@ l’auteur
Autant l’argument de la dignité humaine est inopérant pour
justifier une interdiction du voile intégral ( lorsque ce dernier est porté par
une femme « en son âme et conscience », ce n’est pas à autrui de
définir à sa place en quoi doit consister sa propre dignité ), autant l’argument tiré
du passé colonial de la France pour « tolérer » ce même voile me
paraît foncièrement anachronique.
Car contrairement à ce que suggère M. Louvel,
les données du problème entre l’Algérie française d’hier et la France multiculturelle
d’aujourd’hui sont différentes.
En premier lieu, dans le contexte de l’Algérie française, le
respect de la diversité religieuse évoqué par M. Louvel était surtout motivé
par l’opportunisme politique de l’administration coloniale : respecter la
religion musulmane, c’était s’assurer une paix relative en ne bouleversant pas
l’ordre social.
Ensuite, ce respect s’inspirait bien plus de la politique
gallicane d’Ancien Régime que de la loi républicaine de 1905 (qui n’a jamais
été appliquée en Algérie). Les gouverneurs coloniaux intervenaient dans le
choix des oulémas et entretenaient la sujétion de ces derniers en s’assurant de
leur dépendance économique : les monarques n’avaient pas agi autrement
pour inféoder le clergé.
Enfin et surtout, M. Louvel passe un peu vite sur les
conséquences de la « tolérance » coloniale quant à la condition des
femmes algériennes. Outre le fait que la polygamie n’a jamais été interdite
sous la domination française ( par crainte de provoquer une trop grande
crispation chez les « indigènes », et également parce que la pratique
était considérée comme marginale et appelée à disparaître ), les mariages
forcés et la pratique de la répudiation réservaient aux femmes musulmanes un
sort peu enviable en comparaison de celui de leurs consoeurs européennes.
Autrement dit la tolérance tant vantée par M. Louvel se
caractérisait surtout par une indifférence de l’Etat colonial à l’égard statut
de la femme musulmane. Certains auteurs (dont Julia Clancy Smith) soutiennent
d’ailleurs la thèse selon laquelle le maintien de l’infériorité juridique de la
femme musulmane aurait été plus ou moins négociée entre les confréries
religieuses musulmanes et le pouvoir colonial.
La référence à « la belle époque de la burqa » est
donc pour le moins malheureuse...
Enfin concernant le texte de Fanon, il me semble impropre à
rendre compte du débat actuel autour du voile intégral, sauf à considérer que les représentantes des associations
féministes qui plaident en faveur d’une loi d’interdiction sont dominées par de
troubles pulsions saphiques...
Néanmoins, Fanon emploie (malgré lui) un terme qui offre
aujourd’hui l’une des clés de la problématique actuelle : le port du voile
intégral abolit la réciprocité dans l’espace public.
***
PS : Pour ceux qui souhaiteraient plus d’informations
sur le statut de la femme musulmane dans l’Algérie française, quelques livres
et articles de référence :
- Louis-Augustin Barrière, Le statut personnel des musulmans
d’Algérie de 1834 à 1962, Presses universitaires de Dijon,1993.
- Diane Sambron, Les Femmes algériennes pendant la
colonisation, Edition Riveneuve, 2009.
- Julia Clancy-Smith, Le regard colonial : Islam, genre et
identités dans la fabrication de l’Algérie française, 1830-1962, article paru
dans la revue « Nouvelles Questions Féministes » : « Sexisme
et Racisme : le cas français » Volume 25 N° 1-2006.