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Commentaire de J. GRAU

sur Bientôt la guerre civile ?


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Jordi Grau J. GRAU 16 novembre 2009 16:07

Merci pour cet article intéressant et discutable. Vous écrivez, M. Dugué :

« Revenons à l’interprétation de Marx. La société est divisée en deux classes, les capitalistes, ceux qui possèdent le capital avec l’outil de travail, et les prolétaires, ceux qui offrent leur force de travail moyennant un salaire d’exploité. L’erreur de Marx a été de fondre la question des rapports de domination avec celle des rapports de production. Partir de ce présupposé limite le champ de réflexion ainsi que le champ de conceptualisation du politique. »

Vous n’avez pas tort : les rapports de domination sont en effet plus complexes que les rapports de production. Ce qui a d’ailleurs permis au capitalisme de fonctionner jusqu’à présent, c’est qu’il reposait sur des rapports hiérarchiques souvent antérieurs aux rapports de production capitaliste. Marx lui-même a remarqué ce phénomène à propos de la famille bourgeoise (avec les inégalités hommes-femmes ou les mariages d’intérêt) ou encore à propos de la religion. Le christianisme est apparu bien avant le capitalisme, mais il a souvent servi, durant les vingt siècles de son existence, à justifier l’ordre social établi. A partir du moment où ces hiérarchies traditionnelles (entre hommes et femmes, parents et enfants, clergé et laïques, etc.) disparaissent, il ne reste plus que des rapports purement économiques, entre ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui sont contraints de travailler pour les premiers. D’après Marx, telle est la logique du capitalisme : détruire peu à peu les hiérarchies sociales sur lesquelles il s’appuyait pourtant, pour ne laisser que la violence nue de l’Argent.

Force est de constater que les choses se sont passées autrement. Les classes intermédiaires entre la grande bourgeoisie et le prolétariat n’ont pas disparu. Elles se sont même renforcées. Mais cela ne veut pas dire que Marx avait tout à fait tort. Car si le capitalisme n’a pas pris le chemin que prédisait Marx, c’est en grande partie parce qu’il y avait un fort mouvement ouvrier (animé entre autres par les marxistes) qui a contraint les capitalistes à acceter des réformes sociales. L’Etat, qui était essentiellement un outil au service des riches, est devenu - dans une certaine mesure - le protecteur des faibles. Mais ce processus s’est inversé avec l’essoufflement du mouvement ouvrier et la grande contre-offensive capitaliste qu’on appelle « néolibéralisme ». Depuis les années 70-80, les inégalités ont cessé de diminuer. L’écart entre les riches et les pauvres s’est à nouveau creusé pour atteindre les proportions incroyables que l’on connaît aujourd’hui. Les richesses se concentrent entre des mains toujours moins nombreuses, et avec elles le pouvoir médiatique et politique.

Ainsi, la grille d’interprétation marxiste n’était pas si fausse. Après la longue parenthèse du mouvement ouvrier, le capitalisme semble à nouveau creuser l’écart entre une grande bourgeoisie consciente de ses intérêts de classe - une bourgeoisie qui n’a rien oublié elle, de la lutte des classes, puisqu’elle attaque avec férocité tous les compromis sociaux qu’elle avait accordés du bout des lèvres - et une masse de gens de plus en plus précarisés, donc susceptibles de sombrer dans la misère en cas de crise économique prolongée.

Pour terminer, j’ajouterais qu’il y a un lien étroit - malgré ce que vous semblez penser - entre les inégalités financières et les autres formes de domination. Les plus riches sont aussi les plus riches en capital social et en capital culturel (pour reprendre la terminologie de Bourdieu). Certes, il ne faut pas tout réduire aux rapports de production, mais ces derniers sont tout de même déterminants.




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