Daniel Mermet - Pourquoi la Montée de l’insignifiance ?
Cornélius Castoriadis - Ce qui caractérise le monde contemporain, c’est bien sûr les
crises, les contradictions, les oppositions, les fractures, etc... mais ce qui me frappe
surtout, c’est l’insignifiance. Prenons la querelle entre la droite et la gauche.
Actuellement elle a perdu son sens. Non pas parce qu’il n’y a pas de quoi nourrir une
querelle politique et même une très grande querelle politique, mais parce que les uns et
les autres disent la même chose. Depuis 1983, les socialistes ont fait une politique,
puis Balladur est venu, il a fait la même politique, puis les socialistes sont revenus,
ils ont fait avec Bérégovoy la même politique, Balladur est revenu, il a fait la même
politique, Chirac a gagné les élections en disant : "Je vais faire autre
chose" et il fait la même politique.
D. M. - Par quels mécanismes cette classe politique est-elle réduite à cette
impuissance ? C’est le grand mot aujourd’hui, impuissance.
C. C. - Ils sont impuissants, ça c’est certain. La seule chose qu’ils peuvent faire
c’est suivre le courant, c’est-à-dire appliquer la politique ultra libérale qui est à
la mode. Les socialistes n’ont pas fait autre chose et je ne crois pas qu’ils feraient
autre chose s’ils étaient au pouvoir. Ce ne sont pas des politiques à mon avis, mais des
politiciens au sens de micropoliticiens. Des gens qui chassent les suffrages par n’importe
quel moyen.
D. M. - Le marketing politique ?
C. C. - Le marketing, oui. Ils n’ont aucun programme. Leur but est de rester au pouvoir
ou de revenir au pouvoir et pour ça ils sont capables de tout. Clinton a fait sa campagne
électorale en suivant uniquement les sondages : "Si je dis ceci, est-ce que ça va
passer ?". En prenant à chaque fois l’option gagnante pour l’opinion publique. Comme
disait l’autre : « Je suis leur chef, DONC je les suis ». Il y a un lien
intrinsèque entre cette espèce de nullité de la politique, ce devenir nul de la
politique et cette insignifiance dans les autres domaines, dans les arts, dans la
philosophie ou dans la littérature. C’est ça l’esprit du temps. Tout conspire dans le
même sens, pour les mêmes résultats, c’est-à-dire l’insignifiance.
http://www.costis.org/x/castoriadis/montee.htm
Entretient de Daniel Mermet avec Corneluis Costoradis 1995