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Accueil du site > Actualités > Economie > Le triple paradoxe de l’intelligence économique

Le triple paradoxe de l’intelligence économique

Un article très intéressant de Franck Bulinge, publié le 6 novembre 2006 sur AgoraVox et intitulé De l’espionnage à l’intelligence économique, soulève le problème de la relation paradoxale entre espionnage et intelligence économique. Cette relation révèle en réalité trois paradoxes, qui s’emboîtent successivement l’un dans l’autre : celui de l’information stratégique, celui du renseignement économique, et celui de l’économie concurrentielle.

 

Franck Bulinge constate une "dérive symptomatique d’un système fondé sur la domination plutôt que sur le partage" attachée à "l’espionnage économique, tout comme (au) patriotisme économique", et montre "le rapport à l’information-pouvoir-puissance" comme "un facteur de confusion mentale à l’origine de nombreuses dérives". Celles-ci favorisent une perception par le public plus "romanesque" que réaliste de l’espionnage économique, phénomène "culturel", "qui freine la prise de conscience individuelle et collective" de ce danger pour notre économie.

On est en plein, là, dans le paradoxe. Comment promouvoir une prise de conscience des risques d’espionnage et de la nécessité de s’en protéger, sans favoriser en même temps l’amalgame entre intelligence économique et espionnage ? La seule solution consiste à marquer une distinction très claire entre le renseignement et deux autres disciplines complémentaires, avec lesquelles il est trop régulièrement confondu, mais dont la pratique est fondamentalement différente : la sûreté (protection du secret, contre-espionnage) et l’investigation (enquête, espionnage).

La clé du problème est ici : la sécurité est l’œuvre de tous, mais elle correspond en même temps à un ensemble de métiers spécifiques exercés par des professionnels. Englober les métiers de la sécurité (sûreté, investigation) dans la même enveloppe que les métiers du renseignement (maîtrise des sources et exploitation de l’information), au prétexte qu’ils ont tous deux une finalité stratégique, revient à gommer tout ce qui fait la spécificité de chacune de ces deux activités fondamentalement différentes, et à nier le professionnalisme de ceux qui les pratiquent. Une telle assimilation conduit immanquablement le public et, plus grave encore, l’ensemble des acteurs du jeu économique, à un amalgame néfaste.

Tant que le renseignement économique mélangera dans un même concept celui de sécurité (sûreté, investigation) et celui de renseignement (maîtrise des sources et exploitation), et tant que le discours stratégique fera de la domination l’élément central du jeu économique, l’intelligence économique souffrira de la conjonction des trois paradoxes, de l’information stratégique, du renseignement économique et de l’économie concurrentielle. La "politique publique impulsée par le gouvernement, et pilotée par Alain Juillet" gagnerait indubitablement à clarifier le concept et à "pacifier" le discours officiel afin d’éviter de trop nombreuses incompréhensions.

Le paradoxe de l’information stratégique ou comment concilier culture du partage et culture du secret

L’information est une "denrée" particulière, qui procède du partage dont elle s’enrichit, et se donne sans déposséder celui qui la détient (bien qu’y perdant de sa valeur marchande). Dans un contexte conflictuel, compétitif ou concurrentiel, elle est stratégique lorsque la victoire en dépend. Elle devient alors un enjeu de puissance, et sa divulgation au parti adverse ruine la stratégie mise en œuvre pour gagner. Le partage (sans lequel l’information n’existe pas) et le secret (sans lequel il n’y a pas de stratégie) relèvent de deux cultures aux antipodes l’une de l’autre.

Comment demander à une seule et même discipline (la maîtrise de l’information stratégique) de promouvoir deux cultures aussi opposées pour satisfaire des impératifs (partage et secret) pourtant irrémédiablement complémentaires ?

Ce paradoxe constitue probablement la difficulté la plus importante à vaincre dans la mise en œuvre d’un dispositif d’intelligence stratégique. Sans disposer de solution simple à ce problème complexe, on peut néanmoins remarquer qu’inculquer à un même individu deux cultures aussi contradictoires sera toujours, même si cela reste nécessaire et indispensable, un défi contre nature, aux résultats incertains. Partant de ce constat peu encourageant, mais réaliste, la seule solution, pour garantir la complémentarité indispensable entre ces deux impératifs, paraît être de pousser jusqu’au bout le paradoxe : ce n’est qu’en établissant une distinction claire entre deux métiers s’attachant, l’un comme l’autre, à satisfaire séparément chacun de ces deux impératifs, que l’on peut parvenir à coordonner des pratiques qui resteront toujours antagonistes. A ces deux cultures opposées doivent correspondre des métiers différents, dont les interactions doivent être fortes et soigneusement réglées.

Les militaires gèrent ainsi ce paradoxe, en distinguant nettement la fonction exploitation du renseignement de la fonction protection du secret. Loin d’être parfaite, cette solution présente néanmoins l’avantage d’être réaliste et de permettre une maîtrise facile du niveau de sécurité : pour améliorer la protection du secret, il suffit de pousser le curseur dans le sens de la sécurité en renforçant les équipes chargées de la faire respecter. Ce renforcement se fait évidemment au détriment d’une certaine efficacité de la fonction renseignement dont les acteurs sont alors volontairement "bridés" pour contrecarrer leur propension naturelle au partage de l’information nécessaire à la qualité de l’analyse, mais la perte d’efficacité reste parfaitement contrôlée.

La protection du secret est bien évidemment l’œuvre de tous, mais la protection du secret est également un métier reconnu, exercé par des professionnels. Ce métier spécifique ne peut pas se confondre avec le renseignement, qui couvre l’ensemble du spectre du traitement de l’information (de la maîtrise des sources à l’exploitation de l’information), et correspond à des pratiques fondamentalement différentes. Même s’ils sont tous deux au service d’un même objectif stratégique, les confondre revient à nier l’existence de l’un comme de l’autre. Cet amalgame est néfaste pour le renseignement et toujours dangereux pour la protection du secret. Bien que la pratique d’activités de renseignement économique commande d’être tout particulièrement sensibilisé aux problèmes de protection de l’information stratégique (au même titre que n’importe quel autre acteur économique amené à manipuler ce type d’information), cela ne doit en rien signifier que le métier soit assimilable au contre-espionnage.

Le paradoxe du renseignement économique ou comment concilier opacité et respectabilité

Comment demander à une seule et même discipline de permettre l’accès à de l’information intentionnellement cachée tout en lui garantissant toute la respectabilité nécessaire à son rayonnement ?

Ce paradoxe est d’autant plus flagrant lorsque celui de l’information stratégique évoqué précédemment n’a pas été résolu : d’une part, l’indispensable besoin de respectabilité conduisant à "gommer" l’aspect "sulfureux" du renseignement trop souvent assimilé à l’espionnage, et d’autre part, la nécessité de promouvoir les impératifs de protection (contre-espionnage), alors même que les dérives de la promotion médiatique, immanquablement attirée par le côté "croustillant" des affaires d’espionnage, sont inévitables.

De la même manière qu’il est nécessaire, comme on l’a vu précédemment, de différencier la fonction exploitation du renseignement de la fonction protection du secret, il va être indispensable de distinguer de manière très claire les activités de recherche de l’information cachée, des activités d’exploitation de l’information disponible. L’utilisation du renseignement comme outil stratégique dans le domaine économique ne peut pas se passer d’une clarification très ferme du vocabulaire et des pratiques associées en la matière.

Les activités d’espionnage, qui constituent, en situation de conflit, une des seules sources de renseignement sur l’ennemi, sont naturellement (mais abusivement) attribuées par le grand public à la panoplie du renseignement : elles sont pratiquées par des services dits spéciaux, ainsi nommés pour exprimer le fait qu’ils interviennent, au nom de l’Etat, en marge de la légalité, dans une logique de guerre (prolongement de la politique par d’autres moyens). D’autres activités de recherche d’information cachée (investigation), qui relèvent du domaine de la sécurité, sont quant à elles toujours nécessaires, même en dehors de toute logique d’affrontement entre Etats : elles sont pratiquées par des services de police ou des agences de recherche privées (détectives). Leur caractère nécessairement "discret" et parfois "agressif" implique qu’elles doivent être parfaitement encadrées par la loi.

Les activités de renseignement (au sens strict du terme qu’il convient de respecter), qui consistent à exploiter les sources (acquisition) et l’information (analyse) sont beaucoup plus "neutres" : elles sont pratiquées par des services de renseignement (à distinguer des services spéciaux) dont le travail est essentiellement intellectuel.

Enfin, les activités d’exploitation des sources et de l’information disponible en matière économique (activités de temps de paix fondées sur l’acquisition et l’analyse de l’information disponible) sont toujours parfaitement licites et tout à fait "pacifiques". De ce fait, elles ne sont pas nécessairement accompagnées d’un encadrement légal aussi strict que les activités d’enquête. Elles ne peuvent et ne doivent en aucun cas être confondues avec les activités d’espionnage ou d’enquête.

Comme les militaires, qui distinguent de manière très claire les activités de recherche du renseignement (espionnage) des activités d’exploitation, les acteurs économiques doivent marquer très clairement cette frontière indispensable entre des métiers foncièrement différents.

Le paradoxe de l’économie concurrentielle ou comment concilier confiance et concurrence

La distinction entre renseignement (exploitation des sources et de l’information) et sécurité (sûreté et investigation), dont on a vu l’intérêt pour résoudre les problèmes posés par les deux paradoxes précédents, présente en outre l’avantage de ne pas "cantonner l’intelligence économique à une posture défensive" en affirmant clairement sa vocation de "maîtrise de la connaissance" et de soutien à "l’innovation et l’esprit d’entreprise", évitant ainsi cette "culture de méfiance généralisée" que Franck Bulinge pointe du doigt.

Cette "culture de méfiance généralisée" soulève un troisième paradoxe, celui de l’économie concurrentielle, lié à cette "dérive symptomatique d’un système fondé sur la domination plutôt que sur le partage" que l’article dénonce. Comment, en effet, assurer la confiance indispensable au fonctionnement harmonieux d’un système (l’économie qui a pour vocation de permettre l’échange de biens matériels et immatériels), si celui-ci reste "fondé sur la domination" et les rapports de force ou de puissance ?

La métaphore sportive utilisée avec l’équipe de foot pour imager la nécessité de combiner offensive et défensive est révélatrice de cette dérive. L’exemple a ses limites, que le discours de l’intelligence économique doit bien considérer afin d’éviter les pièges de ce troisième paradoxe.

Le foot est un jeu basé sur l’affrontement entre deux équipes. Dans un match de foot, il y a deux équipes adverses ayant vocation à se battre, et un arbitre chargé de faire respecter des règles. Le "jeu" économique relève d’une logique beaucoup plus subtile, dont l’affrontement n’est sûrement pas absent, mais qui n’est pas basée sur ce choc entre deux équipes qui fait toute la "saveur" des matchs de foot. L’économie repose sur des échanges de biens (matériels comme immatériels), sur le jeu subtil de l’offre et de la demande, sur celui non moins subtil d’alliances et de partenariats, dans un environnement de confiance indispensable, fortement marqué par la psychologie des acteurs (clients, investisseurs, sous-traitants, concurrents...), mais insuffisamment encadré par des règles fluctuantes et un arbitrage souvent contesté.

L’économie doit être un jeu à bilan "gagnant/gagnant", alors que le foot est un match à vocation de résultat ("gagnant/perdant").

La concurrence n’est qu’un des multiples aspects du "jeu" économique (pas forcément toujours le plus important), alors que la compétition est au cœur du jeu de football.

Faire de la concurrence l’élément central du jeu économique est à mon sens une erreur. C’est à mon avis là que se situe ce "facteur de confusion mentale à l’origine de nombreuses dérives" dénoncé par Franck Bulinge : à force de ne considérer l’économie mondiale que comme un champ d’affrontement de puissances, dans un monde sans arbitre, le risque est grand de "dériver" vers une "culture de méfiance", vers l’expression de "patriotismes" épousant comme frontières les lignes de fronts entre différentes puissances, puis vers l’affrontement ultime qu’est la guerre, la vraie, celle qui fait des vrais morts (patriotiques) et qui emploie de vrais espions (pas des "espions de roman").

La métaphore guerrière, trop souvent employée dans le discours de l’intelligence économique, est encore pire. Sans développer plus avant ce thème, qui est riche en exemples dont j’ai déjà soulevé les incohérences dans un article précédent (L’intelligence économique, enjeu politique, fonction stratégique et discipline universitaire, CEREMS, 3 avril 2006), je pense nécessaire de relever ici l’usage trop fréquent et souvent inadéquat qui est fait du terme stratégie dans le discours économique.

Franck Bulinge ne m’en voudra pas de pointer dans son propos cet abus de langage qui, s’il n’ôte rien à la grande qualité de son article, n’en reste pas moins révélateur d’une dérive dont nous sommes tous victimes. Pour ne pas "cantonner l’intelligence économique à une posture défensive", il propose "de considérer l’intelligence économique dans sa dimension stratégique, autrement dit dans sa capacité à soutenir la politique générale de l’entreprise". Pourquoi alors, ne pas parler de dimension politique, plutôt que stratégique ?

 

Le Petit Robert définit la stratégie comme "(l’) art de faire évoluer une armée sur un théâtre d’opérations jusqu’au moment où elle entre en contact avec l’ennemi". Au figuré, il la définit comme un "ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une victoire". On peut dire qu’au sens figuré, le terme stratégie est employé pour désigner "un plan d’action (ensemble d’actions coordonnées) ou de manœuvre destiné à profiter des opportunités et à déjouer les menaces dans un contexte compétitif ou concurrentiel, dans lequel forces et faiblesses sont des facteurs clés dits stratégiques".

L’inconvénient de ce vocabulaire, bien qu’il soit particulièrement à la mode, est de faire la part belle à cette "dimension" d’affrontement du "jeu" économique, et par là de participer à cette "confusion mentale à l’origine de nombreuses dérives". L’abus du vocabulaire stratégique dans le discours économique contribue à faire de la domination l’élément central du jeu économique. Ces "coups tordus" dénoncés par Franck Bulinge, qui relèvent bien du domaine stratégique (avant le "contact avec l’ennemi"), plutôt que de celui moins "tordu" des "opérations tactiques", sont alors tout naturellement assimilés à l’intelligence économique, dont la dimension se résume dès lors, dans l’esprit du public, à cette image caricaturale.


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15 réactions à cet article    


  • (---.---.99.52) 27 novembre 2006 12:25

    La réalité, c’est le verrouillage politique. Voir l’article de De ço qui calt ? de samedi :

    http://360.yahoo.com/quicalt

    Buffet, Royal, Voynet, présidentielles de 2007 et verrouillage de la politique française

    Après l’élection de Ségolène Royal aux primaires du Parti Socialiste le 16 novembre et le discours de Marie-George Buffet du 20 novembre au Conseil National du Parti Communiste, il semble bien qu’un tournant s’opère avec le retour en force, au sein de la « gauche », de la continuité d’inspiration mitterrando-jospinienne. Ces derniers jours ont été particulièrement mouvementés pour les courants que l’on répertorie comme « antilibéraux », « altermondistes », « gauche de la gauche »... et qui se trouvent confrontés à un véritable fait accompli. Au delà de divergences de façade et rivalités, un véritable front de la « gauche plurielle » de 1997-2002, incarné par Ségolène Royal, Dominique Voynet et Marie-George Buffet, se profile avec en prime une possible « ouverture au centre ». Pour le « rassemblement antilibéral », c’est à prendre ou à laisser. Mais peut-être aussi, la dernière chance de procéder à une réflexion autocritique salutaire.

    (...)


    • (---.---.99.52) 27 novembre 2006 12:30

      Nous ne sommes plus à l’époque de véritables situations de concurrence comme il y a un siècle ou encore, il y a cinquante ans. A présent, c’est une domination partagée et tout cela devient sécondaire. Il y a fusion au sommet des financiers, des multinationales, des Etats...

      Et de même, transversalité et verrouillage de la politique.

      C’est une évolution vers un pouvoir planétaire unique.

      A ce sujet, les questions que De ço qui calt ? adresse aux « alter » divers dans l’article précité sont très pertinentes.


    • Surcouf (---.---.121.7) 27 novembre 2006 13:46

      Pour résumer ma vision de l’importance de l’activité économique dans un monde inéluctablement « globalisé », et pour en finir avec le débat : « IE : politique ou stratégie », j’aime avancer cette phrase d’un grand stratège :

      « La guerre est un conflits de grands intérêts réglé par le sang et c’est seulement en cela qu’elle diffère des autres conflits. Il vaudrait mieux la comparer, plutôt qu’à un art quelconque, au commerce qui est aussi un conflits d’intérêts et d’activités humaines » (Carl von Clausewitz, De la guerre).

      Ainsi ne s’agit-il pas de « patriotisme économique » (notion un peu hâtive et trop superficielle parce que trop facile mais en même temps un peu absconse !) mais d’une nouvelle posture stratégique de l’Etat et de chacun de ses acteurs partie prenante dans la protection de ses facteurs de puissance (dont fait partie la gendarmerie). Cette « globalisation » fait que la stratégie d’aujourd’hui ne peut plus être limitée à la guerre stricto sensu. L’Etat moderne en phase avec l’évolution inéluctable de « ses » environnements se doit d’adopter une stratégie de puissance globale qui pourrait revêtir cette définition donnée par le général (2S) Loup FRANCART : « art de coordonner l’ensemble des forces de la nation pour assurer à celle-ci la place et le rôle définis par le projet politique du gouvernement » (« L’évolution des niveaux stratégique, opérarif et tactique », Stratégique, 68, 1997-4, p.23). CQFD : La bonne santé du secteur économique faisant la force d’un Etat, la politique publique d’intelligence économique est une stratégie publique majeure dont nous devons tous avoir conscience. Je ne parlerais donc pas de « champs de guerre économique », de « patriotisme économique », termes trop français et trop pompeux mais de volonté de puissance et de stratégie de puissance.


      • Francis BEAU Francis BEAU 4 décembre 2006 13:29

        Bonjour « Surcouf »,

        Peut-on réellement en finir ainsi avec ce débat « IE : politique ou stratégie » ? Le fait que Clausewitz compare la guerre au commerce, n’a rien de particulièrement étonnant : il est stratège et pense en stratège ! La logique qui voudrait s’appuyer sur cette vision de stratège pour affirmer que les hommes politiques, l’Etat, doivent penser l’économie en stratèges, ne me semble pas implacable au point de clore définitivement le débat.

        Clausewitz, stratège de la « guerre totale », voit des parallèles entre les conflits entre Etats (son « métier »)et des conflits commerciaux (conflits de commercants) : c’est un fait, nul ne peut le contredire, il existe de nombreux points communs entre les deux (ce sont des conflits). Cela ne doit cependant en aucun cas occulter le fait que si les premiers, comme il l’observe lui-même, se règlent par le sang, les seconds doivent impérativement être réglés par la loi. Ce n’est pas parceque les conflits commerciaux peuvent être comparés aux conflits entre Etats que les moyens à mettre en œuvre pour les régler (stratégie) doivent être les mêmes !

        Tout ceci n’est qu’une question de vocabulaire. On peut toujours utiliser le terme « stratégie » dans son sens figuré (cf. définition parfaitement valable du général Loup Francart), mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir aux inconvénients de l’abus du vocabulaire stratégique dans le discours économique. Comme je le dis dans mon article, cet abus contribue à faire des enjeux de puissance et de la domination l’élément central du jeu économique, et à faire ainsi la part belle à cette « dimension » d’affrontement du « jeu » économique, participant à cette « confusion mentale à l’origine de nombreuses dérives » dénoncée par Franck Bulinge.

        Les mots ont un sens propre qu’il convient parfois de respecter scrupuleusement pour assurer la rigueur du raisonnement. Si on admet avec le général Loup Francart, que la stratégie procède de la politique dont elle met en œuvre le projet, dire que « la politique () est une stratégie » n’a plus grand sens !

        Enfin, la volonté de puissance, que vous recommandez de substituer aux notions de « guerre économique » et de « patriotisme économique », reste à mon sens une valeur trop ambiguë pour être utilisée dans le discours politique sans précautions. Les philosophes l’ont largement disséquée : c’est avant tout une volonté de dominer. Tant qu’on applique cette volonté à soi même, c’est une valeur positive sans aucune ambiguïté : la volonté de se dominer soi (maîtrise de soi) qui, selon Nietzsche, commande de travailler à se surpasser sans cesse, constitue indubitablement, lorsqu’elle s’applique à l’échelle d’une nation, un projet tout à fait louable. Dès lors que cette volonté s’applique à dominer l’autre, elle peut être considérée comme nécessaire à l’égard des concurrents, dans le cadre de relations commerciales, elle devient plus malsaine lorsqu’elle intervient à l’égard d’une nation voisine, dans le domaine beaucoup plus varié des relations entre Etats. Il devient alors indispensable, à mon sens, pour l’Etat, d’afficher clairement dans son projet politique que cette volonté de puissance se limite à se donner les moyens d’empêcher les autres de le dominer, c’est-à-dire de se défendre (et la défense n’est en rien une posture passive, bien au contraire). La nuance peut sembler toute théorique, mais elle n’en reste pas moins importante à prendre en compte pour inciter à user avec modération du vocabulaire stratégique qui restera toujours attaché à une logique d’affrontement.


      • krokodilo (---.---.52.137) 27 novembre 2006 16:57

        Very interesting paper on economic intelligence.


        • krokodilo (---.---.158.151) 28 novembre 2006 17:59

          Je suis fier d’avoir obtenu 18 de moyenne négative, excellente note au demeurant !

          Par ailleurs, ce nouveau système est à supprimer ou à revoir : sous prétexte de lutte contre les trolls ou les insultes, il aboutit finalement à ce qu’il est facile de faire disparaître une opinion, soit par le même enragé, soit par un groupe. On peut choisir ce qui reste en évidence et fausser le débat.


        • CAMBRONNE (---.---.64.254) 27 novembre 2006 17:15

          A FRANCIS BEAU ( Belles moustaches )

          Sujet qui m’interesse toujours : Le renseignement .

          Il est évident que vous savez de quoi vous parlez mais je vous reprocherais de vouloir en dire trop et par là d’être hermétique à la plupart des lecteurs potentiels non initiés.

          Ce que j’ai retenu est que vous voulez montrer la différence entre ceux qui chassent et ceux qui montent la garde car une même personne ne peut pas faire correctement les deux métiers .Ce qui est une évidence pour les pros et les initiés ne l’est effectivement pas pour tout le monde .

          Vous citez l’armée comme référence et je pense que vous avez raison . J’y associerais aussi la police avec la DST et les RG .

          Je suis d’ailleurs étonné que dans l’esprit de beaucoup il y ait confusion entre le renseignement et le contre espionnage . Notez au passage que j’emploie les termes officiels pour distinguer l’espionnage du contre espionnage : Les espions ce sont les autres nous nous faisons du renseignement .

          J’avais dans mes dernières interventions souligné le fait que les français sont encore loin d’être au point lorsqu’il s’agit de veiller à la sureté des installations ou des contrats ou des personnes en charges de dossiers pointus .Nombre d’ingénieurs emmènent encore du travail à la maison .

          Si vous avez été en ambassade comme vous le dites dans votre CV vous avez pu constater que nombre de diplomates se foutent du secrêt et je citais l’exemple de ces diplomates qui au sortir de la chambre sourde où s’était tenue la réunion continuent de discuter sur le pallier comme si de rien n’était .

          Je suis étonné que les principes de base du renseignement national qui incluent la notion de protection des personnes , des installations et des connaissances et la recherche du renseignement en séparant bien les deux missions ne soit pas repris « dans le civil » alors que la plupart des responsables de cellules d’intelligence économiques sont d’anciens militaires ou d’anciens flics .

          Par expérience je sais AUSSI que l’on ne peut pas complétement séparer la sureté de la recherche du renseignement .Il y a forcèment ambivalence . La DGSE dont la mission première est de rechercher le renseignement y compris par des moyens illégaux a son propre service de contre espionnage . Et la DST dont la mission éssentielle est d’assurer la sureté du territoire face à des menées terroristes ou d’espionnage manipule des gens pour en faire des espions au service de la république .

          En conclusion quand on regarde par le trou de la serrure il faut aussi avoir un oeil dans le dos pour ne pas se faire ....

          A BIENTOT SUR CE SUJET PASSIONNANT .


          • mandrier 4 juillet 2007 14:37

            C’est très amusant ! Le hasard... Il y a quelques jours j’étais au restaurant un midi, à côté d’un centre de recherches... Et comme j’ai l’air idiot au naturel, J’écoutais des conversations à la table voisine ! il était question des performances d’un équipement. Au bout d’une heure j’avais de quoi pondre un rapport !.... Sur le materiel ses ingenieurs et la chaine hierarchique !... Je pense qu’il y a un très lourd probleme de sécurité !....

            Ah la déformation professionnelle quand tu nous tiens !...


          • loga (---.---.231.120) 27 novembre 2006 19:56

            les banques ne sont anodines les filiales mondiales jouent un rôle de renseignements d ou parfois le délit d initié.

            L renseignement industriel fait faire plusieurs x milliers d euros d économie à la sociéte curieuse .

            ex réel il y a 8 ans environ

            Des clients potentiels d un pays étrangers viennent visiter les installations .Un confrére a été surpris par certaines personnes qui se penchaient sur des cuves contenant des liquides. Les cravates étaient tachées même imprégnées( genre éponge ) de certains produits . La personne de la communication et la dir s est excusé des méfaits et a prier ,de les laisser au service de sécurité pour nettoyage .ils ont été bon joueur.

            Le pire le tél portable avec caméra et systéme de transmission web.


            • boie22 (---.---.137.227) 28 novembre 2006 17:41

              Article intéressant mais je crois que vous présentez les choses de façon trop manichéenne. Je ne nie pas les phénomènes d’espionnage industriel mais je crois que dans la plupart des cas, pour les petites et moyennes organisations, l’intelligence économique consiste à glaner de l’information librement accessible mais dissimulée dans la masse. Tout la difficulté est là : comment repérer dans le flux continu d’information celle qui conférera un avantage stratégique ? Il n’y a rien d’immoral la dedans ni de répréhensible et je réfute votre deuxième paradoxe.
              Concernant le troisième, excusez-moi, mais je le trouve un peu naïf. Qui croit encore à la libre concurrence de Schumpeter, à la main invisible de Smith ? Le libre marché n’a jamais existait et n’existera jamais.
              Seul le premier paradoxe me semble valable et encore... Dans la pratique, je ne suis pas sûr que les cellules d’intelligence économique aient une culture du partage. Ni même qu’elles en aient la vocation. Leur boulot consiste à récupérer de l’information stratégique, à la « pusher » vers les décideurs et les stratèges et point barre. Tout cela reste dans hautes sphères de l’organisation... il n’y pas réellement de diffusion.


              • Castagneide (---.---.13.228) 28 novembre 2006 21:01

                Bonjour à tous,

                Professionnel de l’IE (titulaire d’un diplôme - ca existe !), je tiens à rappeler à tous que dans la pratique quotidienne de ma discipline, le ’’renseignement barbouzeux’’, n’existe pas. Je tiens aussi à souligner l’excellent travail de Mr Bulinge (travaux disponibles sur agoravox et sur internet).

                NOUS TRAVAILLONS SUR DES SOURCES DITES OUVERTES, sur de l’INFORMATION BLANCHE, et dans la mesure ou notre société civile génère énormément d’informations, NOUS AVONS LARGEMENT ASSEZ DE DONNEES pour travailler correctement.

                Je tiens aussi à évoquer que l’IE est une discipline naissante. Selon moi, elle a besoin d’être encadré et labellisé afin de LUTTER CONTRE LES ALMAGANES AVEC LE RENSEIGNEMENT.

                Biensur, il y a des paradoxes et une certaine relation IE vs renseignement. Mais arrêtons de fantasmer, de nous focaliser sur cette « niche de débat » ; et marchons ensemble pour que cette discipline devienne le fer de lance d’une France compétitive et actrice de son économie !


                • Francis BEAU Francis BEAU 4 décembre 2006 14:01

                  Bonjour Castagneide,

                  Je suis entièrement d’accord avec vous, sauf sur votre exhortation finale : je ne pense pas que ce soit en ignorant une difficulté que l’on parvient à la surmonter.

                  Je pense que souligner les trois paradoxes dont souffre l’IE pour en suggérer les remèdes, ne consiste pas à se « focaliser » « ou à »fantasmer« sur une »niche de débat« , mais constitue bien au contraire le meilleur moyen de »LUTTER CONTRE LES AMALGAMES« en contribuant à améliorer »l’encadrement« et la »labellisation" de la discipline.

                  Cordialement,

                  Francis Beau


                • castagneide (---.---.11.70) 23 décembre 2006 00:47

                  Monsieur,

                  Vous avons raison. Je crois que ma formulation, surement maladroite, vient du faite qu’on parle souvent de l’IE sous ses angles restrictifs. Biensur que nous devons être critique afin d’avancer !

                  Quant à la culture IE et à la démarche de labellisation, je crois qu’il est important de souligner que les choses se mettent peu à peu en place. Certains souligneront que cela met du temps mais certains travaux (referenciel des formations IE) m’amènent à penser que nous sommes sur la bonne voie. Tachons d’optimiser ces premiers acquis et de multiplier les avancées prochainement.

                  Bonne fête, Casta


                • mandrier 4 juillet 2007 14:31

                  Pfff !.... Tout est bon à prendre dans ce domaine !... Ce n’est qu’une question d’opportunité ! Et un état d’esprit !


                • Lethiais 12 décembre 2006 18:46

                  Dites nous s’il vous plait ce que vous pensez de ces hauts fonctionnaires, parlementaires ou ministres qui couvrent les prévarications IE de leurs services. Il semblerait que c’est assez courant dans certains ministères, qui ne semblent pas génés par les conflits d’intérêts !!!

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