiatique française. Dans le prolongement de la « Troisième voie » chère à Raymond Barre, Jacques Delors ou Michel Rocard, elle rassembla une centaine de personnalités issues des cercles libéraux et sociaux-démocrates et développa un discours « ni de gauche, ni de droite » [1], qualifié par ses détracteurs de « pensée unique ».

Son fondateur et premier président, l’historien François Furet, ne faisait pas mystère d’avoir noué des contacts avec la CIA après avoir rompu avec le Parti communiste. De plus, il se présentait comme le continuateur de l’œuvre de Raymond Aron, un intellectuel anti-communiste qui anima le Congrès pour la liberté de la culture, une vaste opération de la CIA pour manipuler les intellectuels ouest-européens et les enrôler dans la Guerre froide. Malgré ces indices, les liens éventuels de la Fondation Saint-Simon avec les services états-uniens ne furent jamais discutés. Notre enquête les a mis à jour.

La réactivation des réseaux de la « Troisième voie » anti-totalitaire

Pour comprendre comment la Fondation Saint-Simon a été créée, en 1982, il importe de se remémorer les efforts entrepris depuis la dissolution du Congrès pour la liberté de la culture, en 1975, pour faire vivre le courant intellectuel de la « Troisième voie ».

Dès la fin des années 70, les intellectuels libéraux et les sociaux-démocrates anti-communistes renouvellent leur alliance afin de lutter contre le Programme commun présenté par François Mitterrand. Ainsi, en 1978, Raymond Aron s’entoure de Jean-Claude Casanova [2] Alain Besançon [3] et Kostas Papaioannou pour créer Commentaire, une revue dont la problématique centrale est l’analyse critique du phénomène totalitaire [4]. Elle tire son nom de Commentary la revue mensuelle de l’American Jewish Committee et en inclut des rédacteurs dans son propre comité de rédaction.

Dans le sillage de Contrepoint, revue de Georges Liébert et Patrick Devedjan et de Preuves, publication quasi-officielle du Congrès pour la liberté de la culture, Commentaire rassemble des intellectuels et hommes politiques anti-communistes et pro-états-uniens. Ses réseaux s’étendent de l’IEP [5] (Jean-Claude Casanova, Michel Crozier, Alain Lancelot) à la Sorbonne (Raymond Boudon, Pierre Chaunu), en passant par l’EHESS [6] où François Furet mène une véritable politique de recrutement politique (il fera entrer Pierre Rosanvallon, pourtant diplômé d’une école de commerce, HEC).

Le comité de direction comprend deux aroniens, Pierre Manent, assistant de Raymond Aron au Collège de France et Marc Fumaroli, professeur à la Sorbonne puis au Collège de France. Le comité de rédaction est présidé par Raymond Aron et comprend des personnalités telles que Annie Kriegel, Alain Lancelot, Jean-François Revel, Georges Suffert...

Suivant la trace de Raymond Aron, les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture sont présents dans Commentaire : Manès-Sperber, Georges Vedel, le juriste du Club Jean Moulin, Michel Crozier, le sociologue officiel des planificateurs. L’ancien chef de Preuves, François Bondy, participe au comité de rédaction. De plus, le parrainage états-unien est assuré par l’intermédiaire de figures du Congrès pour la liberté de la culture, Irving Kristol [7] et Norman Podhoretz [8].

Dans une période de pacification relative des rapports Est/Ouest (ce moment prend fin avec la présidence Reagan), la revue constitue le maillon intermédiaire entre le Congrès pour la liberté de la culture et la Fondation Saint-Simon. Résolument pro-états-uniens, les membres de Commentaire contribuent à diffuser les auteurs libéraux américains tels que Allan Bloom, professeur de philosophie politique à Chicago qui annonce, dans L’Âme désarmée, la décadence en pointant du doigt les mouvements étudiants, et Francis Fukuyama, célèbre théoricien de la « fin de l’Histoire ». Dans la logique du réseau du Congrès pour la liberté de la culture, Commentaire consacre un dossier à l’œuvre de Friedrich von Hayek, le fondateur de l’ultra-libérale Société du Mont Pèlerin, un think tank qui contribue à la victoire de Margaret Thatcher en 1979.

La revue Commentaire, constituée des réseaux construits par Raymond Aron durant les deux premières décennies de la Guerre froide, regroupe des intellectuels anticommunistes de la première génération - les membres du Congrès pour la liberté de la culture, les élites des clubs de la « Troisième voie » (club Jean Moulin, club Citoyens 60) - et recrute des jeunes universitaires comme Pierre Rosanvallon ou François Furet. La revue a ainsi permis aux aînés de transmettre un capital de relations sociales à la nouvelle génération des intellectuels pro-états-uniens qui, en créant la Fondation Saint-Simon en 1982, reformulent l’idéal politique des pionniers de la « Troisième voie » (Pierre Mendès-France, Jacques Delors).

À la fin des années soixante-dix, l’école aronienne (Contrepoint, Preuves et Commentaire) est « concurencée » par la création d’un nouveau pôle de réflexion dit « réformiste » composé de jeunes intellectuels en quête de reconnaissance académique. En 1980, Pierre Nora, le patron des éditions Gallimard, et Marcel Gauchet, l’adversaire de Michel Foucault, lancent la revue Le Débat qui va constituer une tribune et un tremplin pour la jeunes génération incarnée par Alain Finkielkraut, Alain Minc, Gilles Lipovetsky, Luc Ferry... Cette équipe, qui plaide pour une « nouvelle gauche », libérale et sociale, rejoindra la Fondation Saint-Simon, en 1982.

Les fondateurs

La mise en place du réseau saint-simonien est le résultat de la rencontre entre deux intellectuels majeurs du courant anti-totalitaire, l’historien François Furet et le porte-parole de la CFDT Pierre Rosanvallon, et deux personnalités du monde économique, l’ultra-catholique Roger Fauroux et l’influent conseiller du patronat français Alain Minc.

L’itinéraire politique de François Furet met en perspective les liens unissant les saint-simoniens et les néo-conservateurs états-uniens qui, par l’intermédiaire des fondations, financent les carrières de nombreux intellectuels français. François Furet, soutenu par l’ultra-conservatrice fondation Olin [9] lance un programme de démantèlement de l’historiographie marxiste et parallèlement dénonce l’alliance avec les communistes en créant, avec le soutien états-unien, un think tank destiné à combattre le Programme commun.

Militant communiste jusqu’en 1956 [10], il obtient l’agrégation d’histoire en 1954 en se faisant le défenseur des thèses du marxisme orthodoxe. Il entre au CNRS en 1956, puis à l’EHESS ; après sa rupture avec le PCF, il tente de fabriquer une historiographie tendant à réfuter la doctrine marxiste. Il analyse la Révolution française comme un phénomène achevé avec la IIIe République et entreprend un travail de dénonciation du « totalitarisme » communiste [11]. En quittant le PCF, François Furet devient un libéral intransigeant dans la lignée de Raymond Aron. Confirmant cette filiation intellectuelle, il crée avec Luc Ferry l’Institut Raymond Aron, qu’il dirige jusqu’en 1992. Président de l’EHESS de 1977 à 85, il part à Chicago en 1982 ; la même année, il crée la Fondation Saint-Simon. Au moment de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, la Fondation Olin lui verse 470 000 dollars [12] afin de financer son programme de recherche sur les révolutions américaine et française. En 1995, il publie Le Passé d’une illusion, ouvrage qui lui permet de revenir sur la fascination des intellectuels pour le marxisme et d’ériger le communisme comme une forme de totalitarisme équivalente au nazisme. Anti-mitterrandien radical et agent des néo-conservateurs états-uniens, François Furet a construit une œuvre intellectuelle conforme à la volonté de ses mécènes.

Son protégé, Pierre Rosanvallon, appartient à la jeune génération des « anti-totalitaires » formés dans les cercles aroniens de Commentaire.

Pierre Rosanvallon est diplômé d’HEC. Ex-dirigeant des JEC (Jeunesses étudiantes chrétiennes), il entre à la CFDT et lance, avec Edmond Maire et Marcel Gonin, la revue CFDT-aujourd’hui. Très proche de Jacques Delors avec qui il crée le Centre Travail et Société, il participe à de nombreuses expériences de la « Troisième voie ». Il écrit dans Esprit, Le Nouvel observateur, Commentaire (dés 1978). Grâce à François Furet, il entre à l’EHESS et devient responsable des études politiques jusqu’à la consécration du Collège de France. Auteur d’essai à prétention sociologique et historique [13], Pierre Rosanvallon fut « l’éminence grise » d’Edmond Maire à la CFDT, puis le conseiller de Jacques Delors. Il détient une place clé dans les réseaux saint-simoniens ; il représente la Fondation au comité directeur du Club de la Haye.

Alain Minc, proche allié de Roger Fauroux, est le trésorier de la Fondation. Inspecteur des finances, major de sa promotion à l’ENA, son ami Fauroux lui offre le poste de directeur financier de Saint Gobain. Remercié après les pertes occasionnées par les opérations manquées de rachat de Bull et de la Générale des eaux, Alain Minc entre dans le groupe Carlo de Benedetti où ses échecs, comme vice-président de Cerus, ne l’empêchent pas d’empocher sept millions d’indemnités. Fort de ces expériences, il crée Alain Minc Conseil [14]. Parallèlement, il publie de nombreux livres dont un lui vaudra condamnation pour plagiat. Avec le soutien de grands patrons, il organise la recapitalisation du quotidien Le Monde, en 1994, et en préside depuis le Conseil de surveillance. Il coordonne l’écriture du rapport La France de l’an 2000 (Commissariat au Plan), commandé par Édouard Balladur dont il est l’un des soutiens les plus influents.

Ami et conseiller des patrons, Alain Minc a su tirer partie de ses relations et a joué un rôle de recruteur, notamment dans les milieux patronaux.

Le président de la Fondation, Roger Fauroux, est une personnalité au centre de réseaux multiples et étendus. Il est d’abord considéré comme un patron, il fut le Pdg de Saint-Gobain où il repéra son ami Alain Minc. Politiquement, il appartient à la « nouvelle gauche » incarnée par Raymond Barre et Michel Rocard. Ce dernier le désigna, dans son gouvernement, ministre de l’industrie. Il fut directeur de l’ENA. Il conseilla le Cardinal Lustiger et fit ainsi réaliser à l’Église catholique des profits spéculatifs inespérés. Patron ultra-catholique, Roger Fauroux a assuré une partie conséquente du financement de la Fondation en mettant à contribution des entreprises comme Saint-Gobain ou MK2 Production.

La convergence des intellectuels et des patrons

La Fondation Saint-Simon revendique son rôle de liaison entre les intellectuels de la « deuxième gauche » et les patrons de nombreuses entreprises publiques et privées. Cette vocation se traduit par la présence de François Furet et Pierre Rosanvallon au conseil d’administration de Saint-Gobain. Une telle alliance entre les technocrates de la fonction publique ou de l’entreprise et les élites culturelles donne une forme nouvelle au « rêve politique » de la « Troisième voie » incarnée dans les années 60 par le club Jean Moulin [15].

Les saint-simoniens sont des hauts fonctionnaires de la planification (Pierre-Yves Cossé, commissaire général au Plan), des journalistes médiatiques (Françoise Giroud de L’Express, Jean Daniel et Jacques Julliard du Nouvel observateur, Franz-Olivier Giesbert du Figaro, Serge July et Laurent Joffrin de Libération), des stars de la télévision (Anne Sinclair, Christine Ockrent), des philosophes (Alain Finkielkraut, Edgar Morin, Luc Ferry), des patrons d’entreprise et des banquiers (Francis Mer, directeur général d’Usinor, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la banque de France), des éditeurs (Pierre Nora des éditions Gallimard, Yves Sabouret d’Hachette) et bien sûr des politiques (Martine Aubry, Robert Badinter, Jean-Paul Huchon, Bernard Kouchner), etc.

Jouant sur la connivence des élites, les membres de la Fondation Saint-Simon sont en mesure d’échanger des services symboliques et matériels. Les patrons viennent discuter avec les philosophes en vogue et financent les activités de la Fondation, dont les fonds sont exclusivement privés. Les membres donnent une cotisation symbolique (500 francs en 1997) ; la Caisse des dépôts, Suez, Publicis, la SEMA, le Crédit local de France, la banque Wormser, Saint-Gobain, BSN Gervais-Danone, MK2 productions, Cap Gemini Sogeti [16] financent les déjeuners et publications de la Fondation Saint-Simon (soit un budget de 2 500 000 francs).

(à suivre)


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