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Commentaire de Pierre-Alexandre Xavier

sur Droit de préférence : abusif dans le cadre de l'édition numérique


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Pierre-Alexandre Xavier Pierre-Alexandre Xavier 10 août 2009 11:22

Votre vision est effectivement intéressante et confirme la tendance à la convergence entre les différentes composantes du livre. Cependant, je met un bémol à votre enthousiasme.

Les auteurs ont certes l’envie d’émancipation et de reconnaissance, mais ils sont également tiraillés par l’envie de ne pas être entraînés dans les complexités de l’édition à proprement dites. La plupart des auteurs que j’ai rencontré ou fait travaillé étaient essentiellement obsédés par deux choses : le pourcentage de droits d’auteurs qu’ils/elles allaient toucher et le montant de l’avance qu’ils/elles recevoir tout de suite. Le reste : contrats, délais, échéanciers, promo, diffusion, distribution, etc. ne les intéressaient d’autant pas que c’est une plomberie aux antipodes des préoccupations d’écrivain.

Reste le libraire comme éditeur. Je vous rappelle que la plupart des maisons d’éditions actuelles ont commencer comme librairies. Et encore aujourd’hui, certaines ont conservé par tradition leurs librairies. Le problème qui se pose pour le libraire est l’incompatibilité de son fonctionnement actuel de simple détaillant-conseil avec une activité d’éditeur. Et cela ne se limite pas à des considérations de métier mais s’étend à des possibilités d’investissement annuel, puis d’exposition dans un marché saturé.

Alors, les libraires vont-ils se lancer dans l’édition numérique ? A l’exception de très grandes librairies (Sauramps, Furet...), personne n’aura les reins suffisamment solides pour investir, développer une collection étoffée et devenir concurrent direct de ses propres fournisseurs... Car c’est là le dernier point. L’édition numérique, que les anglo-saxons appellent Small print, n’est pas un segment périphérique pour les innombrables maisons d’édition françaises (y compris celles qui sont rattachées à de grands groupes). Donc si les libraires les plus puissants s’équipent et développent une activité d’éditeur, ce sera au détriment d’autres éditeurs et d’autres acteurs de cette même spécificité. C’est le serpent qui se mord la queue.

Dernier point, les éditeurs seront-ils enclins à abandonner la manne extraordinaire que représente les 70 ans de propriété intellectuelle après la mort de l’auteur ? Jamais de la vie. Du moins pas en France, où la majorité des auteurs sont auteurs à temps partiel, complètement désorganisés et fédérés dans des sociétés d’auteurs qui empochent des sommes considérables sans rendre aucun service à la plus grande part de leurs sociétaires. La propriété littéraire actuelle ainsi que le droit de préférence ne sont pas seulement des garanties de profit relatives à l’investissement. Elles sont aussi des mécanismes économiques permettant d’assimiler les œuvres à des marchandises et ainsi de consolider un stock. L’abandon des clauses de préférences et de l’allongement de la propriété intellectuelle signifie une perte sèche pour la plupart des éditeurs actuels. Et envisager une contractualisation à deux vitesses (avec une part des auteurs au régime précédent et l’autre part à 5 ans renouvelables) est parfaitement improbable.

Pour réaliser votre projet, il faudra réunir les conditions suivantes :
— Fédérer les auteurs en syndicats de type américain totalement indépendants afin de disposer d’un authentique levier face aux éditeurs.
— Compenser les éditeurs sur une période de 15 à 20 ans avant de passer à une nouvelle législation sur les droits d’auteurs, tout en autorisant les contrats à faire varier la période de propriété à la faveur de la négociation entre les parties.
— Sortir des mécanismes actuels de distribution (offices, retours, crédits, etc.) et permettra ainsi aux libraires d’investir dans l’édition de niche.
— Compenser les imprimeurs sur une période de 10 à 15 ans afin d’opérer la transition vers l’impression numérique, permettre aux fabricants d’optimiser leurs productions et réduire les coûts d’investissement par un surcroit de commande.
Faute de pouvoir mener une telle politique, ce sera la foire d’empoigne. Les initiatives locales resteront marginales. Les gros continueront de s’entretuer comme ils le font aujourd’hui (lire Livre numérique : la guerre des marchands, le silence des éditeurs...) et les victimes collatérales seront légions dans toutes les articulations de la chaîne du livre...


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