Bonjour « Surcouf »,
Peut-on réellement en finir ainsi avec ce débat « IE : politique ou stratégie » ? Le fait que Clausewitz compare la guerre au commerce, n’a rien de particulièrement étonnant : il est stratège et pense en stratège ! La logique qui voudrait s’appuyer sur cette vision de stratège pour affirmer que les hommes politiques, l’Etat, doivent penser l’économie en stratèges, ne me semble pas implacable au point de clore définitivement le débat.
Clausewitz, stratège de la « guerre totale », voit des parallèles entre les conflits entre Etats (son « métier »)et des conflits commerciaux (conflits de commercants) : c’est un fait, nul ne peut le contredire, il existe de nombreux points communs entre les deux (ce sont des conflits). Cela ne doit cependant en aucun cas occulter le fait que si les premiers, comme il l’observe lui-même, se règlent par le sang, les seconds doivent impérativement être réglés par la loi. Ce n’est pas parceque les conflits commerciaux peuvent être comparés aux conflits entre Etats que les moyens à mettre en œuvre pour les régler (stratégie) doivent être les mêmes !
Tout ceci n’est qu’une question de vocabulaire. On peut toujours utiliser le terme « stratégie » dans son sens figuré (cf. définition parfaitement valable du général Loup Francart), mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir aux inconvénients de l’abus du vocabulaire stratégique dans le discours économique. Comme je le dis dans mon article, cet abus contribue à faire des enjeux de puissance et de la domination l’élément central du jeu économique, et à faire ainsi la part belle à cette « dimension » d’affrontement du « jeu » économique, participant à cette « confusion mentale à l’origine de nombreuses dérives » dénoncée par Franck Bulinge.
Les mots ont un sens propre qu’il convient parfois de respecter scrupuleusement pour assurer la rigueur du raisonnement. Si on admet avec le général Loup Francart, que la stratégie procède de la politique dont elle met en œuvre le projet, dire que « la politique () est une stratégie » n’a plus grand sens !
Enfin, la volonté de puissance, que vous recommandez de substituer aux notions de « guerre économique » et de « patriotisme économique », reste à mon sens une valeur trop ambiguë pour être utilisée dans le discours politique sans précautions. Les philosophes l’ont largement disséquée : c’est avant tout une volonté de dominer. Tant qu’on applique cette volonté à soi même, c’est une valeur positive sans aucune ambiguïté : la volonté de se dominer soi (maîtrise de soi) qui, selon Nietzsche, commande de travailler à se surpasser sans cesse, constitue indubitablement, lorsqu’elle s’applique à l’échelle d’une nation, un projet tout à fait louable. Dès lors que cette volonté s’applique à dominer l’autre, elle peut être considérée comme nécessaire à l’égard des concurrents, dans le cadre de relations commerciales, elle devient plus malsaine lorsqu’elle intervient à l’égard d’une nation voisine, dans le domaine beaucoup plus varié des relations entre Etats. Il devient alors indispensable, à mon sens, pour l’Etat, d’afficher clairement dans son projet politique que cette volonté de puissance se limite à se donner les moyens d’empêcher les autres de le dominer, c’est-à-dire de se défendre (et la défense n’est en rien une posture passive, bien au contraire). La nuance peut sembler toute théorique, mais elle n’en reste pas moins importante à prendre en compte pour inciter à user avec modération du vocabulaire stratégique qui restera toujours attaché à une logique d’affrontement.