Voyage dans l’étrange
C’était le soir, la forêt était dense, ténébreuse. A peine eus-je pénétré dans la sylve que des sirènes mystérieuses se mirent à retentir autour de moi. Impossible d’identifier la nature de ces mugissements venus des profondeurs -ou des hauteurs- d’un autre monde... Je m’enfonçai dans la forêt, plus intrigué qu’effrayé tandis que se turent progressivement les sirènes. Là, je croisai un homme à tête de cheval. Non, ça n’était pas une tête d’équidé mais un front de bronze. Et puis non, il avait une tête d’homme. Avec des pommettes pareilles à celles des Mongols. Mais d’où tenait-il ces oreilles de chien ? Non, il avait une face ordinaire. En fait je ne savais plus. Étaient-ce ses mains qui attirèrent mon attention ? Des écailles oranges les recouvraient. Il tenait une pétition qu’il semblait vouloir me faire signer. Mais non, ses mains étaient normales... Avait-il vraiment une tête de cheval ? Je refusai de signer sa pétition. Il partit au galop.
Une main me tapa sur l’épaule. Je me retournai. D’une voix sonore et ridicule, un miroir s’excusa de ne pas être à la hauteur de mon image. Le miroir me parlait à travers une ombre qu’il recelait en lui : je pensai à un reflet capturé, prisonnier de la glace. Je brisai l’importun. Entre temps l’homme à tête d’homme ou de chauve-souris ou de cheval -comment savoir ?- parti un instant plus tôt au galop revint aussi vite vers moi en faisant des yeux placides et je signai sa pétition sans discuter. Cinq écailles tombèrent sur la feuille. Non, en fait c’était la main qui venait de me taper sur l’épaule : la silhouette du miroir survécut au bris pour se matérialiser devant moi et faire tomber sa main comme cinq étoiles oranges sur la pétition dûment signée.
Les sirènes reprirent leur concert monocorde. Une pluie de cordes s’abattit sur la forêt. A l’aide d’arrêtes de poissons surgies de nulle part, je confectionnai une échelle rigide. Très vite, elle atteignit des dimensions célestes. Je grimpai aussitôt vers la cime des arbres. En descendant le gouffre, je rencontrai un puits bavard. Il se montra intarissable sur les questions de sociologie. Je ne compris rien à ses discours sans fin. Enfin, j’eus faim. Je sortis de la forêt par une porte enfarinée.
Cette curieuse histoire n’est pas un songe. J’ai vraiment signé la pétition. Contre le CPE ? Pour l’abattage des arbres morts en Sicile ? Contre la sortie des langues des vipères jaunes de Provence entre mai et juin ? Pour la pêche à la truite ? Contre l’heure d’été dans le département de la Meuse ? Je ne saurais le dire. Mais j’ai signé la pétition du cheval bipède, soyez-en sûrs.
De ma main couverte d’écailles orange.
Raphaël Zacharie de IZARRA