Pierrot, ton poème émouvant, porteur d’espérance, est un hymne à la vie, mais il est révélateur d’une triste réalité qui n’est pas démentie.
Tu chantes une histoire qui prend racine dans les peurs humaines. Elle émerge sur le sol africain embrasé depuis le début des temps par des traditions et pratiques où la femme subit souvent la loi du mâle et sa violence. Un jour pourtant elle prend le pouvoir. C’est le pouvoir d’enfanter, de travailler et de nourrir sa famille. Noble pouvoir reconnu par tous les hommes sur toute la surface de la terre et jusqu’à la fin des temps.
Femme couleur d’ambre, au parfum épicé, au rire généreux, tu assumes noblement ce pouvoir qui ne te sera jamais contesté par les dictatures, les démocraties et toutes les religions de la planète.
Paix généralisée, entente cordiale universellement reconnue par tous les hypocrites et les scélérats du monde qui partagent de près ou de loin le machisme et le pouvoir inaliénable du mâle érectile et orgueilleux, conquérant, violent, dérisoire et misérable.
Angola 1954, une petite fille vient au monde dans une famille angolaise, « Kassapi » est son nom, « la clé » en umbundu, une langue parlée en Angola. On lui impose un nom plus chrétien « Junice »
Première, dans ce foyer, première à partager le contentement de la maman et la déception du papa qui déjà caressait des projets ambitieux pour un fils désiré, un successeur à je ne sais quel dessein mâle.
Très vite, enfant innocente tu seras comblée. Ton enfance maternelle et maternante te volera simplement ton enfance. Dans un nid grouillant de petits frères et soeur tu seras immergée. Naîtra un goût immodéré pour la maternité enfantine et plus tard infantile et infantilisante. Et tes bras et ton corps tout entier s’empliront de cris et de rires, de joies et de peines, de chair et de chaleur, et de tous les bruits de la vie.
L’école s’imposera, coïncidence heureuse et malheureuse, ton père enseigne dans cette petite école administrée par une mission chrétienne. Cependant, ce que l’on ignore autour de toi, c’est que tu es « maman », maman depuis sept ans, et depuis le début des temps. Ta progéniture est restée à la maison... elle te manque atrocement et dévore ton coeur de remord et de culpabilité.
L’école devient alors un enfer, ton esprit est ailleurs, tu inverses les signes et les gestes, les règles et les mots, les questions et les pièges, naturellement dyslexique, triste, impuissante... Qui es-tu ?... Que veux-tu ? Que fais-tu là ?
Le père, l’enseignant d’un autre temps, se fait sévère et brutal, tu lui apparais dans toute ta stupidité, empruntée, maladroite, distraite et muette. Son orgueil de père et d’enseignant est à vif. Sa fille ne comprend rien, n’entend rien. Elle est idiote. C’est honteux et intolérable.
Privée d’écoute, de compréhension et de « tes enfants », tu excelles dans l’art de la provocation et de l’imbécillité feinte.
Junice mais aussi « Kassapi » la « clé » de quoi ? La clé de la porte du malheur ?
Le père est déterminé, il ne peut accepter cette faillite, alors il poursuivra son oeuvre « éducative », ce dressage musclé, jusqu’à ce que tu comprennes que ton besoin immodéré pour les soins des petits et des plus grands, masque une disposition naturelle pour la digne profession de médecin.
C’est avec beaucoup de fierté qu’il te verra plus tard sur les bancs de l’école supérieure, déterminée, et intéressée par les études médicales.
Et puis l’être humain oublie, enfin le croit-il, il s’adapte vite et développe une grande capacité à survivre. En cela nous partageons tous les mêmes comportements. Dans la résilience, nous rebondissons et nous recommençons.
Mais rien n’est simple dans cet immense continent aux blessures béantes. Ce berceau de l’humanité réduit à l’esclavage pendant cinq siècles.
Après les grandes conquêtes hispaniques et portugaises, sur le continent américain, la controverse de Valladolid, Espagne 1550, l’Afrique sera désignée comme le grand pourvoyeur d’esclave pour les besoins et le développement des nations conquérantes.
Alea jacta est, le peuple africain connaîtra l’immense génocide de son histoire pendant trois siècles, puis les guerres coloniales et post-coloniales, tribales et même de religion, pourquoi se voiler la face, pour un temps déréglé qui dépasse largement notre temps et tout entendement.
Lily, Kassapi, Junice, qu’êtes vous devenues maintenant, dans ce déluge de violence, d’injustice, de feu et de sang ?
Lily, sous l’impulsion généreuse et poétique de Pierre Perret tu es entrée dans la légende, ton Pygmalion a imaginé pour toi un heureux dénouement.
En ce qui te concerne Junice, sur ta réalité familiale et affective, en toile de fond, se construira la réalité sociale et politique de ton pays. Tu as 7 ans en 1961, quand la guerre d’indépendance éclate, elle durera 13 ans, jusqu’en 1975. A partir de ce moment là, ton pays sera déchiré par 3 guerres successives, civiles et mondiales. En somme, le conflit commencé en 1961 se terminera en 2002. L’Angola, terre de violence pendant 41 ans de ta vie.
Ton destin est néanmoins cohérent, trois années d’études médicales prolongées par une formation d’infirmière. Ton pays est devenu un gros consommateur de soins. L’expérimentation, le savoir faire et le talent de soignante seront forgés dans l’enfer des guerres à répétition et de leurs conséquences sur les populations civiles... les épidémies et la misère.
Certains jours il te faudra marcher sur les cadavres pour intervenir en urgence auprès des blessés. Junice, comment as-tu fait pour survivre ?... la vocation.
Comme si cela ne suffisait pas, ta famille t’avait imposé un mari, il se révèle brutal, et cultive un goût pour l’alcool. Il te frappe, c’est presque une institution dans ton pays, chez nous en Europe, c’est simplement artisanal.
Il te fera 5 enfants. Dans ses moments de violence il te laissera inanimée après des brutalités innommables, sous le regard terrifié de tes pauvres enfants et avec le consentement tacite et la bénédiction du cercle familial.
Oui écoutons bien, avec nos oreilles blanches ou noires, d’ailleurs, la couleur de la peau est sans importance, écoutons comment on traite les femmes dans le monde... avec des nuances et beaucoup d’hypocrisie dans certains pays.
La résistance humaine a ses limites, tes enfants seront dispersés aux quatre vents pour les protéger du pire. Les mamans savent ce que cela signifie, les hommes pas vraiment, ils sont franchement trop cons les hommes.
Bien sûr, tu seras touchée par le deuil... ta famille est tellement grande. Ton mari fera des enfants ailleurs... là tout de même, c’est trop !
L’occasion, la souffrance et la détermination aidant, tu fuiras, dans « l’Eldorado » Européen, tu avais une soeur en Suisse... ça aurait pu être pire !
Et la vie reprendra, tu feras d’abord des ménages, tu reprendras des études, tu apprendras la langue française et trouveras un travail d’infirmière dans un établissement médicalisé pour personnes âgées.
En quête d’un compagnon, tu rencontreras un homme, sur un quai de gare, en souffrance lui aussi, les affinités crient. Il est Français, étranger comme toi dans ce pays. C’est un idéaliste, épuisé par son métier de thérapeute. Il a choisi la montagne pour se reposer, il craque pour ton rire et ta gentillesse. Deux heures après il te demande en mariage, c’est un intuitif, un demi fou, et un grand cascadeur devant l’éternel, neuf mois après vous vivrez le mariage de tes rêves.
Depuis vous ramez tous les deux mais il n’a pas pu t’aider comme il l’aurait souhaité. Tu es traumatisée par un lourd passé et des épreuves inhumaines.
Les conflits de pouvoir que tu rencontres maintenant dans ton travail réveillent en toi des souvenirs douloureux et t’épuisent au point que tu viens de démissionner.
Qui peut comprendre ça, dans ce pays tellement tranquille et à l’abri des grands conflits internationaux. Ici on fabrique aussi des armes, mais également des médicaments, il faut bien vivre, le monde est ainsi fait... Junice, tu dois continuer, car tu es toujours une maman et tu as huit petits enfants... avec des joies et des problèmes, oui mais des joies, oui mais surtout des problèmes... la mémoire de ta vie est immense à l’image du berceau de l’humanité... l’Afrique.
06/02 13:19 - LeManu
De l’excellent commentaire de Reinette, je relève cette phrase d’ Mohsen Makhmalbaf (...)
06/02 12:27 - LeManu
Vous voulez dire « réagir avec intelligence » ? Vu vos arguments, on pourrait vous poser la (...)
06/02 12:14 - TDK1
Quand la poésie répond à la bêtise : http://www.wat.tv/video/pierre-perret-femme-grillagee-36ynd_2f
06/02 12:13 - TDK1
Pierre Perret n’a pas écrit que Lilliy : http://www.wat.tv/video/pierre-perret-femme-grillage
23/01 20:10 - Jean GABARD
Entièrement d’accord avec le contenu de l’article ... Essayons plutôt de traiter (...)
07/01 17:49 - jack mandon
On la trouvait plutôt jolie, Lily... Tribulations d’une femme africaine Pierrot, (...)
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