Le débat porte donc sur deux points :
- quelles seraient les conséquences d’une éventuelle bourse du pétrole en euro créée par les iraniens et de la fin de la publication de l’indice M3 ?
- quelle est la crédibilité de l’auteur de l’article ?
Le second point ne m’intéresse pas pour l’instant. Devant la menace d’un débarquement imminent en 1944, Hitler a pris ses dispositions en fonction de la crédibilité de ses sources, et non en se mettant à la place des alliés. La suite de l’histoire est plus connue : des unités allemandes de blindés ont été maintenues loin du lieu du débarquement, comme l’avaient souhaité les alliés. Cet exemple explique mieux qu’un long argumentaire la raison pour laquelle je ne me soucie guère à priori de la crédibilité d’une source.
Concernant une source d’informations, il importe de savoir
- qui s’exprime
- dans quel but elle s’exprime
- à qui profite l’information.
Concernant les données fournies, il importe d’analyser le contexte dans lequel elles sont proposées, de déterminer leur cohérence avec le contexte et de situer dans quel point de la chaîne d’information - ou de désinformation - se situent ces données. En l’absence d’autres paramètres, la cohérence des données permet de juger l’efficience d’une source pour un sujet précis, mais cette efficience ne peut être élargie à tous les sujets traités par la même source. Elle doit être jugée au cas par cas.
Le contexte de cet article est la dépendance du dollar par rapport aux transactions pétrolières.
Mettons-nous à la place des décideurs étasuniens qui doivent faire face à la menace de la création d’une bourse du pétrole en euro. Ils vont :
- analyser ses conséquences pour les pays qui pourraient profiter de cette menace,
- en déduire la réalité de la menace (si le rapport profit sur pertes est important, la menace doit être considérée comme sérieuse)
- analyser ses conséquences pour les Etats-Unis
- prendre les mesures appropriées.
Les transactions financières liées au pétrole financent le déficit américain. Les puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil, Russie) ont-elle pour vocation de soutenir l’économie américaine ? Inversons le point de vue pour déduire la réponse vue des Etats-Unis : les Etats-Unis ont-ils pour vocation de soutenir l’économie des puissances émergentes par l’achat massif de produits payés par le déficit ? Réponse : non. D’une part, ces pays risquent de dépasser la puissance américaine par leur production (Chine avant dix ans, Inde ensuite). D’autre part, les puissances émergentes accumulent des bons du trésor en dollar et risquent de peser sur le devenir de cette monnaie. Inacceptable. Les Etats-Unis doivent donc trouver de nouvelles façons d’imposer la prééminence de leur économie. Comment ? La réponse sort du puit : en contrôlant le marché mondial du pétrole (et des matières premières en général). Un seul vendeur, donc une seule devise. Plus de menace de monnaie concurrençant le dollar, des devises qui rentrent toutes seules : l’objectif est atteint. Les achats des consommateurs étasuniens sont payés par l’achat de pétrole et de matières premières. La régulation du coût de ces produits assure à elle seule une fonction régulatrice des économies concurrentes (menaces ou création artificielle de pénuries afin de maintenir les cours à un niveau dépassant largement le montant de la gabelle). Dans cette logique, le déficit actuel n’est que conjoncturel et ne fait peser aucune menace à long terme. La monétarisation de la dette évoquée dans cet article devient alors une politique de transition entre l’état de fait actuel et l’état de fait futur. Le dollar devient durablement maître du monde.
Établissons la cohérence de cette analyse avec la politique étrangère des USA. Nous observons une corrélation maximale, parfaitement visible dans le cas du pétrole. Avant la première guerre du Golfe, les Etats-Unis ne disposaient d’aucune présence de troupes au Moyen-Orient. Depuis cette date, ils ont installé des bases militaires dans toutes les régions pétrolières, de l’Arabie Saoudite aux anciennes républiques soviétiques. Première phase dans le contrôle du marché.
Cette analyse est également corroborée par l’attitude du gouvernement chinois qui prend depuis ce début d’année des dispositions pour :
- s’assurer de nouvelles sources d’approvisionnement en matières premières par une politique volontariste de coopération gagnant/gagnant avec les états africains
- accroître le revenu des paysans (suppression d’impôts) et fonder son développement sur le développement et la consolidation d’une classe moyenne solvable.
(source : http://www.french.xinhuanet.com)
A moyen terme, 750 millions de chinois constitueront un marché intérieur plus vaste et plus solvable que le marché américain. Ils s’affranchiront de ce dernier.
Elargissons le contexte :
- Les étasuniens, poussés par la volonté d’élargir leur hégémonie, ont annoncé leur occupation militaire de l’Asie centrale (voir Zbigniew Brzezinski : « Le Grand Echiquier. L’Amérique et le reste du monde » Bayard, 1998) et d’amorcer un « choc des civilisations » (Samuel Huntington Editions, Odile Jacob 1997) dont ils pensent sortir vainqueurs. Le contrôle de l’Iran s’inscrit dans une politique expansionniste Cette politique est cohérente avec la volonté de contrôler les ressources pétrolières. Le cartel pétrolier au pouvoir aux USA semble pressé par le temps, et pousse ses pions de façon de plus en plus agressive.
- La désorganisation des marchés et le contrôle des ressources pétrolières qui résulteraient de la prise de contrôle de l’Iran par les Etats-Unis affaibliraient plus l’Europe et la Chine que les Etats-Unis. Ces derniers, devenus maîtres du pétrole et du dollar, se retrouveront avec toutes les cartes en main. Dans la course de vitesse qui s’engage entre la Chine et les USA, ces derniers possèdent un coup d’avance.
- Deux bastions résistent actuellement aux plans étasuniens au Moyen-Orient : la Syrie et l’Iran.
La Syrie ne dispose que peu de pétrole. L’Iran est donc prioritaire. Une attaque des Etats-Unis contre l’Iran est cohérente avec le contexte international actuel. Donc prévisible.
Il manque cependant un casus belli permettant aux Etats-Unis de frapper l’Iran. Cet article, parmi d’autres événements comme la médiatisation du plan nucléaire iranien (1), fournit un prétexte.
L’article de M. Biancheri semble s’insérer dans ce contexte. Deux éléments tendent à le confirmer.
- Le premier réside dans sa phrase d’introduction : « Cette semaine de la fin mars 2006 marquera le point d’inflexion d’évolutions critiques, entraînant une accélération de tous les facteurs conduisant à une crise majeure, même sans intervention militaire américaine ou israélienne contre l’Iran. »
Cela revient à dédouaner d’avance le gouvernement étasunien des conséquences dramatiques de cette intervention prévisible, parfaitement détaillées plus loin par l’auteur.
- Le second réside dans l’insistance à déterminer pour une semaine précise (20-26 mars) le cataclysme économique annoncé. Les marchés, si prudents et capables d’anticipation, ne semblent pas du tout réagir à la prétendue gravité de cette échéance. Premiers concernés, ils sont mieux informés que quiconque pour savoir que les transactions passées au moyen de cette bourse commenceront de façon limitée. Ils disposent des moyens nécessaires pour attendre, voir, et corriger d’éventuels dérapages. Pourquoi alors annoncer une catastrophe paroxystique à cette date ? La fin mars est la date la plus fréquemment avancée concernant la menace d’une attaque des Etats-Unis contre l’Iran. Une opération militaire d’envergure doit être planifiée longtemps à l’avance. D’où la nécessité d’annoncer une date précise.
Cet article constitue un cas d’école de désinformation, Sa construction consiste à créer une émotion, puis à enfermer le lecteur dans des considérations de détail avant de conclure sur l’émotion créée dans l’introduction : « nous approchons collectivement d’un »nœud historique« qui est dorénavant inévitable, quelle que soit l’action des acteurs internationaux ou nationaux ».
La phrase suivante « A ce stade, seule une action directe et immédiate de l’administration américaine visant d’une part à empêcher une confrontation militaire avec l’Iran, et d’autre part, à ne pas monétariser la dette extérieure des Etats-Unis, pourrait changer le cours des évènements », reboucle sur l’amalgame irrecevable « monétarisation de la dette (détail) / crise iranienne (contexte) ». Le but est de laisser le lecteur dans l’impression que la première étant inéluctable, la seconde l’est aussi. Le mot « empêcher » est destiné à prendre l’opinion publique à témoin : les Etats-Unis n’ont pu empêcher la crise. Ils sont donc obligés d’intervenir.
La finalité de ce type d’article consiste à tester les réactions de l’opinion publique. Soit il est repris et largement commenté. Ses hypothèses pourront alors devenir une vérité doctrinale. Soit il tombe dans l’oubli, et il faudra monter en épingle d’autres hypothèses, en forçant par exemple sur la crise nucléaire.
(1) A ce sujet, l’analyse de Barthélémy Courmont, de l’Iris, (http://www.iris-france.org/pagefr.php3?fichier=fr/Archives/Tribunes/2006-02-22) m’est parue tout à fait éclairante.
25/01 05:21 - Fraisy
Après plusieurs vérification de chaine de lettre je me suis vite rendu compte du manque (...)
20/12 15:34 - aliocha
Mr Biancheri, l’Iran a annoncé cette semaine qu’ils allaient abandonner le dollar (...)
17/11 15:20 - aliocha
Bonjour, Je serais intéressé que le débat reprenne concernant les dernières prédictions (...)
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