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Commentaire de Philippe Aigrain

sur Le marché de l'opinion n'est pas démocratique


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Philippe Aigrain Philippe Aigrain 4 décembre 2006 09:51

Merci pour cette analyse constructive de « notre » média. Je voudrais y ajouter un petit rappel historique : l’un des livres fondateurs de la réflexion sur la démocratie, « Le public et ses problèmes » du philosophe américain John Dewey (remarquablement traduit en français par Joëlle Zask aux Editions Leo Scheer / Farrago) se veut tout entier une réponse à la naissance du concept d’opinion publique. En 1922, Walter Lippmann publie son livre « Public opinion ». Ce n’est que 13 ans plus tard que George Gallup fonda aux Etats-Unis son « American Institute of Public Opinion » (qui devint Gallup). Le livre de Lippmann se présente comme une critique féroce de toute forme de démocratie qui donne un role excessif aux citoyens. Dénonçant la capacité des « leaders », des médias et de la propagande à « sculpter » l’opinion, Lippmann affirme que les citoyens n’ont aucune sens de la réalité objective et plaide en faveur d’un gouvernement représentatif assis sur les conseils des experts. Dewey s’oppose à cette vue dans un article commentant le livre de Lippmann et se décide à écrire son livre dans les années qui suivent. Aiguillonné par la dénonciation de Lippmann de toute possibilité de démocratie participative, il redéfinit le public lui-même, distinguant le citoyen informé par son effort de comprendre les faits et de construire avec d’autres un espace de sens commun du citoyen manipulable à merci de Lippmann. Pour Dewey, les citoyens, lorsqu’ils s’engagent dans cet effort sont une partie du « public » au même titre que ce qu’il appelle les « officers », ceux qui détiennent des mandats politiques ou des fonctions administratives. Sans aucune idéalisation des connaissances ou capacités de chacun, Dewey définit les conditions de processus et d’institutions qui vont favoriser l’autoconstruction du public par lui-même : enquête sociale, espaces de débat, rapports entre communautés locales et universelle. Dès cette époque, il affirme que le public et les moyens qu’ils se donnent sont sans cesse à réinventer, car ils sont inévitablement instrumentalisés par des groupes d’intérêt s’ils se figent dans des formes (un point qui devrait faire réfléchir tous ceux qui idéalisent telle ou telle procédure ou jettent l’anathème sur d’autres). Bien sûr il ne peut alors imaginer internet et le Web. En soulignant le besoin de privilégier le dialogue des commentaires par rapport à la comptabilité des accords et désaccords, votre article est dans la continuité de cette position. Cependant, il reste une utilité de la comptabilité des désaccords et accords, notamment lorsque celle-ci s’effectue par degrés (et non de façon binaire), est associée avec des qualités ou sert simplement à identifier des positions intéressantes ou à cacher partiellement des interventions non-constructives (modèle de Slashdot, qui malheureusement ne fonctionne qu’à partir d’un nombre très élevé de lectures pour chaque article). NB : ma présentation de la controverse Lippmann / Dewey utilise le résumé fourni dans l’article (sur un site collaboratif d’étudiants en histoire de l’éducation) « Walter Lippmann and John Dewey debate the role of citizens in democracy » de Daniel Schugurensky : http://www.wier.ca/ %20daniel_schugurensky/assignment1/1922lippdew.html


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