L’une des originalités de Deleuze est son vocabulaire. Contre l’attitude naturelle de la pensée à la réduction et à la fixité, attitude notamment critiqué par Bergson et qui l’inspira, Deleuze utilise des concepts nuancés et mouvants - flux, corps sans organes, rhizome - car tel est la réalité, plus proche du cinéma que de la photographie. Tel est sans doute une des différences entre sa conception de la politique et celle que vous présentez dans cet article.
Grossièrement, pour Deleuze la gauche tend vers l’anarchie et la droite vers le totalitarisme. La gauche part d’un vécu de la Liberté tandis que la droite part d’une définition de l’Homme. Le premier en arrive à la préservation du moi, le second à la préservation du nous. Aussi mieux vaudrait-il dire que la droite comprend la sécurité, le collectivisme, l’idéalisme ; la gauche le détachement, l’indépendance, le rationalisme. Solidarité et tolérance peuvent être de gauche comme de droite.
Évidemment la réalité n’est et ne sera jamais aussi simple que ces définitions. Il y a toujours un peu de ying dans le yang et inversement. Ainsi est-il naturel que la droite détourne les aspirations de la gauche pour ses fins. A ce titre l’utopie la zone du dehors, utilisant en bonne partie et citant entre autres la philosophie de Deleuze, est intéressante à plus d’un titre, poursuivant cette idée de détournement jusqu’à imaginer un totalitarisme paré des plus beaux atours de la démocratie et du libéralisme.
Mais l’idéalisme de la droite nourrit aussi la gauche car, sans doute, l’idéalisme est une attitude plus naturelle que le rationalisme, une tendance majoritaire. Dans ce célèbre et court débat, Foucault incarne une gauche deleuzienne tandis que Chomsky est le porte parole d’une gauche philosophique plus populaire - habituelle - et qui semble celle décrite dans votre article. Une gauche pensant un monde meilleur selon ses définitions du mieux. La gauche deleuzienne se contente s’opposer aux limitations de la liberté dans un contexte présent sans oser - par prudence philosophique - envisager la création d’un avenir précis.